"Il a déjà tes yeux", le dernier film de Lucien Jean-Baptiste - interview côté ciné
"Il a déjà tes yeux" (1h35)
Avec Lucien Jean-Baptiste, Aïssa Maïga , Zabou Breitman, Vincent Elbaz, Marie-Philomène Nga, Delphine Théodore, Bass Dhem et Michel Jonasz.
Le réalisateur et comédien martiniquais a sorti son 4e film, "Il a déjà tes yeux", mercredi dernier dans 400 salles de l'Hexagone et annonce déjà qu'il prépare "La deuxième étoile".
Le pitch
Paul est marié à Sali. Tout irait pour le mieux s’ils arrivaient à avoir un enfant. Jusqu'au jour où Sali reçoit l'appel qu'ils attendent depuis si longtemps : leur dossier d'adoption est approuvé. Il est adorable, il a 6 mois, il s'appelle Benjamin. Il est blond aux yeux bleus et il est blanc. Eux… sont noirs.
"C'est un film sur la liberté de vivre ses rêves"
Après la première séance de mercredi, votre film était déjà tête du box office (100 000 entrées en deux jours)...
Je suis très fier qu'un film martiniquais ait battu les films américains ! Mais je ne suis pas tant fier des entrées, mais fier que le message du film qui défend le vivre ensemble et le respect séduise un nombreux public.
Dans "La première étoile", comme dans "30° couleur", vous aviez un complice déjanté à l'écran avec Edouard Montout, cette fois, vous donnez ce rôle à Vincent Elbaz, pourquoi ?
Elbaz, c'est le "foulosophe", le personnage dans lequel j'ai mis le plus de moi-même, paradoxalement de ma vision globale des choses. René de Obaldia, le doyen de l'académie française, m'a dit : "Quand les hommes comprendront que nous vivons sur une tête d'épingle, ça pourrait ouvrir les yeux de certains..." Le monde est en pleine évolution et ceux qui essaient de dresser des murs et des frontières n'y arriveront pas. C'est la marche du monde. On était tous dans une grotte et on en est tous sortis. A partir de la, il faut aller à la rencontre de l'autre, ne pas avoir peur des différences. Il faut lutter contre ces peurs...
C'est le Tout monde...
Bien sûr, on est complètement là-dedans, le tout, le un, l'universel. C'est ce que je défends. Je suis arrivé en France à l'âge de 6 ans et on m'a fait comprendre que j'étais différent. Mais différent de qui, de quoi ? Elle est où la norme ? Qui impose les codes, qui définit les formats ? Depuis que je suis gamin, mon crédo, c'est que la différence ne doit pas créer l'inégalité es chances. Ce n'est pas parce que tu es Antillais que tu es obligé de travailler à la Poste ou de jouer au football ! C'est un film sur la liberté de vivre ses rêves quelle que soit son origine, son statut social.
Avec ce film, vous ouvrez la porte d'une famille noire en France et l'on se rend compte que ce n'est pas différent que dans d'autres familles...
J'ai toujours joué avec les préjugés, avec les clichés. Je les prends pour les tourner en dérision, car il n'y a rien de plus ridicule que de juger quelqu'un sans le connaître. On regarde l'emballage ! Chaque personnage de mon film, je l'ai nourri d'un point de vue, d'une position par rapport à l'autre. Il y en a qui comprennent la différence, qui essaient de s'adapter, de s'adopter. C'est pour ça que le thème de l'adoption en toile de fond est précieux : aimer, essayer de comprendre des gens qui ne nous ressemblent pas...
Vous faîtes allusion au personnage de Zabou Breitman qui tient le rôle de l'empêcheuse de tourner en rond ?
Le personnage de Zabou, il est comme celui de plein de gens qui, face au changement ont peur. Et les médias, les politiques jouent avec ça en permanence, d'autant qu'on est en période électorale. alors, il faut choisir un camp alors qu'il n'y a pas de camp à choisir... Effectivement, il y a des problèmes, mais essayons de les régler sans y mettre des paramètres de peur. Le problème viendrait de l'autre parce qu'il est Arabe, parce qu'il est Antillais, parce qu'il est Noir ? Non, il faut regarder l'autre de façon plus humaine... C'est ce que j'essaie de raconter parce que ce sont des choses dont j'ai énormément souffert. Il a fallu que je me batte contre ça, contre ces cliches, pour vivre mon rêve et c'est ce que je souhaite au plus grand nombre. On me dira que je suis comme Sisyphe qui pousse son rocher qui retombe tout le temps, c'est pas grave, il faut continuer ! Si ce n'est pas moi, d'autres prendront le relais. J'ai envie que demain, les petits Antillais, s'ils voient ce film, se disent qu'ils peuvent devenir réalisateur.
Vous avez dit un jour que ce qui comptait, c'était de s'y mettre, le travail...
Je ne sais plus si c'est Malcolm X ou Martin Luther King qui disait que tous les moyens étaient bons. S'il faut faire des quotas, faisons les, ils dureront tant qu'ils dureront. René Char disait : "Ils s'habitueront." Et bien, on s'habituera !
C'est pour ça que vous avez réalisé ce documentaire, "Pourquoi ne nous détestent-ils ?"
On s'étonnait, il y a dix ans, qu'un Noir présente le JT de TF1. Et le lendemain dans un média national, on lisait qu'il s'exprimait dans un français parfait... Ca veut bien dire que l'image qu'on a, toutes ces images post-colonialistes du gentil Noir, le bon sauvage, sont encore là. Il faut déconstruire toute cette pensée. C'est ce qu'ont fait tous nos intellectuels, les Confiant, les Chamoiseau...
Et que vous faîtes au cinéma...
Quand j'ai fait "La première étoile", cette famille d'Antillais qui part au ski, pour résumer, des Noirs à la neige, mais ce n'était pas que ça... C'était l'histoire de ma mère et l'histoire d'un père qui, sans argent, devaient apporter du rêve à leurs enfants. Et là, avec "Il a déjà tes yeux", c'est une histoire d'amour. Ce sont trois personnes qui se rencontrent et qui s'aiment et leur histoire devient impossible à partir du moment où l'enfant est présenté à la famille et à la société. Imaginez un Martiniquais qui présente sa petite amie guadeloupéenne... Ca doit causer dans les foyers, voilà ! Il faut faire tomber toutes ces choses là. On s'amuse avec ça ! Les préjugés sont chez les Blancs, chez les Noirs, ils sont partout ! On a tous des préjugés et moi, j'aimerai qu'on se méfie de nos préjugés, puisque c'est ça qui ne fait pas avancer certaines choses.
Pourquoi avoir choisi un registre plus frontal avec "Pourquoi nous détestent-ils ?" ?
Quand j'ai rencontré Henry de Lesquen (le patron de radio courtoisie, ndlr), j'avais très peur, mais je me suis dit qu'il fallait aussi être dans le frontal, au-delà de la comédie, du cliché et de la rigolade. Là, dans le documentaire, dans le réel, on se rend compte qu'il y a des gens vraiment dangereux, qui balancent des idées vraiment nauséabondes.
C'est lui qui a critiqué l'élection de la Guyanaise Alissia Aylies au titre de Miss France, disant : "Il convient que la demoiselle qui représente la France soit de race caucasoïde."...
Les vrais racistes, on aura du mal à les changer, mais les gens qui sont du bon côté, il faut les rassurer et ceux qui auraient des envies d'aller vers ce que je cois le mauvais chemin, il faut essayer de les aider dans leurs réflexions. Henry de Lesquen me disait : "Vous, je vous garde." Mais au nom de quoi ? Ses fans, ils ne font pas de distinction, puisque pour lui, nous sommes des congoïdes, ils s'en moquent que l'on soit d'origine antillaise, puisqu'on est noirs... Il faut continuer à aider les gens dans leur réflexion et c'est ce que je fais avec mes films. Ma religion, c'est l'éducation !
Et maintenant, quels sont vos projets ?
"La deuxième étoile", avec la même équipe. Toute la petite famille antillaise va aller fêter Noël à la montagne et bonne-maman va vouloir organiser un chanté Nwel. J'aime bien être le gardien de certaines traditions ; dans nos déplacements, on ne doit pas tout perdre ! Je vais faire chanter Noël aux Savoyards et à la France entière !
Propos recueillis par FXG, à Paris