Patrick Karam et la crise en Guyane
Patrick Karam redoute un embrasement des outre-mer
Patrick Karam, ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'Outre-mer et ancien président du CReFOM, dans une tribune dans le Figaro, fait un parallèle entre la crise guyanaise et celle de 2009 pour mettre en garde contre un embrasement de tous les outre-mer. Interview.
"L'obstination du gouvernement annonce un embrasement généralisé"
Quel lien faites-vous entre la crise sociale de 2009 et celle de la Guyane aujourd'hui ?
En 2009, le gouvernement n'avait pas su prendre à temps la mesure de la crise et il avait dû envoyer en urgence le secrétaire d'Etat à l'outre-mer négocier avec les grévistes pour éviter un bain de sang. Le président Sarkozy avait dû ensuite s'investir personnellement en lançant des états généraux des outre-mer qui avait accouchés de mesures importantes, puis leur avait donné une visibilité en faisant de 2011 l'année des outre-mer. Le mouvement social de 2009 et les revendications du LKP avaient commencé en 2008 en Guyane sur la question de la cherté de l'essence avant de faire tâche d'huile.
Vous pensez que le gouvernement aurait pu l'éviter en 2009 ?
Tout aurait pu être évité. Le refus du gouvernement d'écouter élus et sociprofessionnels guyanais sur la cherté de l'essence, avait conduit à la paralysie de la Guyane par la rue et à une baisse des prix qui allait bien au-delà de la revendication initiale. Le LKP en avait tiré les conséquences et engagé un mouvement social inédit par sa forme et son ampleur et agrégé tous les mécontentements qui avaient conduit à une prise de pouvoir par la rue et un discrédit de la classe politique guadeloupéenne. D'autres territoires ultramarins avaient suivi le mouvement.
Et aujourd'hui ?
Le scénario semble se répéter en Guyane avec la circonstance aggravante de l'union sacrée du territoire autour d'un ensemble hétéroclite de revendications portées par des acteurs qui ont débordé le pouvoir politique local, contraint désormais au suivisme sous la pression sociale. L'obstination du gouvernement, comme en 2009, à refuser d'ouvrir les négociations en Guyane même au niveau ministériel malgré les revendications répétées et désormais agrégées de tous les élus guyanais, des 37 syndicats réunis autour de l'Union des Travailleurs Guyanais, des agriculteurs, des pécheurs, des multiples collectifs citoyens, et à la différence de 2009, avec le soutien de tout le patronat, annonce un embrasement généralisé et des risques de métastases dans les autres territoires ultramarins.
Quel impact ont eu selon vous les tergiversations autour de la signature du Pacte d'avenir pour la Guyane ?
Le président de la CTG a refusé de signer le Pacte d'avenir en raison des dizaines de millions d'euros dont a été privée la Guyane par le vote du collectif budgétaire rectificatif de 2016 sur l'octroi de mer. Cela a laissé pensé que le gouvernement donnait d'une main avec le Pacte d'avenir ce qu'il reprenait de l'autre. Le coup de force pacifique du Collectif des 500 Frères qui s'est créé pour dénoncer l'insécurité pendant la conférence internationale de la convention de Carthagène à laquelle participait la ministre Royal a signé le départ d'une prise de conscience. En raison de l'impuissance des élus, la rue s'est dit qu'elle devait imprimer des combats et les gagner en étant peu regardant sur les méthodes. Avec quatre fois plus d'homicides qu'à Marseille, la Guyane se rapproche de ses voisins brésiliens et guyaniens et dépasse le Surinane en termes de taux d'homicides par habitants.
En quoi le gouvernement se tromperait-il ?
En refusant toute discussion au niveau ministériel, le gouvernement prend le risque d'être accusé de mettre en œuvre la théorie du chaos et de la violence pour discréditer le mouvement social et éviter l'engrenage des revendications dans les autres territoires ultramarins et même dans l'Hexagone. Pourtant, ce mouvement, comme en 2009, a le mérite de mettre en lumière le profond malaise des sociétés ultramarines lié à l‘échec de la départementalisation.
Vous proposez une solution ?
Il faut des ministres responsables qui répondent à la demande unanime des acteurs guyanais et se rendent sur place pour trouver une sortie honorable avant qu'ils ne soient contraints à le faire avec un prix politique plus lourd en raison d'une situation détériorée par les débordements violents et le risque d'embrasement généralisée en cas de bavures des forces de l'ordre. Il faut ensuite considérer la légitimité des demandes de remise à plat du système. Les DOM souffrent de chômage, de vie chère et de pauvreté, et d’injustice aussi. Le temps est venu de tourner la page et de changer de perspective.
Propos recueillis par FXG, à Paris