Joey Starr aime le rhum
Joey Starr et DJ Mike Moody sont partis en Guadeloupe, Martinique et Réunion à la découverte du rhum. Ca s'appelle "La route de la soif" et c'est sur Viceland le 23 janvier.
"On peut aimer le rhum, on peut aimer l'ivresse et être digne !"
Qu'est-ce que c'est que cette "route de la soif", un film documentaire touristique ou un film initiatique ?
C'est quelque chose de très en surface, deux Négropolitains en vadrouille dans les îles. On pourrait dire que l'alibi qui fait la raison, c'est la culture ilienne, mais la vraie raison, c'est le rhum. Après, forcément, le rhum a toute une histoire donc, derrière, on a naturellement des questions à poser aux gens qu'on rencontre et puis savoir qui ils sont aussi.
Le rhum est la porte d'entrée que vous avez choisie pour entrer dans cette histoire ?
C'est la porte d'entrée, mais réelle ! Ils ont su que j'avais l'alcool digne, que j'étais capable, après quelques lampées, de tenir une conversation avec des gens qui ont des choses à dire, qui sont atypiques de par l'éloignement, de par le fait que ce sont des iliens... le spectre est large !
Vous décidez d'aller à la distllerie Damoiseau parce que vous l'avez entendu, en 2009, inviter ses compatriotes à aller voir comment ça se passe au Sénégal. Qu'avez vous appris de cette rencontre ?
Déjà, on ne va pas voir les gens pour leur cracher ou leur pisser sur la gueule ou pour faire une interview et aller dire après "blablabla"... Moi, c'est pas mon genre ! On va le voir. Il sait, on sait. On est allé le voir parce que le mec, il est brut de pomme et ça nous permet aussi de voir, dès les premiers épisodes, si nous aussi on se sentait capable de poser nos couilles sur la table, avec une certaine mesure, parce que le programme n'est pas là pour vendre une idéologie. C'est un programme festif !
Alors, vous l'avez trouvé comment ?
C'est un béké ! Mais le béké est lui aussi originaire du coin ; il fait partie de l'histoire du coin et on ne peut pas revenir là-dessus. L'histoire est ainsi faite et il faut composer avec, même si ce n'est jamais évident.
Quel est votre rhum préféré ?
Mon rhum préféré (il regarde la bouteille de Damoiseau 5 ans d'âge posée sur la table), il est caribéen, soit de Martinique, soit de Guadeloupe pour l'heure. Mais on va aller à Haïti prochainement... Mon rhum préféré, c'est à l'humeur ! Même si mon coeur balance pour le rhum de la Martinique, pour Neisson, pour JM... Mais bien sûr que Bielle, c'est le soleil !
Vous avez appris ce qu'est un rhum agricole par rapport à un rhum industriel ?
Je savais déjà, mais quand tu as les deux pieds dedans, forcément, ça s'inscrit différemment. J'ai appris plein de choses ! Je ne suis pas arrivé en territoire conquis une seule seconde. J'ai adoré les écouter tous. Parce que, il y a un principe qui est le même, ils ont tous une façon de te parler, c'est une chanson à mes oreilles ! Je suis allé voir le collectionneur qui me met un Longueteau à 75.9 dans gueule... C'est un des rares moments où c'est tombé comme une balle de ping pong et c'est remonté direct. J'ai eu des spasmes... J'ai été ménopausé pendant cinq minutes ! Voilà, il y a des gens qu'on prend plaisir à écouter !
Vous dîtes au début de la série que votre père a arrêté de manger du piment et de parler créole pour que vous soyez bien Français, avez-vous appris des choses sur vous-même ?
On apprend ce que que c'est cette espèce de fierté caribéenne qui s'inscrit par rapport à toute la mémoire... A chaque fois que je vais aux Antilles, quelque part, il y a des choses qui me reviennent à la gueule !
Et la Martinique, terre de vos parents, vous avez ressenti quoi, appris quoi ?
Quant à dire ce que ça m'a appris, c'est un peu plus global que ça ! Je comprends un peu plus le caractère rugueux antillais à chaque fois que j'y vais, c'est surtout ça en fait.
Ca vous a permis de comprendre pourquoi parfois l'Antillais est mal vu de l'Africain ?
Attends, les mecs nous ont échangé contre un peu de verroterie et de tabac ! Si on est mal vu par eux, ils sont bien gentils, mais on n'avait rien demandé au départ ! Ils sont gentils les mecs ! Ca, c'est un truc qui ne s'adresse pas à cette génération-là, ni à la génération d'avant... Faut arrêter les conneries ! Mal vu... Pardon... Mal vu de quoi ? Excusez-nous si on est mal vus ! Justement, on recommencera plus jamais !
Et pourtant, dans la série, vous avez rencontré quelqu'un de bien vu partout et qui a fait la synthèse, c'est Jacob Desvarieux...
Monsieur Jacob Desvarieux ! Ce qu'il représente, lui et les autres, c'est déjà une fierté ! Ces gens sont allés aux quatre coins de la planète chanter en créole ! Ils ont élargi les horizons du créole et d'un seul coup, il y a des gens aux quarre coins de la planète qui savent où se trouvent les Antilles et pas seulement à cause du rhum, mais pour un truc culturel propre ! Ils ont fait voyager le zouk, cet extrait de la culture créole, partout et sans y avoir mis de français, en étant resté intègre sur cette histoire. Ca me suffit amplement.
Vous êtes allé à la découverte des tanbouyés, de la jeunesse et vous abordez le chômage, la violence... C'est un enchainement que vous avez recherché ?
Non, il y a des gens qui sont venus nous voir et ça s'inscrit naturellement quand on vient vous chercher...
C'est surprenant...
J'espère bien que c'est surprenant ! Moi, je regarde ça comme un gamin ! Je me regarde, je me vois... Parce que tu nous as pas vu à la Réunion ! Je suis avec un zig qui fait des rhums arrangés. Un de ses potes arrive et fait le beau et finalement le mec, il finit couché alors que nous on commande des pizzas après et qu'on a bu quatre fois plus que lui. C'est marrant ce petit truc. Partout on est arrivé, il y avait des gens qui pensaient qu'ils allaient nous coucher. Et ça j'adore aussi ! On peut aimer le rhum, on peut aimer l'ivresse et être digne ! Moi, j'ai beau aimé l'ivresse, je fais ma musique... Ca facilite l'échange, ça crée de l'immédiat. Quand tu fais un sound system, tu as envie que ça démarre tout de suite et en général la magie opère... Mais c'est très dans la culture ilienne : tu arrives ; le mec te fais un éventail comme un gamin qui va te sortir tous ses jouets de sa chambre pour t'en lettre plein la vue et il attend le moment où tu tombes. Ben non, on flanche pas, mec ! J'aime vraiment ça et puis je suis content d'être là, content de ce que les gens me renvoient.
Qu'avez-vous découvert à la Réunion que vous ne connaissiez pas ?
La Réunion a été une découverte totale ! Je ne savais pas qu'au départ, c'était une île vierge et que quand les Français sont arrivés, ils ont ramené de la main d'oeuvre. Le melting pot culturel de la Réunion, c'est le fruit de cette histoire, de ce peuplement. J'étais déjà allé deux ou trois fois à la Réunion pour faire un sound system et deux fois avec NTM... Mais dans ces cas, quand ta tête est placardée partout, il n'y a pas d'autre échange que celui que tu proposes quand tu viens jouer, mais tu ne peux pas aller faire un tour comme ça. Cette fois, on est allé dans les terres, on est allé couper de la canne, on a été voir des gens qui font du vrai maloya. Et là, ce qui était beau, c'est de voir qu'il y avait encore plein de jeunes qui étaient toujours dans les terres. Des jeunes qui sont pas du tout américanisés... Ils étaient un peu Neymarisés, football oblige, mais ils étaient bien là, dans leur culture du maloya... Tout ayant le relais de l'occident, de la mondialisation, ils gardent les pieds bien dans leur culture et ça, c'est rassurant !
C'est un ancrage plus fort chez les jeunes Réunionnais que chez les Antillais ?
Oui, parce que l'éloignement, c'est encore autre chose à la Réunion. Ils n'ont pas les Etats-Unis à portée de main... Il n'y a pas tout ça, c'est l'Afrique ! Le gros morceau à côté, c'est l'Afrique. Mais attention, après, il y a l'alcool... quand tu apprends que les mecs, ils arrivent à tirer juste pour le pays un million de litres et qu'ils ne sont que 800 000, que tu sais en plus qu'il y a plusieurs communautés dont les musulmans qui ne boivent pas... Tu sens que l'alcool, c'est pas le même truc. On n'en parle moins, mais les ravages à la Réunion, ça rigole pas !
Et c'est plutôt rhum de mélasse qu'un rhum de jus de canne...
Oui, c'est un rhum industriel et il n'est pas travaillé pareil. Tu apprends aussi qu'il y avait 60 distilleries avant guerre et qu'après guerre, il n'en restait plus que trois parce que tu apprends qu'on peut faire des explosifs avec du rhum, que le rhum servait à ci et à ça et qu'il y a eu des blocus... Au final, il n'y a plus que trois distilleries mais qui sont industrielles ! Il y en a un qui se prétend agricole... A la fin, je lui ai dit : "Il faut t'applaudir ?" Isautier, il nous a bien fait rigoler !
Ils ont de l'humour, j'espère...
Oui, mais nous on en a de l'humour, à revendre ! Quand le mec est un peu trop sérieux, j'hésite pas à bailler et le regarder dans les yeux en même temps !
Et Moody Mike qui vous accompagne ?
Ben lui, il est métis. Il est moitié guadeloupéen, moitié martiniquais mais il est comme moi, négropolitain, sauf qu'il a beaucoup plus de vécu aux Antilles.
Quand vous allez dans les soirées, que vous parlé de la jeunesse, du chômage, cela vous a-t-il renvoyé à vous plus jeune ?
Moi, je suis un peu à part dans le sens où je viens d'un quartier très populaire et j'ai très peu travaillé dans ma vie, c'est-à-dire que j'ai tout de suite eu la tête dans la danse, le graffiti, le machin que gratter ma gueule parterre, ça faisait partie du quotidien. Quand on me parle de racisme, je raconte toujours que de toute façon ma différence, je l'affichais déjà. Je faisais des graffitis et j'étais tâché de la tête au pied. Et avant de me dire sale noir, on me traitait de clochard !
Qu'est-ce que vous avez pensé quand la production vous a fait cette proposition ?
J'ai dit ok, on va aller boire du rhum, mais on va aller faire un tour dans le pays quand même ! C'était l'idée.
Qu'avez-vous ressenti en visitant le MACTe ?
Entre écouter des historiens, lire des choses et puis se rendre là-bas et voir la manière dont on attachait les gens... De voir encore comment pour le rhum, ils ont trouvé le truc... Et puis le voyage... J'écoutais le gars me parler et j'avais envie de me jeter en boule parterre ! Juste pour ça, cette découverte, j'adore ce qu'on est entrain de faire !
Avez-vous vécu une expérience aussi forte en Martinique ?
J'ai pas assez de vécu en Martinique, mais pour avoir grandi avec un Martiniquais, il y a plein de choses que je comprends, que ce soit dans le côté rugueux du caractère, dans le manque de compréhension, de lecture, une fois ici en métropole... Mon père pensait qu'il fallait qu'il me francise alors qu'il y a un truc qu'il ne savait pas, qu'on ne lui a pas appris, c'est que la vraie composante française, ce sont toutes ces différences. Il faut composer avec ce qu'est le pays et ce qu'on est aussi...
Et la Réunion ?
J'ai rencontré deux jeunes qui nous expliquent que le rhum avant, c'était bien, que ça aidait les mecs au boulot, entre l'esclavage et la main d'oeuvre sous-payée, mais aujourd'hui, ça enfume les masses. Ils nous ont raconté qu'au Chaudron, il y a toute la cité et au milieu, il y avait cinq bars et ces bars, ils ouvrent à 9 ou 10 heures le matin. Quand on y est allé, il était 10 heures. Il y avait deux bars d'ouverts et cinquante mecs au bar et en terrasse et c'est pas du café qu'ils buvaient... Et au milieu de ça, il y a des gens qui se baladent pour faire de la médiation pour pas que reste ce que c'était, un endroit dortoir, pour que ça s'ouvre un peu, que les gens connaissent au moins leurs avantages sociaux... Juste ça !
Quelles conclusions en tirez-vous sur les départements d'outre-mer ?
En vrai, on nous vend beaucoup qu'il faudrait les considérer comme des régions françaises à part entière, mais l'éloignement et tout ce que ça englobe, tu peux pas lutter contre ça. Et puis le progrès, c'est quelque chose de froid. On a l'impression que le monde et les distances rétrécissent, et en fait, pas tant que ça !
Alors, vous iriez plutôt passer votre retraite à Marie-Galante ?
Ils sont plutôt bien là-bas et ils ne sont pas beaucoup... Eh ! C'est tentant ce que vous me racontez...
Propos recueillis par FXG, à Paris
La saison 1 de « La Route de la soif » (6 x 25 minutes) est diffusée le 23 janvier 2018 à 21h50 sur la chaîne de télévision VICELAND (numéro 83 dans les offres CANAL, numéro 98 TV by CANAL chez Free et numéro 148 Famille by CANAL chez Orange)
Réalisation : Camille Jourdan - Production : Unrated France
Vice Media France 2017