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Publié par fxg

Jean-Paul Dubreuil versus Eric Koury, premier set d'un match judiciaire

Mis en examen pour abus de biens d'une société par actions le 15 octobre dernier par le juge Ménard de Pointe-à-Pitre, le grand patron d'Air Caraïbes, Jean-Paul Dubreuil, dans cet entretien exclusif, revient sur un feuilleton démarré en 2001 et s'explique sur cette dernière péripétie judiciaire.

"Nous n'avons jamais dépassé la ligne rouge"

Dans quel contexte s'inscrit votre mise en examen ?

Cette péripétie du feuilleton judiciaire prend racine avec une plainte que nous avons déposée en mai 2001, lorsque nous nous sommes rendus compte que ceux (Eric Koury et Robert Dardanne, NDLR) qui nous ont vendu la société Caribéenne de Transports Aériens (CTA) nous avaient présenté de faux bilans. En contrefeu, mais longtemps après, vers 2004-2005, ils ont déposé une plainte contre nous cette fois-ci en s'adossant à des rapports d'expertise n'émanant pas d'experts judiciaires nommés par un juge, mais d'experts mandatés par eux. Les deux plaintes ont été jointes par le juge d'instruction de l’époque. Puis quatre juges d'instruction se sont succédés sur ce dossier depuis 2001. Quinze ans après, les choses ne sont toujours pas terminées...

A tel point que vous voilà mis en examen...

En octobre 2015, le juge Ménard, le dernier des quatre juges en charge de ce dossier m'a convoqué et, à l'issue de cette entrevue, à ma surprise, a décidé de me mettre en examen alors qu'Eric Koury avait été mis en examen dès l'origine. Il semble que c'était nécessaire pour la clarté du dossier avant de le transmettre au procureur.

De quel abus de biens d'une société par actions s'agit-il ?

En avril 2000, nous prenons le contrôle des compagnies Air Guadeloupe, Air Martinique qui étaient en mauvaise posture en prenant 70 % des actions sur la base d'un bilan en septembre 1999 qui s’est par la suite révélé inexact. Nous nous mettons d'accord sur un prix avec un protocole en fonction des valeurs des actifs y compris les avions. En dehors du prix d'achat de 5 millions, nous apportons environ 10 millions d’euros en compte courant pour faire face aux besoins immédiat de trésorerie de l'entreprise. La mauvaise habitude de l'entreprise et des dirigeants d’alors était alors de ne pas payer ses fournisseurs et de payer ses salariés quand ils pouvaient. Comme ce n'est pas le genre du Groupe Dubreuil, on a injecté progressivement, entre l'augmentation de capital et l’apport en compte courant, plus de 10 millions d’euros. Et comme en décembre 2000, on était au bout de ce que nous voulions apporter en cash, et qu'il y avait toujours des besoins criant puisque de nouvelles factures apparaissaient sur des opérations antérieures, nous devions trouver de nouvelles solutions.

Il vous fallait encore de la trésorerie ?

Pour retrouver de la trésorerie, nous avons regardé ce qu’il était possible de faire. A l'époque, en 2000, nos relations avec les vendeurs étaient plutôt bonnes puisqu'Eric Koury et Robert Dardanne étaient au conseil d'administration. Nous étions alors convenus, pour apporter de la trésorerie supplémentaire, de céder des actifs. Les actifs les plus valables de l'entreprise étaient alors quatre ATR qui étaient en cours de contrat de défiscalisation. Nous avons estimé qu'il y avait une plus value potentielle à venir et nous avons procédé à une cession de promesse d'achat. C'est-à-dire qu'au lieu que ce soit la compagnie qui puisse racheter ces avions au terme du contrat de défiscalisation, on a transféré cette promesse sur une autre structure du groupe qui s'appelle AVI (Air Vendée investissement). AVI a acheté ces promesses, pas les avions, en faisant apparaitre une plus-value immédiate chez Air Caraïbes. Cette plus-value, en même temps que la valorisation de pièces détachées qui ont aussi été cédées, représentaient 10 millions d'euros. C'est donc 10 millions d’euros de plus qui ont été injectés, non pas sous forme d'apport en compte courant, mais sous forme de transfert d'actifs. Cela donnait à notre groupe une meilleure sécurité. Cela nous a également permis en toute légalité et en toute transparence de sauver l’entreprise et les 380 emplois qui la composaient.

Ceux qui vous attaquent participent alors à la prise de décision ?

Cette décision a été prise en décembre 2000 par le conseil d'administration d'alors qui comprenait MM. Koury et Dardanne. Ces derniers ont donné leur accord parce qu'ils se rendaient bien compte qu'il fallait faire cette opération pour sauver l’entreprise.

Et c'est ce qu'ils dénonceront au juge quatre ans plus tard ?

Tout à fait, c’est un peu irréel. En 2004, lorsque l'instruction de la plainte, que nous avons déposée en mai 2001, a commencé à prendre une tournure positive pour nous, sur les conseils sans doute de leurs avocats, ils ont voulu allumer un contrefeu en déposant plainte contre le groupe Dubreuil et son représentant légal. Il y a eu deux plaintes distinctes en 2004 et 2005 pour nous reprocher des abus et des malversations sur la valeur des promesses d'achat d'avions ainsi que sur la valeur des pièces détachées. La justification était de distraire la plainte que nous avions déposée contre eux.

Quand dix ans plus tard, le juge Ménard vous met en examen, comment réagissez-vous ?

Je ne peux pas dire que c'est quelque chose qui me fasse plaisir. Nous savons bien dans cette opération où était le bon droit Effectivement, je suis choqué mais serein parce que j'estime que nous sommes dans notre droit et on peut penser que la justice aboutira à reconnaître les choses qui ont été faites pour le bien de la société et celles qui n'ont pas été faites dans ce sens-là. Aujourd'hui, mon argumentation et mon objectif ont été de dire qu'à l'époque où l'on a pris cette décision, nous essayions de sauver la société qui était en très mauvaise posture. Il y avait 380 employés et si nous n'avions pas fait ça pour trouver des moyens de financement, on se serait retrouvé en état de dépôt de bilan avec toutes les conséquences que ça avait pour les salariés mais aussi pour nous, car il fallait faire évoluer cette entreprise pour la faire sortir du trou.

Cette mise en examen est-elle périlleuse pour le groupe ?

C'est désagréable, mais on peut se poser la question de savoir pourquoi cela a été rendu public... La révélation de cette mise en examen n'a qu'un seul objectif à mon sens, nous nuire. Nous attendons sereinement les étapes suivantes, c'est-à-dire la décision du procureur qui devrait aboutir sur un jugement ou un non lieu, d'autant plus que sur le fond, toutes ces opérations sont prescrites puisqu'elles ont quinze ans.

Mais qu'est-ce que cela peut signifier pour vos salariés, pour l'image d'Air Caraïbes ?

Il faut remettre l'église au milieu du village ! Pour nous, il s'agit de repréciser de quoi il s'agit car on pourrait penser que nous avons procédé à des malversations alors que ce n'est pas du tout le cas et que tout ce qui a été mené n'a été fait qu'avec un seul objectif, faire passer un cap difficile à la compagnie et ce dans le respect le plus total des lois. Et, heureusement qu'on l'a fait puisque l'avenir nous le rend bien avec la réussite que connait aujourd’hui Air Caraïbes. En réalité, nous sommes tombés sur des gens au comportement assez particulier, qui font feu de tout bois pour essayer de nous nuire. Il y a une concomitance de cette action avec celle qui a été menée dès 2001 devant le tribunal de commerce pour trouver des compensations au prix que nous avions payé puisqu'il n'était plus en cohérence avec la réalité de l'actif. Les vendeurs ont été condamnés à nous rembourser le prix que l'on avait payé, environ 5 millions d'euros. Nos adversaires se sont pourvus en cassation et ce pourvoi n'étant pas suspensif, nous avons mis en exécution les paiements de ces 5 millions qui nous étaient dus et c'est précisément cela qui les a certainement pousser à entreprendre ces actions: retirez votre plainte et on retirera la nôtre ! C'est un peu ça en bref.

C'était une démarche faite pour vous impressionner, selon vous ?

Oui, c'est ça, ils ont essayé de nous impressionner... Mais dans un cas, ils ont été condamnés à nous rembourser les sommes versées parce que l'expert judiciaire a conclu que l'actif qui nous avait été présenté n'existait pas. Nous avons engagé des actions qui sont toujours en cours et qui ont commencé à porter certains de leurs fruits, mise en vente de maisons, de mobilier, de saisie d'actions, etc... Cela ne leur a pas fait plaisir, mais c'est simplement un juste retour des choses. Mais comme ils ne veulent pas payer, ils utilisent tous les moyens qui peuvent être soulevés pour nous combattre.

Cette guerre a eu un pendant commercial avec la création d'Air Antilles Express...

Ils ont été condamnés entretemps pour concurrence déloyale pour avoir créé la compagnie Air Antilles Express alors qu'ils étaient tenus par une clause de non concurrence. Ils ont été condamnés à payer une somme relativement dérisoire mais qui ne les a pas empêchés de continuer d'opérer.

Qu'attendez-vous de la justice désormais ?

La décision du parquet. Toutes les décisions qui ont été prises l'ont été avec délibération du conseil d'administration au sein duquel ils votaient. En 2002, il y

y a eu une assemblée générale extraordinaire pour fusionner la société que j'avais créée en 1998 et la société CTA. Cela aussi nous est contesté, mais tout a été fait légalement. Leur plainte est appuyée par des rapports d'experts désignés par eux et qui interpelle un nouveau juge nommé en Guadeloupe, qui trouve ce dossier et qui se demande qui dit le vrai là-dedans...

Les relations ne se sont-elles pas apaisées entre Air Caraïbes et Air Antilles avec le temps ?

Apaisées, je ne sais pas. Nous restons des concurrents, mais tout ça rebondit à travers les épisodes judiciaires.

Avez-vous expliqué cette situation à vos salariés ?

Nos salariés savent depuis longtemps qu'on se bagarre, mais ma mise en examen est très récente et ça ne justifiait pas d'en faire état. La sortie sur la place publique de ma mise en examen nous impose de venir expliquer à tous, salariés et clients, de quoi il s'agit. Ce n'est pas une affaire nouvelle mais tout ce qui a été fait l'a été pour le bien de la compagnie et des salariés. Je défends nos intérêts et les leurs. A l'époque, nous leur avions laissé 5 % des parts alors qu'on aurait pu prendre 100 %. Nous croyions alors à leur bonne foi et c'est arguant de ces 5 % qu'ils disent avoir été lésés par les démarches qui ont été faites, mais qu'ils avaient par ailleurs approuvées. Une situation ubuesque me semble-t-il.

Regrettez-vous d'être venu investir aux Antilles il y a quinze ans ?

A l'époque, je venais de céder la compagnie Régional Airlines à Air France et j'ai trouvé un certain intérêt à redresser cette compagnie. Deux ans auparavant, en 1998, j'avais racheté une petite structure, propriété du CDR, dirigée par Richard Degryse et qui s'appelait déjà Air Caraïbes. Ce sont les vendeurs qui nous ont approchés parce qu'ils savaient que nous étions des professionnels et que nous avions quelques moyens pour s'engager dans cette démarche. Entre 2001 et 2002, on essaie de rationaliser la flotte et le réseau régional sur une exploitation qui est restée déficitaire. 2003 a été pour nous l'année de préparation avec Marc Rochet du dossier long courrier et de l'ouverture de la ligne transatlantique en décembre qui a complètement changé la physionomie de l'entreprise... Au lieu de trouver une solution visant à réduire l'activité, on a pensé à sortir par le haut en profitant de l'arrêt d'Air Lib pour nous positionner sur le long courrier. C'était un pari osé et c'est ce qui a permis à l'entreprise de passer de 380 salariés à 900 aujourd'hui et d'un chiffre d'affaires de 40 millions à 400 millions d'euros. Au-delà de cette péripétie immédiate, je ne regrette pas les décisions que j'ai prises à l'époque en respect des règles d'éthique du groupe. Nous n'avons jamais dépassé la ligne rouge. Le seul problème, c'est que nous avons eu à faire à des vendeurs qui n'avaient pas la même façon de procéder que nous... Mon seul regret est de m'être trompé sur des personnes et, en l'occurrence, c'était le cas.

Propos recueillis par FXG, à Paris

 

 

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