Matthieu Gama
Matthieu Gama publie un essai préfacé par Ernest Pépin, « Le Jour où les Antilles feront peuple » aux éditions Kalinas. Entretien avec l’auteur qui est aussi l’un des fondateurs de « L’usine à rêve ».
« Les politiques d’assimilation relevaient d’un traitement contre la psychose quand nous n’avions qu’une névrose »
Depuis quand la question de l'existence peuple antillais vous préoccupe-t-elle ? Et quid d'un peuple caribéen ?
C’est une question qui me préoccupe depuis mon plus jeune âge : je suis né en région parisienne, mes parents guadeloupéens sont revenus vivre en Guadeloupe lorsque j’avais sept ans et, à ce jour, j’ai passé la plus grande partie de ma vie en Martinique. Grâce à cette triple appartenance, j’ai plusieurs angles d’analyse de la situation des Antilles. Et comme la Caraïbe n’a pas attendu les Antilles françaises pour faire peuple, nous Antillais de Guadeloupe et la Martinique devons faire ce travail sur nous-mêmes avant de prétendre pouvoir participer pleinement et harmonieusement au concert des nations caribéennes.
L'identité antillaise, dites-vous, est plombée par une névrose collective qui allie aliénation et victimisation. Comment en sortir ?
En effet la population antillaise est consciente de son trouble identitaire et elle est en demande, en recherche d’elle-même. Elle n’est pas pour autant en rupture avec la réalité historique. Pour s’en sortir, nous pourrions envisager une thérapie de peuple : l’idée étant de retrouver un équilibre identitaire, de diminuer nos peurs, nos angoisses et surtout d’accroître le champ de nos responsabilités ainsi que l’estime de soi à l’échelle des populations antillaises.
Vous évoquez encore un « rapport malsain » avec la France, une « opposition organisée » entre Guadeloupe et Martinique et un « sentiment de supériorité » des populations des FWI envers les autres Caribéens. Ce n'est plus une névrose, mais une psychose...
Une personne atteinte de psychose n’a pas conscience de sa maladie, elle ne perçoit pas ses troubles, elle n’est pas dans la réalité et elle n’est encore moins en demande de soins. Ce n’est pas la situation des Antilles. En outre, la psychose se soigne par des sédatifs et des antidépresseurs : on constate que la politique d’assimilation postcoloniale et la politique d’assistanat de la France envers les Antilles s’apparente à ce type de traitement de la psychose. Sans aucun succès pour les Antilles en termes de responsabilité, mais avec succès pour la France en termes de développement d’une hyperconsommation des territoires antillais. À nous de refuser le traitement qui nous a été prescrit et d’appliquer les remèdes efficaces à nos maux.
Vous parlez aussi d'une société antillaise inclusive. A l'aune de ce qui se passe aujourd'hui avec le mouvement RVN. Qu'en est-il de la place des Antillais blancs, autrement dit des békés ?
Les békés sont des Antillais, comme les autres : pas plus que les autres, mais pas moins que les autres. De ce fait, ils devraient pouvoir contribuer comme tous les autres groupes ethniques au projet de faire peuple. Cela demande de leur part d’accorder aux autres groupes ethniques le respect qui est dû à ces derniers, ce même respect que l’on est en devoir d’accorder aux békés. Il est souhaitable que certains groupes économiques comprennent que l’apologie du crime esclavagiste est pénalement punie, mais surtout que le maintien d’armoiries esclavagistes peut être vécue comme une provocation et une incitation à la haine.
C’est bien là tout l’enjeu de faire peuple : mener une action politique, une lutte politique pour le bien commun et pour l’intérêt général.
Vous achevez votre réflexion autour de la résilience. En quoi cette résilience peut aider à résoudre la question que vous posez, à savoir celle d'un peuple antillais ?
La résilience est la compétence d’un individu ou d’un groupe d’individus à vivre un traumatisme, à y survivre et à le dépasser. Les Antilles ont vécu leur lot de traumatismes, elles y ont survécu sans pour autant les dépasser, et c’est à cet instant que la résilience prend toute son importance. Pour dépasser leur passé, les Antilles devront nécessairement apprendre à aimer leur passé : pour aimer ce passé, les Antilles doivent se focaliser sur la mémoire de la réussite du peuple des Antilles qui s’est forgé envers et contre cette histoire esclavagiste et coloniale. Lorsque l’on considère l’histoire antillaise, il était très peu probable que des individus aussi différents, d’origines aussi diverses, de classes aussi éloignées, puissent un jour cohabiter, coexister sur le même territoire. Tel est le miracle identitaire que sont les Antilles, le miracle identitaire de la construction du monde. Et c’est par cette approche inclusive et résiliente de l’identité antillaise que nous ferons peuple.
Quel a été le rôle de l’usine à rêve dans la naissance de ce livre et pourquoi ?
L’usine à rêves, c’est une tentative réussie de faire peuple, de faire ensemble, de se rassembler pour évoquer notre mode de vivre ensemble, et notre capacité à nous projeter dans un avenir choisi en conscience. C’est de là que tout est né : c’est parce que j’ai réussi à réunir autant de personnes autour de cette idée de construire virtuellement une « usine à rêves » pour les Antilles que je me suis décidé à écrire.
Propos recueillis par FXG
Un homme déjà connu des électeurs
Le Guadeloupéen Matthieu Gamma est huissier de justice et médiateur près la Cour d’Appel de Fort de France. Il a été le porte-parole en Martinique du candidat à la présidentielle Emmanuel Macron. Il a aussi été référent en Martinique du parti la République en marche et candidat de ce parti aux législatives en 2017 dans la circonscription de Fort-de-France.