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Publié par fxg

Gessica Généeus

Gessica Généeus

Fréda, sélectionné aux Oscars

Fréda, le film de la réalisatrice haïtienne Gessica Généus sort le 13 octobre dans une centaine de salles dans l’Hexagone, avant sa sortie en Guadeloupe et Martinique à la fin du mois. Repéré au dernier festival de Cannes dans la séléction officielle « Un certain regard », ce film de fiction fera la clôture du festival Monde en vue en Guadeloupe le 22 octobre. Mais d’ores et déjà, Freda a été présenté en avant-première le 8 octobre en Guadeloupe . Interview

« Les femmes potomitan tiennent des maisons qui s'effondrent sur elles »

Une sélection à Cannes et une sortie nationale en France, ça vous touche ?

Il y a très peu de films qui sortent de la Caraïbe pour être vus au Festival de Cannes et dans les salles de cinéma françaises. Moi, je souhaitais non seulement que mon film y aille mais que je puisse aussi engager des conversations avec le public parce que je pense qu'il y a pas mal de thématiques dans mon film qui vont résonner en France comme dans la Caraïbe. Je suis très curieuse de voir sur quel terrain les gens vont me rencontrer à travers ce film.

Qu'aviez-vous à coeur de raconter en premier lieu ?

L'histoire des femmes avec lesquelles j'ai grandi ! J'ai grandi dans une famille de femmes, avec ma mère, mes tantes, mes cousines comme dans l’univers de Fréda. Je pense comme beaucoup de ces femmes, et comme beaucoup d'haïtiens, qu'on est en train d'atteindre un haut niveau de désespoir ! On se demande ce qu'on a fait de mal sur ce parcours de vie qui fait qu'aujourd'hui au lieu de s'améliorer, on doit faire face avec de plus en plus de difficultés. J'avais envie que ce film soit comme un miroir de notre société, pour ces femmes surtout mais aussi plus largement pour les Haïtiens, que ce film leur donne peut être des clés d'analyse sur ce qu'on peut améliorer ou ce qu'on doit radicalement changer pour avoir un avenir meilleur dans ce pays.

Comment est née l'idée de ce film ?

Ce sont toujours des questions qui amènent une création et à un moment donné le médium se manifeste. Pour Freda, j'ai pensé que la fiction serait le meilleur moyen même si j'aime bien le réel contrôlé. Même les dialogues, c'est quasi un copié-collé de ce que j'ai entendu de ma mère, de mes tantes dans le quotidien haïtien ! Je ne me suis autorisé que très peu de distorsion de la réalité…

C'est presque un documentaire…

J'ai la sensation que Freda est comme un prolongement de mon documentaire Douvan jou ka levé. Même si l'expression comme les approches sont complètement différentes, on est quand même en train de ronger cet os de la relation entre la mère et la fille, une relation assez complexe. Dans Douvan jou, on est sur la santé mentale d’une mère, avec sa fille qui questionne. Dans Freda, on est à un autre niveau, la fille veut protéger sa mère tout en étant consciente qu'elle doit s'affranchir de son emprise et du poids de leur relation. Dans beaucoup de sociétés comme en Haïti on dit que les mères c'est le potomitan pendant que les hommes s'enfuient. Mais ces femmes potomitan sont des femmes écrasées ! Le poteau central ne tient pas des maisons vraiment solides, il tient des maisons qui s'effondrent sur elles… Et ces femmes se retrouvent à prendre des décisions qui vont à l'encontre de leurs propres valeurs. Cette mère n’est pas une sainte ! Ça ne sert à rien de la mettre sur un piédestal parce que ça crée énormément de douleur tant chez la mère que chez ses enfants. En grandissant l'enfant s'aperçoit que la mère qu'elle croyait capable de la protéger de tout ne l'est pas. Ses traumatismes l'empêchent de réaliser quand elle est en train de faire du mal à son enfant. De mon point de vue, dans une société comme la mienne surtout où la mère est extrêmement présente, la première personne capable de te détruire c'est ta mère. Elle est capable de te détruire et de te construire. Si l'enfant que tu es en face n'est pas solide, si tu ne sais pas ce que tu dois prendre ou laisser d'elle, elle est capable d’engendrer des conséquences énormes sur ton parcours de vie. Plus on réalise l'humanité de ces femmes, plus on est capable d'avoir une relation beaucoup plus saine, dans un équilibre, presque un rapport de force, pour ne pas se laisser entraîner là où on ne le veut pas. C'est très complexe d'établir ça dans une société qui veut que l'on déifie ses parents et en l'occurrence sa mère.

Comment appréhendez-vous la réception du public antillais ?

Bien évidemment aux Antilles, je sais qu'il va y avoir un terrain commun parce qu'il y a des questionnements qui sont les mêmes, la colonisation, l'esclavage… C'est une histoire qu'on a partagée.

La femme potomitan aussi est un trait commun ! Et la femme en colère aussi !

On est tout le temps en colère ! Quand j'avais 20 ans j'étais tout le temps en colère et toujours sur la défensive. C'est Christiane Taubira, sans qu'elle ne le sache, qui a une grande influence sur ma façon de voir les choses. J’habitais encore chez ma mère et je l'ai entendue parler à la télé. Elle était d’une éloquence extraordinaire et disait des choses difficiles, extrêmement pointues mais avec un tel calme ! Et je me suis dit qu'il fallait que je trouve une façon de m'exprimer avec cohérence parce que ça ne sert à rien de s’énerver…

C'est comme ça que vous avez eu envie de faire du cinéma ?

On peut dire ça… Le plus difficile exercice a été Douvan jou. Quand j'écrivais ce film, je voulais crier toute la haine que j'avais en moi, je voulais tuer des gens, surtout les évangélistes extrêmistes ! Ça a été 4 ans de torture émotionnelle totale et à un moment donné je me suis dit que ça n'allait pas le faire, que je ne pouvais pas faire ce film comme ça. Pourquoi mettrais-je tant d'énergie à faire un film pour, au bout, ne pas être capable d'avoir quelqu'un en face pour engager une conversation… Le cinéma m’a appris à canaliser ma colère !

Vous pensez déjà à votre deuxième long-métrage ?

Je travaille sur une relation entre une prostituée et un jeune homme de 15-16 ans qui découvre sa sexualité alors qu'il est le fils d'un évangéliste extrême. Ce qui m'intéresse c'est de questionner la moralité, le rapport des Haïtiens avec la moralité, ce qu'ils acceptent ou qu'ils n'acceptent pas dans une société qui juge et qui condamne les gens qui ne rentrent pas dans leur case et qui a pourtant élu Michel Marthély à la présidence de la République !

Propos recueillis par FXG

Le pitch du film

Freda habite la rue Robin dans le populaire quartier Lalue à Port-au-Prince. Avec sa sœur Esther et sa mère Jeannette, elles survivent grâce à leur petit lolo. Face à la montée de la violence et de la précarité, chacun se demande s’il faut rester ou fuir. Freda veut croire en son pays.

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