TImgad, un film franco-algérien
Timgad le film, ou l'Algérie créole
A l'affiche, depuis ce matin dans l'Hexagone (hélas fort mal distribué — Bodega a eu 9 salles dans l'Hexagone dont une seule à Paris, rien en banlieue !), "Timgad", un film franco-algérien au sujet duquel le quotidien 'L'Humanité' du 21 décembre vante "l'Algérie créole de Fabrice Benchaouche", le réalisateur, on ne peut s'empêcher de penser au Tout-monde d'Edouard Glissant et bien sûr à Franz Fanon à la lecture de ce titre accroché, qui plus est, au-dessus du grand titre sur l'attentat de Berlin... Quel symbole pour ce film où il est question de la décennie noire et du terrorisme islamique en Algérie. Timgad est un site de ruines romaines dans les Aurès, pas si loin d'Hipone dont le Kabyle saint Augustin fût non seulement l'évêque, mais un Père de l'Eglise. Dans ce village, l'instituteur laïcard, Mokhtar (Sid Ahmed Agoumi qui a débuté dans "Z" de Costa-Gavras), formé à l'aune de la révolution algérienne de Ben Bellah, dispose enfin dans sa classe de onze garçons pour constituer son équipe de foot. Ces onze minimes sont tous nés le même jour, 4 décembre 1996. Et s'il n'y avait eu aussi cette même nuit magique, la naissance de Naïma (photo ci-dessus), interprétée par la jeune actrice algéroise Fella Bennini, 13 ans et un destin de ministre (!), la fille de l'épicier Larbi (Lofti Yahya Jedidi), ils seraient douze dans la Juventus de l'instituteur Mokhtar, sponsorisée par Larbi et sa "pisserie fine".
Roger Le Mer...le et le bataillon de Joinville
Pieds nus, jouant dans la rocaille, les gamins de la Juve, assis au pied de l'arc de triomphe de Trajan, aidés miraculeusement par l'ingénieur des cailloux, Djamel l'archéologue beur (Mounir Margoum, à l'affiche aussi dans Divines), un ancien du bataillon de Joinville avec trézéguier, Henry et Roger Le Merle (!), se battent pour accéder à la grande finale des minimes d'Algérie qui les propulserait au Stade Vélodrome en présence de Zizou ! Pour créer ce monde baigné dans une atmosphère musicale de néo-réalisme poétique italien, à cheval entre Dom Camillo et Pagnol, le montpelliérain Fabrice Benchaouche est allé cherché le musicien Ludovic Beier et le dramaturge Aziz Chouaki. C'est ce dernier, l'auteur de "Les Oranges" et de "L'Etoile d'Alger", qui a dialogué ce scénario avec cet esprit si cher à Edouard Glissant, la créolisation, la sublimation du passé colonial et esclavagiste dans un métissage du monde par rhizomes, les langues, les histoires. Il y a du kabyle, de l'arabe, du français et, foot oblige, de l'italien dans ce film. De toute façon, Mokhtar l'instit' aurait pu aussi bien être interprété par Raimu que par Vittorio Gassman, tant Sid Ahmed Agoumi a compris que ce n'était pas un rôle, mais un personnage qu'on lui offrait.
La Juve va en chier, mais elle ira à Marseille. Depuis son prix du public-Midi-Libre au Cinémed de Montpellier en octobre dernier, on a dit au sujet du premier long métrage de Fabrice Benchaouche : "A real feel good movie" et c'est vrai qu'il y a tant d'espoir dans ce film qui révèle une Algérie autre, inédite et inimaginée de ce côté-ci de la Méditerranée, où les filles se mettent du "rozozongle" et les enfants boivent du "gazouze", qu'on a l'impression que c'est l'Algérie qui sauvera le monde de Daesh ! Fabrice Benchaouche nous rappelle la leçon que l'on peut tirer de "La poétique de la relation" d'Edouard Glissant, sans oublier de rire.
FXG, à Paris