Livre Paris- ITW Joël des Rosiers, auteur du recueil de poèmes "Chaux" chez Triptyque
Le lauréat poésie du prix Fetkann à l'honneur
Les organisateurs du prix Fetkann-Maryse Condé ont remis à Joël des Rosiers le prix poésie qui lui été décerné en novembre dernier pour son ouvrage "Chaux" publié chez Triptyque. Interview de l'auteur poète et psychiatre haïtien établi au Canada.
"Chaux est l'écriture divine"
Derrière le titre "Chaux", ne se cache-t-il pas une histoire d'enfantement puisque vous commencer avec le terme "iles" sans accent circonflexe, ancien nom médical pour désigner les os qui forment le bassin ?
"Chaux", c'est effectivement cette vision de l'enfantement et le mot "ile" renvoie à ce bassin dont nous venons tous. "Iles" est la première partie, suivie de "Voiles" et enfin de "Batteries".
Alors pourquoi "iles" ?
La chaux a été pour moi une substance minérale, mais aussi une odeur, une mémoire. Nourrisson, j'ai été intoxiqué par la chaux. Les médecins ne savaient pas ce que j'avais, mais mon père a eu l'intuition, que les émanations de chaux étaient responsables de ma détresse. Il a déménagé pour m'en éloigner et nous installer dans une belle maison créole aux Cayes, entourée d'un jardin, d'une roseraie, non loin d'une belle rivière... Cependant, un homme n'échappe pas à son destin. Sur le terrain de cette maison, il y avait un four à chaux. Et ce four a été mon terrain de jeu. J'ignorais encore tout de mon histoire, mais cette odeur de chaux a été ma madeleine de Proust. La chaux a été pour moi un poison et un médicament. Cette idée qu'une épreuve puisse être un enrichissement est à l'origine de ce livre. Pour autant, je n'y raconte pas cette histoire ainsi, c'est recueil de poésies. J'ai abordé les falaises de chaux, de craie dans leur émerveillement. Le mot lui-même est à double sens, il peut-être la chaleur, chaud, chaux... Et cet émerveillement là est lié à une tradition poétique profonde, ancienne autour de la chaux. Aux Antilles, elle est présente chez Saint-John Perse, Aimé Césaire, Edouard Glissant, Fernando Pessoa... La chaux est le mortier de l'humanité, ses sédiments avec ses fossiles. La chaux est en nous et elle crée un cycle éternel. Un mur de chaux est un mur qui s'épaissit. Eteinte d'abord, elle devient vive avec la pluie, se déshydrate et insère tout ce qui s'est déposée sur elle... La chaux, c'est mystérieux et c'est ce mystère que j'ai voulu conter en poésie.
Pourquoi les "Voiles" ?
La chaux nous conduit vers l'enfantement, vers le mystère du féminin. La bassin féminin est notre premier berceau et il est comme le mur de chaux qui s'élargit pour nous accueillir... "Voiles" est à entendre dans les deux sens, la voile de la barque et le voile qui masque plus qu'il ne cache le mystère. Chaux est l'écriture divine puisque dans le livre de Daniel, il y a ce moment extraordinaire où la main coupée de Dieu inscrit sur un mur de chaux trois mots que personne ne comprend. On fait venir le prophète Daniel qui est un poète et qui arrive à les décrypter...
Et pourquoi les "batteries" ?
Après la naissance, l'enfantement et la mort, arrive la femme. "Batteries", c'est à la fois les batteries de cuisine, de musique et les batteries militaires qui s'étalent sur les côtes de la Guadeloupe, de Sainte-Rose à Trois-Rivières. a la pointe Batterie, il existe des vestiges de canons et de fortins en chaux qui m'ont beaucoup émus quand je les ai visités. Mon ancêtre, François Rigaud était le bras droit haïtien de Delgrès. Il est venu de Saint-Domingue en 1801 après la guerre du Sud entre Toussaint Louverture et les Rigaudins qui l'avait perdue. Les trois frères Rigaud étaient révolutionnaires, mais hélas pour eux, mulâtres. Le général André Rigaud s'est réfugié dans les îles vierges, Antonin Rigaud à Curaçao et François Rigaud en Guadeloupe porter l'extraordinaire révolution haïtienne. A l'arrivée de Richepance, François Rigaud est parti aux Saintes déguisé en femme et a été rattrapé et pendu sur une de ces batteries... Il a été ensuite inhumé dans la chaux.
C'est donc tout ça ce recueil et ce titre "Chaux" ?
J'ai voulu aussi que ce soit un objet esthétique. Le livre est comme ces falaises de calcaire, blanc, lumineux et recouvert d'un voile de mylar, un matériel fait de chaux. La chaux était utilisée dans l'industrie sucrière pour blanchir le sucre, dans celle du vin pour l'équilibre du ph. Aux Antilles, les arbres étaient peints à la chaux sur une partie du tronc et ces arbres blancs étaient aussi un mystère.
Pourquoi avoir utilisé le médium de la poésie ?
J'étais poète enfant ; j'ai appris à lire et à écrire à 2 ans. Mes cousins adoraient venir à mon anniversaire, car je leur donnais mes cadeaux s'ils me donnaient des livres sans illustration parce que j'étais fasciné par les mots, par le dictionnaire. Je me sis amusé très tôt avec les mots et ça m'a conduit à la rime, la poésie, au souffle puisque j'ai du apprendre à respirer après avoir failli mourir quand on m'a mis bébé dans un cercueil après que je fus étouffé par les vapeurs de chaux... Ce sont les mots qui m'on t réappris à vivre. Je suis devenu médecin et poète en honneur sans doute de vieux rapport entre littérature et médecine depuis Homère, Empédocle, Céline, Fanon jusqu'à Lacan... Ces nombreux médecins écrivains ont su porter ce regard double sur la vie, la mort et qui remettent aux hommes ce don insidieux de leur souffrance .
Propos recueillis par FXG, à Paris