Macron aux Antilles et en Guyane
Emmanuel Macron, candidat à la présidentielle de En marche, aux Antilles et en Guyane. Interview.
"La réponse aux problèmes de l'outre-mer n'est pas le budget de l'Outre-mer"
Les Outre-mer fonctionnent avec deux rouages essentiels : la défiscalisation et les exonérations de charges sociales. Avez-vous la même recette ou en avez-vous une différente ?
Je viens aux Antilles et en Guyane, précisément, pour construire quelque chose de différent. Je viens pour échanger et comprendre. Je ne veux pas y aller avec les mêmes recettes et les mêmes méthodes que depuis toujours, parce que si la défiscalisation ou les grands plans marchaient, on n'aurait pas 50 % de chômage des jeunes, ni une situation qui se dégrade à la fois sur le plan économique et sécuritaire. Je veux élaborer avec les territoires d'outre-mer et les Ultramarins un autre projet. Je ne suis pas à la recherche d'une solution magique, ni dans la promesse intenable. On connaît trop les pères Noël qui arrivent avant les élections présidentielles avec des promesses qui durent cinq ans ! Ce que je veux, c'est expliquer ce que je propose pour notre pays et entre autres pour augmenter le salaire net en diminuant dans le même temps les charges des entreprises pour que le travail paie mieux et que l’économie reparte ; c’est aussi construire un projet dans la durée.
Quelle est votre idée du développement outre-mer ?
Il y a des choses sur lesquelles on peut aller vite car elles dépendent largement des pouvoirs publics, comme le BTP et la construction de logements, ou la réduction des délais de paiement qui font tant de mal à nos petites entreprises.
La problématique qu'on connaît dans l’agglomération de Cayenne sur la question du logement, c'est la même que celle des grandes métropoles de l’Hexagone : c'est un problème de délais, de recours multiples, de documents d'urbanisme et de complexité qui font que quand bien même les décisions sont prises et l'argent est là, les projets ne sortent pas suffisamment vite de terre. Je souhaite échanger sur place avec les élus et les professionnels.
Ensuite, je veux qu'on développe beaucoup plus fortement le tourisme. Il faut accroître les investissements dans ce secteur, notamment grâce à l’aide de la Caisse des dépôts. Le tourisme permet de faire entrer dans la vie active des travailleurs peu qualifiés, et il crée des emplois qui sont non délocalisables.
Il y a, en plus de tout cela, de nouvelles activités à développer, le numérique, ce qu’on appelle la « silver economy », c’est-à-dire tout ce qui concerne les séniors, l'économie de la transition énergétique... Nous avons sur tous ces sujets une expertise qui doit nous rendre optimistes pour l’avenir.
Concernant les minerais, il y a un potentiel de développement économique qui doit se réaliser conformément à notre politique et à nos engagements environnementaux, qu’il s’agisse de l’or en Guyane ou du nickel en Nouvelle-Calédonie.
Avez-vous une stratégie pour les outre-mer ?
Oui : qu’on prenne enfin conscience de la chance qu’ils sont pour la France. Car ils permettent la présence de la France sur tous les continents, donnent aux Français une emprise maritime parmi les plus importantes du monde avec de vraies ressources économiques, représentent un espace pour la francophonie et une capacité à négocier avec toutes les organisations régionales de ces zones. Surtout, car les outre-mer sont l’un des piliers de notre richesse culturelle, et l’une des fiertés de notre histoire commune.
Les normes et règlements communautaires ne favorisent pas les DOM...
Vous avez raison : cela ne fait pas sens d’appliquer les mêmes normes sans tenir compte du contexte local ou régional. Le besoin de différenciation est réel. Je souhaite donc que l'on puisse avoir de vraies discussions sur les normes européennes, sur les normes concernant le logement mais aussi sur les protections commerciales et les politiques agricoles parce qu'aujourd'hui notre analyse, c'est que les territoires ultramarins sont perdant-perdant. C’est pour cela que je pense que la réponse aux problèmes de l'outre-mer ce n'est pas seulement le budget de l'Outre-mer, mais l'adaptation des normes et une meilleure prise en compte des réalités ultramarines par les politiques publiques. Des négociations vont par exemple s'ouvrir au niveau européen pour une nouvelle Politique Agricole Commune. A-t-on la volonté de réinsérer les filières ultramarines dans des discussions communautaires, de développer des instruments français spécifiques ? L'Europe protège et peut être un bouclier également pour les outre-mer.
Qu'allez-vous faire pendant cette visite ?
Je vais aller au contact, comprendre, rencontrer la population, les professionnels, les écouter et construire. Mon deuxième objectif est de prendre quelques engagements clairs en particulier en matière de sécurité. En Guadeloupe, on a vu la criminalité augmenter très fortement ces derniers mois... Là-dessus, je donnerai de la visibilité, en prenant des engagements dans la durée.
Il ne s'agit pas de promettre des choses mirobolantes, mais d’expliquer clairement ce que je propose.
En général, Paris envoie un ou deux escadrons de gendarmerie...
Ce que demandent les populations comme leurs élus, c'est que l'on renforce les forces permanentes. J'ai pris sur le sujet des forces de sécurité, gendarme et police, des engagements d'embauches, stables dans le temps avec une loi quinquennale. J'irai expliquer la part que les territoires d'Outre-mer prennent dans cet engagement. C’est d’ailleurs un sujet récurrent de mobilisation pour Ary Chalus qui m’en a beaucoup parlé.
Avez-vous déjà des soutiens sur place ?
On a déjà des soutiens et j'ai eu beaucoup d’échanges. Je connais très bien le président Chalus et le président Alexandre. J'irai voir aussi le président Marie-Jeanne sur son territoire, même si nous avons moins échangé. J'ai un groupe de travail qui, depuis plusieurs mois, élabore des réflexions, mais je veux pouvoir échanger, consolider sur place.
L'histoire est encore brûlante aux Antilles et en Guyane, François Fillon s'est récemment brûlé les doigts avec la colonisation...
J'irai au Mémorial ACTe en Guadeloupe. Nous avons des mémoires à réconcilier. La reconnaissance de l'histoire du commerce triangulaire, de la traite et de ce qui a profondément meurtri ces territoires de la République est nécessaire. Ca ne peut pas être le déni. Je ne suis ni dans la négation de ce qu'a été la colonisation comme peut l’être la droite, ni dans la culpabilisation postcoloniale comme on peut l'entendre à gauche et à l'extrême gauche. Le bilan de la colonisation est un bilan négatif simplement par le fait qu'il n'a pas été conforme avec notre tradition, nos valeurs et ce que nous portons des droits de l'Homme. La République est indivisible, mais pour l'être elle doit être réconciliée. La reconnaissance n'est pas de la repentance. Il s'agit de donner la juste place à toutes les histoires. La force de notre République, c'est sa capacité à construire la complexité de notre histoire. Les historiens comme Frédéric Régent ont permis de redonner une place dans l'historiographe française aux mémoires et aux histoires ultramarines. Le miroitement de ces histoires, la reconnaissance des crimes rendent une dignité à toutes les mémoires. Nous avons des dettes mémorielles mais on ne répare jamais le passé, pas plus qu’on ne monétise la souffrance de ses ancêtres.
Fallait-il départementaliser Mayotte ? Etes-vous pour la rétrocéder aux Comores ?
Mayotte est sans doute le territoire ultramarin qui a le plus de défis, sécuritaires, migratoires... On a départementalisé Mayotte sans lui donner les moyens d'être un département inscrit dans cette géographie à part. Je crois à la libre disposition de chacun et je suis démocrate, mais nous ferons un travail avec les Mahorais pour évaluer les conséquences de cette évolution.
C'est une question pendante à l'Organisation de l'Unité Africaine...
Elle ne m'a pas échappée. La réponse n'est pas simple et je ne l'ai pas aujourd'hui. Ce territoire a une histoire très particulière dans la République. Le seul endroit où l'on reconnaît un droit coutumier d'inspiration musulmane. Il y a une histoire qu'on ne peut balayer d'un coup, il y a une pression géopolitique, migratoire, culturelle et économique. Le statu quo n'est, en tout cas, pas tenable.
Propos recueillis par FXG, à Paris