Christian Eckert aux Antilles et en Guyane
Le ministre du budget est aux Antilles depuis lundi avant la Guyane mercredi. Interview de Christian Eckert, ministre du Budget
"Mon ministère n’est en aucun cas l’ennemi des outre-mer"
Nombre de dossiers d'investissement par défiscalisation ou crédit d'impôt sont toujours bloqués par le bureau des agréments en région ou à Bercy. François Hollande a annoncé que tous les mécanismes étaient enfin validés par Bruxelles. L'information est-elle parvenue enfin jusqu'à vous ?
Ces dispositifs d’aide (crédit d’impôt ou défiscalisation) jouent un rôle important de soutien à l’économie et de réponse aux besoins en logement des populations des départements d’outre-mer, en particulier dans les Antilles. Juridiquement parlant toutefois, ils constituent ce qu’on appelle des régimes d’aide d’Etat et ont dû à ce titre faire l’objet d’une validation par la Commission européenne pour pouvoir continuer à s’appliquer au-delà du 1er janvier 2015. Mes services se sont fortement impliqués dans les échanges avec la commission afin d'obtenir une solution favorable, ce qui a permis cette validation en avril dernier. Désormais, comme l’a annoncé le Président de la République, les dossiers qui étaient en attente peuvent de nouveau se voir octroyer le bénéfice des mécanismes de soutien avec la défiscalisation.
Il n’est donc pas exact de dire qu’ils étaient ou qu’ils sont bloqués par l’administration. Ils n’étaient que suspendus le temps de l’obtention de la validation de la Commission. Il est en effet de la responsabilité du gouvernement de garantir la sécurité juridique des opérations menées tant pour les entreprises que pour les particuliers investisseurs concernés.
Cette exigence doit également être prise en compte par les acteurs économiques qui devront s’assurer que leurs projets respectent le nouveau cadre communautaire. Pour cela, les services de l’administration fiscale répondront bien sûr à leurs interrogations. Des instructions ont été données en ce sens à l’ensemble des services concernés pour reprendre le traitement normal des dossiers. En effet, les projets de construction de logements ainsi que les investissements productifs restent deux priorités du gouvernement en outre-mer.
Dans quelles proportions le crédit d'impôt à l'investissement a pris le relais de la défiscalisation ?
Il est encore trop tôt pour le dire : le nouveau dispositif du crédit d’impôt va réellement monter en puissance dans les prochains mois.
Nous sommes confiants car il est à la fois beaucoup plus simple que la défiscalisation traditionnelle - il ne fait appel à aucune structure de portage - et financièrement plus avantageux pour l’entreprise, puisqu’elle n’a plus d’investisseurs extérieurs à rémunérer pour leurs apports. Ainsi, la totalité de l’aide accordée par l’Etat revient à l’entreprise sans « évaporation » à la différence de la défiscalisation classique.
C’est pourquoi nous pensons que le crédit d’impôt va aider les entreprises ultramarines à investir dans de meilleures conditions et que beaucoup d’entre elles vont faire ce choix. Car pour le moment, je rappelle qu’il n’est obligatoire que pour celles qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 20 M€. Pour les autres, elles peuvent continuer à choisir entre le crédit d’impôt et la défiscalisation classique.
Nous ferons le bilan l’année prochaine pour mesurer l’efficacité de ce dispositif et faire les ajustements qui paraitront nécessaires.
Votre ministère est toujours apparu comme l'ennemi de l'Outre-mer. Considérez-vous aussi que ces territoires ne sont que les danseuses de la France ?
Les départements d’outre-mer sont des départements français à part entière. Ils sont partie intégrante du territoire national et leurs habitants doivent être respectés pour cela, au même titre que tous nos autres concitoyens.
Mon ministère n’est donc en aucun cas l’ennemi des outre-mer. Je regrette que certains aient pu le penser ou le faire croire.
Le Président de la République m’a confié une mission aux côtés de Michel Sapin : veiller à la bonne utilisation de l’argent public et redresser les comptes publics. Cette mission, je m’y atèle chaque jour, avec application et à l’égard de l’ensemble de nos politiques et de nos ministères. Je le fais avec une préoccupation constante de l’équité et de l’efficacité de l’action publique,
Je suis convaincu que les habitants de Guadeloupe, Martinique et Guyane ont aussi à cœur que l’Etat soit dans une logique d’accompagnement du développement local, porteuse d’avenir.
La réforme progressive des modes de défiscalisation va dans ce sens : faire en sorte que l’argent mis au service des territoires y arrive sans perte en ligne et y soit avant tout utile : pour l’emploi, pour l’accès aux services publics et privés, pour la qualité de vie.
Ce déplacement, que j’ai souhaité, permettra les échanges et le dialogue. Il sera aussi l’occasion, pour le Secrétaire d’Etat chargé du Budget que je suis, de valoriser le travail des agents des douanes et des finances publiques, aux côtés des citoyens et des entreprises.
Que pensez-vous de l'annonce faite par le président de la République pour obtenir en une génération l'égalité réelle des Outre-mer avec l'Hexagone ? Est-ce réaliste d'un point de vue comptable ?
L’égalité est une composante essentielle du pacte républicain. Aucun territoire ne doit être délaissé. Cela signifie effectivement porter plus d’efforts là où les difficultés structurelles côtoient des atouts formidables : les difficultés de l’insularité et de l’éloignement se confrontent par exemple à la force de la jeunesse et à la volonté de développement qui s’y attache.
Le Secrétaire d’Etat chargé du Budget a certes un regard comptable. Mais il ne peut se limiter à compter. La comptabilité se doit d’être au service d’une politique, et la politique sans l’esprit d’égalité n’a pas de raison d’être. Mon rôle est d'assurer que les politiques pour atteindre ce but soient les plus efficaces et efficientes possibles. L’engagement pris par le Président de la République nous oblige et la nation tout entière est mobilisée en ce sens.
Comment va évoluer le budget de la mission Outre-mer dans la prochaine loi de finances ?
Nous travaillons actuellement au projet de loi de finances 2016 avec tous les ministères, y compris l’outre-mer. Je recevrai chaque ministre début juin, et il est vraiment trop tôt pour faire des annonces. Tous devront faire des efforts et chaque dépense sera analysée de manière approfondie car aucun secteur ne peut être exonéré de participer au redressement des finances publiques. Nous le ferons avec George Pau Langevin dans la confiance et le dialogue.
Allez-vous consacrer une partie de votre visite en Guyane au problème du foncier ?
J’ai effectivement souhaité y consacrer une séance de travail avec les élus et nos administrations. Je mesure l’importance de ce sujet, les parlementaires concernés m’en ayant déjà beaucoup parlé. Il est légitime, au titre de ma fonction de ministre des Domaines, que je suive de très près ce dossier.
Propos recueillis par FXG, à Paris