L'indéfendable
Alex Ursulet balance des secrets d'audience
Dans l'Indéfendable, l'avocat martiniquais se sert de l'affaire Guy Georges pour revenir sur sa carrière et ses grandes affaires. Il en profite pour balancer sans langue de bois les coulisses de la justice pénale.
"Comment défendre un salaud sans en être un soi-même ?" La question que pose Alex Ursulet sur la couverture de L'indéfendable, fut suivie dans la réalité d'un crachat qu'il dut essuyer sans moufter. L'avocat de Guy Georges a ressenti un furieux besoin de raconter son affaire. Lui, l'avocat, face à Guy Georges, le premier serial killer français... Deux métis. "Nous nous dévisageons comme deux animaux. Il me capte par le regard ; je le renifle. Nous nous connaissons déjà. Nous nous reconnaissons. L'effet miroir est immédiat. Je suis sa parole ; il est mon non-dit, mon silence effrayant."
Mais au-delà d'un simple retour sur Guy Georges, Me Ursulet livre l'analyse de sa démarche, révèle sa stratégie pour défendre un "monstre", celui que tout le monde a baptisé "le tueur de l'Est parisien", et déjà condamné. Pour autant, ce n'est pas un livre sur Guy Georges. L'affaire Guy Georges sert de fil rouge pour conduire le lecteur à revivre avec l'auteur ce cheminement qui l'a rendu prêt à défendre un "salaud". Il puise dans ses trente cinq ans de barreau quelques affaires dont il se sert pour démonter l'ensemble des mécanismes judiciaires dans leurs travers : les juges, les avocats, les clients, les jurés... et même la franc-maçonnerie dans la magistrature ! L'avocat ne retient ni ses mots ni les noms ; il dévoile les arcanes, les coulisses, les non-dits des prétoires, le secret des audiences... Les dossiers Crozemarie, Carlos, Barril, Carignon, Seck, etc donnent la mesure du niveau de la défense. Et si l'auteur narre volontiers ses victoires, il confie aussi certains échecs, terrifiants... "J'ai défendu beaucoup d'hommes accusés d'avoir violé ou tué, mais je ne l'ai jamais fait contre ma conscience." Car, c'est bien de cela dont il est question dans ce récit. Mais aussi de ceux qui vont le guider dans sa promenade infernale dans la cour du mal, ses maîtres, son père le bâtonnier de la Martinique, Me François Gibault, et son "contremaître", Jacques Vergès avec lequel il a été associé quelques années. "Auprès de Jacques Vergès, je n'ai jamais eu l'impression de jouer avec le feu, mais souvent avec le diable. Très vite, j'ai réalisé que ce n'étaient pas ses clients qu'il défendait, mais lui-même. Sans doute, était-ce d'ailleurs la raison pour laquelle il semblait se plonger dans cette recherche, peut-être inconsciente, de ce qu'il y avait de pire en lui. Une forme d'autorédemption par laquelle il entreprenait de laver je ne sais quelle damnation." Alex Ursulet épate même un peu quand il dit à Jacques Vergès lui-même : "Je sais où vous étiez pendant votre disparition." Un sccop !
Les affaires judiciaires transportent le lecteur de l'Hexagone, à la Réunion, la Martinique, le Vanuatu, la Lybie, le Sénégal, le Venezuela... Ce sont des histoires de voyous, de violeurs, d'escrocs, d'assassins, de corrompus et de corrupteurs, de juges et d'avocats poursuivis, d'innocents condamnés, de coupables acquittés... C'est en tout cas une expérience de lecture inégalable pour tous les justiciables et sans doute un bréviaire pour un étudiant en droit pénal qui se destine à la robe.
FXG, à Paris
L'Indéfendable, édition L'Archipel, Paris, novembre 2015