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Publié par fxg

M'Hamed Kaki et les crimes coloniaux

M'Hamed Kaki, animateur de l'association nationale Les oranges, organise à Nanterre, le 29 mars, un colloque intitulé "crimes coloniaux", avec ce sous-titre : "Comment lutter contre les violences racistes aujourd'hui ?". Rencontre avec un Français héritier de l'immigration coloniale.

"Discriminés de tous pays, regroupez-vous !"

La date de votre colloque n'est pas anodine, c'est l'anniversaire des massacres commis à Madagascar il y a 70 ans...

En trois jours l'armée française a massacré 100 000 personnes, des civils, des paysans qui se sont révoltés contre l'injustice. Il y a cinquante ans, la police a massacré en Guadeloupe. Les crimes coloniaux impliquent la question de leur reconnaissance, comme pour l'esclavage... L'esclavage est lié au système de domination coloniale. C'est la même répression.

Vous insistez sur la reconnaissance, pourquoi ?

La reconnaissance par l'Etat français de l'ensemble des crimes coloniaux est liée à l'accès aux archives, à l'accès à un lieu mémoriel dans lequel seraient présentés ces crimes coloniaux, mais également les hommes et les femmes qui ont été très courageux dont bien évidemment Fernand Yveton et Frantz Fanon.

N'existe-t-il pas déjà le musée de l'immigration ?

C'est une avancée, mais il n'est pas co-construit. Il est fait sans les Français héritiers de l'immigration coloniale, sans les acteurs de l'histoire de l'esclavage. Nous ne sommes jamais consultés pour dire quel type de lieu et comment pourrait être ce lieu. Nous demandons à la puissance publique de réfléchir avec nous sur ce lieu mémoriel des crimes de la France.

Même la caution de Benjamin Stora ne vous suffit pas ?

Elle ne nous suffit pas et ça nous paraît un peu lisse parce qu'elle ne porte pas la "totalité", pour citer le sociologue algérien Abdelmayek Sayad. La totalité, c'est rassembler les notions d'émigrés/immigrés. Si je prends l'exemple des Antillais avec le Bumidon, on voit bien comment on a construit, formaté les choses. C'est un parti pris puisqu'on n'a pas développé les Antilles de l'intérieur, on a préféré les laisser sous perfusion, les mettre dans des situations de dépendance. Dès le départ, c'est une stratégie et c'est ça le poison colonial. D'une certaine manière, les Antilles restent une  colonie puisque les injustices aujourd'hui sont flagrantes et que la question de la dépendance est toujours là. La question de la totalité de l'histoire est celle que nous souhaiterions aborder dans un lieu mémoriel et ce détour socio-historique nous permettrait d'aborder les questions actuelles.

Vous dîtes que le colonialisme et la colonisation ne sont pas terminés, pourquoi ?

Le processus continue autour de la Syrie, de l'Iraq avec des stratégies de guerre civile, de diabolisation... Et avec une nouveauté, la mise en oeuvre du concept d'islamophobie. Il vise une population pour faire une diversion qui semblerait épargner les non musulmans. C'est une duperie totale ! Ce sont les métèques qui sont visés, tous les métèques dans l'intention fascisante d'une partie de la police... Il y a toujours sous-jacent un processus d'ethnicisation des rapports sociaux. Tous les Français héritiers de l'immigration coloniale et du système esclavagiste souffrent de la relégation sociale dans des quartiers, des départements, des zones où il n'y a aucun champ du possible pour nos enfants. C'est ça une des manières actuelles de reproduire, c'est la ségrégation spatiale, sociale...

C'est le lien que vous faîtes entre cette histoire et ce qui s'est passé à Aulnay-sous-Bois ?

Ce qui s'est passé à Aulnay, ce qui se passe en Seine-Saint-Denis, est le fruit de cette ségrégation, de cette discrimination... La majorité des faiseurs d'opinion et des conseillers du prince oublient complètement cette dimension sociale et ethnicisent les rapports sociaux. C'est le communautarisme, la religion leur grille de lecture. Certains intellectuels perpétuent par leurs violences verbales la disqualification. Au-delà de la violence policière, comme dirait Bourdieu, il y a la violence symbolique et c'est celle-là la plus grande des violences. Quand tous les jours, on vous montre du doigt parce que vous êtes black, arabe, parce qu'on vous dit que vous n'êtes rien, un néant, c'est ça qui est violent pour nos enfants et qui empêche toute perspective de développement d'un être humain, d'un Français tout court quand tout contribue à dire en fait qu'ils ne sont pas français... La violence policière n'est que l'une de ces expressions là, elle est portée par les faiseurs d'opinion qui nous assènent tous les jours des violences symboliques. Discriminés de tous pays, regroupez-vous !

Tous concernés ?

La stratégie est de nous renvoyer en permanence au communautarisme quand nous parlons de justice et d'histoire ! De même qu'aujourd'hui, laïcité est employé quand on veut exprimer le racisme et l'islamophobie. Derrière ça, on cherche à nous atomiser dans des causes différentes, des guerres de mémoires... Il y a simplement un concept général qui s'appelle "crimes coloniaux et esclavage", et c'est ce que nous voulons rappeler à l'occasion des 70 ans du massacre malgache et des 50 ans de mai 1967 en Guadeloupe. J'ai écrit une pièce de théâtre sur le massacre du 17 octobre 1961 qui s'appelle "La pomme et les boutons". Par le théâtre, par des voies pédagogiques, on peut sensibiliser jeunes et moins jeunes à l'histoire.

Vous avez du apprécier la déclaration de Macron sur la colonisation, crime contre l'humanité...

Nous allons prochainement interroger les candidats sur cette question coloniale. Macron s'est déjà positionné, après on verra le maçon au pied du mur. Mais c'est déjà pas mal ! Je trouve assez courageux d'avoir dit ce qu'il a dit. C'est dommage que ça vienne de lui et non pas de nos pseudos amis de gauche.

Pourquoi la gauche ne vous suit-elle pas ?

Parce qu'elle est mouillée jusqu'au cou. Dans toute l'histoire, elle a été aux manettes, du côté du manche et elle ne s'en est pas privé pour cogner très fort sur les indigènes, les gens sans statut... Les pouvoirs spéciaux en 1956, l'Irak en 1991, c'est la gauche. Le  27 février 1983, le Premier ministre écrit dans Le Monde sur les grévistes maghrébins de la CGT de Boulogne-Billancourt. : "Ces gens-là n'ont rien à voir avec les réalités sociales françaises, ce sont des gens qui sont manipulés par l'islamisme international." Voilà le début du déplacement de la question sociale à la question ethnique, cultuelle. On a donné à une revendication sociale une dimension religieuse.

Propos recueillis par FXG, à Paris

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