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Publié par fxg

Jean-Paul Moatti, directeur général de l'IRD a rencontré mercredi matin à l'Assemblée nationale les parlementaires Chantal Berthelot et Antoine Karam. Une rencontre qui fait suite à l'accusation de biopiraterie par la fondation France Libertés et la vive réaction des élus guyanais. le directeur général de l'IRD s'explique.

"C'est injuste d'associer l'IRD et la biopiraterie"

Qu'est-il ressorti de cette rencontre avec nos parlementaires ?

Ils nous aident beaucoup pour faire d'une mauvaise chose une bonne. La mauvaise est l'amalgame qui a associé la biopiraterie et le travail de nos chercheurs, alors même que l'IRD cherche à être le plus rigoureux et éthique dans les relations avec les peuples autochtones et plus généralement avec l'outre-mer et les populations du sud, c'est notre mission. La bonne, c'est que, en lien avec les collectivités locales mais aussi avec les ONG qui représentent les peuples autochtones, nous allons pouvoir anticiper la loi sur la biodiversité et les fameux protocoles d'accès et de partage des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées dits APA.

Concrètement, ça veut dire quoi ?

Si le brevet sur les molécules antipaludéennes et anticancéreuses peut être un jour exploité, ce qui n'est pas encore le cas, on partage, suite à un dialogue, les retombées économiques, sanitaires de cette découverte. Et puis, comme l'IRD l'a fait sur le sida, la tuberculose, le paludisme, comme il le fait aujourd'hui sur le zika, ebola, le cancer ou d'autres pathologies, nous soulevons la question de l'accès aux médicaments essentiels de de l'ensemble des populations du sud qui n'ont pas forcément les systèmes d'assurance maladie que nous avons. Nous faisons en sorte que la recherche publique qui collabore nécessairement avec l'industrie pour aboutir à un médicament, prévoit des conditions pour que la molécule soit accessible et à prix abordable pour ces populations.

Considérez-vous que déposer le brevet ainsi était une erreur ?

Ce n'est pas une erreur de déposer un brevet ! C'est notre fonction, c'est même la meilleure manière de défendre les découvertes et les inventions que nous faisons. Ce qui peut être regrettable, c'est que nous aurions pu, même si nous n'en avions pas l'obligation réglementaire, anticiper la loi biodoversité qui n'existe pas encore, mais il n'y a pas eu d'erreur de ce point de vue-là. Le fait de déposer un brevet ne donne absolument aucun monopole sur la plante. Le brevet est sur la molécule. Et si le savoir traditionnel a joué un rôle, il y a eu un énorme travail qui est une prouesse technologique qui a apporté une valeur ajoutée. On connaissait les vertus de cette plante depuis le 17e siècle, mais on en ignorait le fondement scientifique sous-jacent...

Il y a eu tout de même le recours de France Libertés et le coup de gueule de Rodolphe Alexandre...

Je ne me prononce pas là-dessus, mais je considère qu'associer le terme de biopiraterie au problème posé est excessif et injuste pour l'IRD. Nous sommes partout dans le monde pour limiter les effets pervers parce qu'il y en a de la brevetabilité excessive du vivant. C'est un mauvais procès qu'on nous fait ! Une ONG est dans son rôle si elle veut mettre avant des sujets. Je ne me suis pas plaint quand les ONG nous aidaient à soulever la question de l'accès aux médicaments pour le sida, je ne vais pas me plaindre que France Libertés ait mis les pieds dans le plat, mais c'est injuste d'associer l'IRD et la biopiraterie.

Que va-t-il se passer avec les autorités guyanaises ?

L'objectif dont nous sommes convenus avec le secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, Thierry Mandon, est de signer un protocole d'accord qui préfigurera les APA prévus dans la loi biodiversité.

Propos recueillis par FXG, à Paris

Un accord à formaliser

Le directeur de l'IRD va se rendre en Guyane pour rencontrer le président Rodolphe Alexandre et signer un accord. "Le cadre du protocole en préparation doit permettre, selon Chantal Berthelot, à un utilisateur de ressources qu'est l'IRD et un fournisseur de ressources et de savoir faire qu'est la Guyane de s'entendre pour qu'il y ait des retombées pour le territoire et ses habitants." Il s'agit donc d'anticiper le protocole de Nagoya dans le droit français avec les APA. "Nous devons associer étroitement les communautés d'habitants aux démarches futures", avance M. Karam qui propose qu'un débat public à l'université se tienne avec les chercheurs, les élus et les habitants. "Les populations doivent bénéficier de ce qu'on va tirer de ces recherches en termes de reconnaissance, de formation, d'emploi et de royalties."

Thierry Mandon a confirmé qu'il serait en Guyane les 8, 9 et 10 mars mars prochain pour assister à la signature du protocole entre l'IRD et la CTG. Il préfigurera les APA avant même la promulgation de la loi. Il y aura tout de même une difficulté juridique car pour appliquer les APA à la lettre sur le territoire français, le régime de l'article 74 de la Constitution serait plus adapté à la situation guyanaise.

L'arbuste de la discorde

Le quassia amara (simaroubaceae) est un petit arbre cultivé pour le bois et utilisé en médecine traditionnelle comme fébrifuge. Il sert à fabriquer la quinquina de Cayenne appelée communément tisane de Quassia pour lutter contre le paludisme. La substance active, la simalikalactone D, a été découverte en 2006 et brevetée en 2009 par l'IRD.

Le recours de France Libertés

France Libertés, Thomas Burelli et Cyril Costes ont déposé une opposition à une demande de brevet de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) devant l’Office Européen des Brevets (OEB). Ce brevet porte sur une molécule antipaludique contenue dans la Quassia amara, plante largement utilisée dans les remèdes traditionnels guyanais.

La réaction de France Libertés

La Fondation France Libertés estime que les populations autochtones doivent participer à l’élaboration du protocole d’accord entre la Guyane et l’IRD autour du partage des avantages issus de ce brevet.

France Libertés veillera à ce que ce l’accord soit satisfaisant pour toutes les parties prenantes et sera particulièrement attentive à ce que la voix des populations autochtones et locales de Guyane soit prise en compte. Elles seules sont en mesure de définir les éléments essentiels devant figurer dans le protocole d’accord. Cette initiative constitue un pas en avant de la part de l’IRD vers des pratiques de recherche plus éthiques et respectueuses des peuples autochtones. Toutefois, elle ne répond pas pleinement aux enjeux soulevés par notre rapport d’opposition notamment en ce qui concerne les critères de brevetabilité.

L’IRD a mobilisé des savoirs traditionnels. Nous estimons qu’il ne satisfait pas à deux prérequis nécessaires à l’obtention d’un brevet : la nouveauté et l’inventivité. L’étude des chercheurs se base clairement sur la pharmacopée des populations locales. 45 recettes traditionnelles ont été observées puis reproduites par les chercheurs pour leur potentiel antipaludique. Cela a permis d’identifier la Quassia amara comme plante la plus prometteuse. Les populations locales interrogées sur leurs connaissances traditionnelles n’ont pas été informées et n’ont pas consenti au dépôt du brevet. Leur apport en termes de recherche et développement n’est clairement pas reconnu dans le brevet.

L’objectif de notre démarche d’opposition est donc d’apporter les informations nécessaires à l’examen de l’OEB. Il est dans l’intérêt de chacune des parties à ce dossier que l’OEB aboutisse à une décision qui éclairera ces notions d’inventivité et de nouveauté. 

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Pour rappel, le 1er février dans une dépêche AFP, M. Moatti a déclaré : "Le PDG de l’IRD, Jean-Paul Moatti, interrogé par l’AFP, a estimé qu’on faisait à son institut « un mauvais procès ». « On ne mérite pas ça, si la loi sur la biodiversité fixe un cadre juridique, nous serons exemplaires pour le respecter, mais on ne peut pas nous demander d’anticiper une législation », a-t-il fait valoir".<br /> <br /> Quelques jours plus tard l'IRD est prêt à anticiper la loi.<br /> <br /> Le Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l'Institut de Recherche pour le Développement dans son avis sur l’Éthique du partenariat dans la recherche scientifique à l’IRD (2012) définit la biopiraterie de la manière suivante : <br /> <br /> « Un sujet qui prend de plus en plus d’importance et qui mérite une plus grande attention est la bio-piraterie. Elle résulte de l’utilisation, par les entreprises et instituts de recherche, généralement du Nord, de substances actives, issues de plantes ou d’animaux des pays du Sud, sans l’autorisation des instances de ces pays, pour élaborer de nouveaux produits pharmaceutiques ou autres, et déposer des brevets à leur seul profit. Ceci constitue un acte de bio-piraterie. Cela pose aussi la question de l’utilisation de la médecine et des connaissances traditionnelles, dans des conditions analogues ».<br /> <br /> Cette définition s'applique parfaitement au cas de Quassia Amara et des savoirs associés. Il s'agit de la définition de l'IRD.
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