GPL présente sa feuille de route 2016 et revient longuement sur la départementalisation de Mayotte
George Pau-Langevin a présenté ses voeux aux parlementaires, associatifs et journalistes ultramarins au ministère des Outre-mer le 2& janvier. Le président Hollande est venu prendre un bain de foule une petite demi-heure... auparavant, la locataire de la rue Oudinot a évoqué ses chantiers en cours et sa feuille de route pour 2016. Interview.
Propos recueillis par FXG, à Paris
"Nous essayons de présenter un front uni par rapport à Bruxelles"
Quelle a été votre priorité en 2015 ?
Nous avons mis une priorité absolue sur la question de l'emploi et essayer de mettre les entreprises dans une situation qui la plus favorable. Nous voulions qu'après avoir reconstitué leurs marges, les entreprises soient en mesure de s'engager sur l'emploi. Cela nous a pas mal occupé et nous avons obtenu des textes et des mesures qui sont un peu dérogatoire au droit commun. Pour l'instant, nous avons stabilisé la situation de l'emploi, mais nous sommes encore à des niveaux qui ne sont pas satisfaisants. Nous avons une diminution du chômage des jeunes d'environ 8 %. Cela va demeurer une priorité cette année et il faut aussi que les entreprises qui ont pris un bol d'air précisent ce qu'elles vont pouvoir faire pour améliorer la situation de l'emploi dans nos départements et territoires d'Outre-mer.
Les relations avec Bruxelles, les questions de l'octroi de mer et du RGEC ont été difficiles cette année...
Nous avons eu affaire à des polémiques sans fin, mais aujourd'hui, nous avons repris des conditions de travail plus satisfaisantes. Nous nous concertons avec les gens d'Eurodom, de la Fedom et nous essayons de présenter un front uni par rapport à Bruxelles. Il nous semble que c'est une manière de solidifier la position des entreprises ultramarines, d'autant que nous sommes dans une démarche commune avec les autres pays européens qui sont concernés, l'Espagne et le Portugal. Nous sommes parvenus à dénouer cette crise sans heurt et je souhaite que nous poursuivions nos relations positives avec les commissaires européens et, notamment, Mme Vestager.
Côté construction de logements sociaux, le bilan est en-dessous, pourquoi ?
Nous avons eu l'impression en début d'année dernière, en mettant tous les outils sur la table avec le plan logement qu'on aurait de bons résultats. Nous avons mis tous les partenaires dans la boucle et, à l'arrivée, c'est vrai que les constructions ont eu du mal à démarrer. En fin d'année, nous avons pu débloquer un millier de de dossiers qui étaient encalminés... Mais nous devons continuer d'identifier ces grains de sable qui viennent gripper la machine.
Le grain de sable, c'est Bercy ?
Il y a Bercy avec qui on s'est affrontés assez sévèrement durant une grande partie de l'année, mais il y a aussi à voir avec nos opérateurs locaux. Les dossiers ne sont pas toujours très bien montés et quand Bercy cherche d'abord ce qui coince, il faut pas lui offrir de point d'accroche. Et, nous avons des opérateurs sociaux qui ne sont pas toujours en bon état, comme la société immobilière de Guyane que nous avons dû recapitaliser et sauver de la faillite... Nous essayons dans les six DOM de professionnaliser les personnes qui représentent l'Etat dans les conseils d'administration et nous invitions les collectivités locales à être aussi exigeantes sur la qualité des dirigeants de ces sociétés. Aussi bien les opérateurs que les opérateurs doivent des personnes incontestées, sinon on donne à Bercy le bâton pour se faire battre. Nous devons avoir des sociétés bien gérées, sans excès si on veut un bon climat avec Bercy.
Votre collègue Sylvia Pinel a indiqué que 4800 logements avaient été financés outre-mer l'an passé. Combien en aurait-il fallu ?
Si nous avions pu en faire 10 000, nous les aurions faits ! Nous avons conservé le montant de la ligne budgétaire unique et nous construisons moins de logements. On a fait sauter quelques verrous, mais aujourd'hui nous ne sommes pas sur un nombre de mises en chantier satisfaisant par rapport aux moyens disponibles et, surtout, par rapports aux besoins.
Quelle est votre analyse sur le changement de statut en Martinique et en Guyane ?
On s'est longuement disputés sur cette affaire d'assemblée unique. Pendant vingt ans, les uns pensaient que ça allait être la solution aux problèmes des outre-mer pour trouver une voie moyenne entre l'indépendance et la départementalisation et puis, il n'y a pas eu d'enthousiasme frappant autour de ces deux consultations. Les gens y sont allés, mais sans excès... Cet espoir qui avait été apporté dans cette forme m'a l'air d'être un peu retombé. Aujourd'hui, les deux collectivités démarrent et il faut leur donner le temps de trouver leurs marques.
Elles ont demandé en vain une dotation supplémentaire d'amorçage...
Si en rassemblant plusieurs entités, on pensait faire des économies, apparemment ça n'est pas le cas puisque chacun nous explique que ça leur coûte infiniment pus cher d'être réunies. Une dotation d'amorçage n'était pas prévue. J'ai compris que Jean-Philippe Nilor nous dit qu'il a une situation financière difficile. Les autres disent que non... Nous les rencontrerons tous pour faire le point avec eux, mais nous n'avons pas de cassettes cachées ! Mais a priori a collectivité va recevoir les dotations additionnées des deux collectivités antérieures. Il y a en outre une aide prévue pour le RSA ; nous ne voyons pas très bien d'où pourrait venir cette énorme difficulté de la Martinique. Je rencontre très bientôt le président Marie-Jeanne.
Vous avez rencontré Ary Chalus en Guadeloupe. Vous a-t-il fait part de sa volonté de réunir le congrès pour une collectivité unique ?
Il venait d'arriver quand je l'ai vu. J'ai compris qu'il était en phase de bilan, audit et qu'il prendra ses orientations ultérieurement.
La Guyane attend son pacte de développement promis par le président de la République ? Qu'en est-il, quel est son volume financier, son périmètre d'action ?
Il est difficile d'en dire quelque chose avant que les arbitrages ne soient rendus... Après l'annonce de François hollande en 2013, il y a eu toute une phase de concertation avec les élus pour sortir les priorités. Il a fallu ensuite faire valider par les administrations et voir les moyens à mettre... Le travail d'arbitrage est très long, mais on devrait aboutir dans les semaines qui viennent et ça devrait être annoncé par Manuel Valls...
...Parce que vous ne serez plus là alors ?
(Rires !) Nul n'est indispensable et on est forcément sur des contrats à durée déterminée... La vraie question qui se pose pour les élus de la Guyane, c'est d'établir des mesures adaptées aux problèmes posés. Certains peuvent trouver des réponses ailleurs comme avec la dotation des communes. On y a travaillé et si cette réforme avait abouti en 2015, ça aurait déjà amené beaucoup d'air aux communes guyanaises. Ca n'est pas passé...
Rodolphe Alexandre vient vous voir la semaine prochaine, vous allez encore affiner les choses avec lui ?
Nous allons voir si les priorités de la CTG en matière d'équipement correspondent tout à fait à ce que nous-mêmes avons envie de faire. Je viens de faire faire un rapport sur la situation des communes de l'intérieur, notamment chez les Amérindiens. Nous avons des propositions, cela signifie que si nous voulons les mettre en oeuvre, il faut que ce soit aussi considéré comme une priorité des élus. Entre un équipement à Cayenne et un autre à Maripasoula, il faudra qu'ils choisissent. Par ailleurs, dans une opération d'intérêt nationale comme le pacte pour la Guyane, l'avantage est que ça amène des crédits, mais ça dépossède aussi les élus de certaines facultés notamment en matière d'urbanisme. Ils devront bien faire la balance entre avantages et inconvénients.
Financièrement, ça va représenter quelle somme ?
Nous venons de faire les contrats de plan. Par ailleurs il y a l'égalité réelle. Ca signifie qu'on fait une loi cadre pour affirmer l'égalité entre les territoires d'Outre-mer et l'Hexagone, ensuite nous ferons des pans territoriaux. Notre problème sera d'articuler tous ces plans entre eux, que les plans territoriaux pour l'égalité réelle soient en phase avec les contrats de plan existant et les projets Mayotte 2025, pacte pour la Guyane, etc...
C'est pour quand cette loi égalité réelle qui s'annonce comme un vrai caramel pour l'outre-mer ?
Victorin Lurel a rendu un pré-rapport à Manuel Valls qu'il doit encore travailler... Mais attention, c'est vrai que si on veut obtenir l'égalité, on va mettre plus de fonds d'Etat et on en aura moins de l'Europe. Il faut voir si ça aura un effet réel de faire comme ça.
Qu'avez-vous prévu pour parer à la fin des quotas sucriers en juillet 2017 ?
J'ai lu récemment que l'on me réclamait 38 millions d'euros. Mais c'est prévu pour 2017 ! Nous n'allons pas leur donner l'argent avant que les quotas soient supprimés. Le président a dit qu'il fallait se préparer à cette échéance et pour s'y préparer, l'Etat devra soutenir mieux les productions et c'est là qu'interviendront les 38 millions d'euros d'aides supplémentaires pour la filière. Mais comme pour toutes les aides, il faut qu'elle soit autorisée par Bruxelles. Il nous faut donc d'abord des données objectives permettant d'expliquer pourquoi il aider davantage la filière. Ces données ont été recueillies l'année dernière. Nous avons transmis ces dossiers et notre dossier à Bruxelles. Mais ce qui m'inquiète, c'est que parallèlement à ça, les grandes sociétés de sucre se réorganisent pour faire face à cette échéance, mais d'une manière qui ne prend pas forcément en compte les intérêts des travailleurs français. La raffinerie de sucre de Marseille va disparaître et nos grandes sociétés présentes à la Réunion ou en Guadeloupe sont en train de retirer les emplois à Marseille pour aller raffiner en Grande Bretagne et en Espagne... On est dans une situation où les entrepreneurs demandent au ministère des Outre-mer de les épauler, mais eux-mêmes retirent leurs billes en France...
La solution passera par les sucres spéciaux, a indiqué Stéphane Le Foll, mais ça pose le problème de l'accord passé avec le Viet Nam. Qu'en est-il ?
Nous avons pris l'engagement de nous battre pour que les sucres spéciaux soient exclus de l'accord international, malheureusement le mandat de la Commission pour négocier ne comportait pas cette clause. Aujourd'hui, un peu comme on a fait pour l'octroi de mer, on est un combat de chiffonnier pour faire retirer des lignes qui désignent tel ou tel sucre, parce que si les 20 000 tonnes du Viet-Nam viennent en sucres spéciaux, on est mort. Nous reprécisons tout cela aujourd'hui et nous pouvons obtenir le retrait des sucres spéciaux des accords internationaux. C'est ce qui s'est passé avec l'Afrique du sud.
Où en est la commission Stora ?
J'ai rencontré les membres de la commission hier. Ils ont dépouillé beaucoup d'archives, posé pas mal de questions aux témoins, examiné l'hypothèse des parachutistes présents en 1967. J'espère qu'ils pourront nous faire un pré-rapport au mois de mars. Pour ma part, j'ai demandé aux maires de Guadeloupe de vérifier en consultant leurs registres s'il y a eu ou pas surmortalité... En tout cas, les membres de la commission Stora m'ont dit qu'ils avaient appris des choses, c'est l'essentiel.
Quel est votre sentiment sur la départementalisation en cours à Mayotte après les déclarations récentes de Mansour Kamardine ou le rapport de la cour des comptes ?
Le rapport de la Cour des comptes relate des difficultés que nous connaissons bien, pour autant, ce n'est pas très souhaitable d'en faire des grands titres, d'essayer d'ameuter les foules. Que veut-on dire par là ? Que la départementalisation de Mayotte n'était pas très souhaitable ? Tous les gouvernements successifs, à tour de rôle, ont continué à peu près dans la même voie de la départementalisation. Il y a des problèmes et nous en sommes conscients. Il faut donner à Mayotte un coup de pouce pour qu'elle avance dans la voie de l'égalité et ça, c'est clair, mais j'ai vraiment l'impression que c'est ce que nous faisons. La situation semble épouvantable, évidemment. Les enfants livrés à eux-mêmes, les écoles surchargées, les bidonvilles... Oui. Par rapport à ce qu'ont connu les Antilles dans les années 1950, on peut se dire que les Mahorais refont tout le parcours de manière accélérée aujourd'hui...
Y compris dans son aspect assimilationniste et perte de repères culturels...
C'est vrai qu'on a détruit un certain nombre de médiations traditionnelles pour qu'ils puissent rentrer de plain-pied dans la République, mais on n'a pas encore trouver des structures de médiation qui soient compatibles avec la société mahoraise et acceptables pour nous.
Quel est votre plan alors ?
Nous avons défini une démarche rationnelle, discuté avec tous pour connaître les priorités, la manière de s'y prendre, quels crédits. Cette démarche concertée, c'est le plan Mayotte 2025. Nous nous sommes donnés dix ans. Plutôt que de pleurer, il faut qu'on se tienne à notre démarche.
Comment résoudre le problème de l'immigration massive ?
Actuellement à Mayotte, on fait autant de reconduites à la frontière que dans le reste de la France. Je comprends très bien que cette situation pourrit la vie des gens. Il y avait un centre de rétention administrative indigne. Nous l'avons reconstruit. Alors quand M. Alain Juppé dit qu'il vaut mieux habiter dans le CRA que dans leurs bidonvilles, c'est peut-être vrai, mais fallait-il laisser le CRA sous un hangar indigne ? A Mayotte, il y a beaucoup d'urgences différentes. Nous sommes dans les affres d'une société qui essaie de se moderniser très vite...
Cette société fragile peut-elle être vulnérable au courant djihadiste radical international ?
L'islam pratiqué à Mayotte est extrêmement paisible et très respectueux de la République. Les tentatives de radicalisation viennent d'ailleurs et les Mahorais ont constaté que les radicaux prosélytes viennent de chez nous, de l'Hexagone. certains sont des fonctionnaires qui peuvent penser qu'ils seront plus à l'aide d'exercer leur religion dans un pays musulman, sauf que la religion des personnels importés est beaucoup plus stricte que la religion traditionnelle des Mahorais. Quand ils ne sont pas d'accord avec une mosquée salafiste, ils la démontent. Nous sommes attentifs à ce qui se passe en raison de la proximité des Comores. Certains comoriens partent étudier dans le golfe... Pour l'instant la société mahoraise ne compte pas encore de personnes radicalisées en nombre inquiétant.
Quid d'un plan de développement avec les Comores depuis Mayotte ?
Nous avons vu l'an dernier avec les jeux des îles que nous sommes dans une sorte de jeu de rôle. Le discours des autorités comoriennes est très dur, ce qui ne facilite pas la mise sur pied d'une coopération qui serait souvent la bonne solution pour que les gens aient un minimum de facilités sur place et n'aient pas besoin de venir accoucher à Mayotte... Nous allons avoir dans la commission de l'océan Indien une voix plus importante et nous devons lancer des opérations concrètes pour améliorer la vie des gens. Sans ça, sans supprimer cet appel à la migration, on n'y arrivera jamais.