Marche du 23 mai
Une marche pour les ancêtres esclaves et contre le racisme
Il y a 20 ans, le 23 mai 1998, environ 40 000 personnes défilaient à Paris pour proclamer qu'ils étaient des descendants d'esclaves et fiers de l'être. A la suite de cette marche était créée par le professeur de médecine, Serge Romana, le "Comité de la marche du 23 mai", une association qui s'est fixée comme objet d'être un entrepreneur de la mémoire de l'esclavage.
C'est à la suite de cette marche que, en 2001, était votée la loi Taubira reconnaissant l'esclavage comme crime contre l'humanité. Et c'est à partir de la loi Taubira que furent instituées d'abord la journée nationale de commémoration de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, le 10 mai, puis la Journée nationale en mémoire des victimes de l'esclavage colonial, le 23 mai. Pour les 20 ans de la marche du 23 mai 1998, le CM98 a rassemblé un millier de personnes mercredi à Paris pour une marche silencieuse entre la place du Louvre, non loin du jardin des Tuileries où sera érigé le mur des noms des 200 000 esclaves affranchis en 1848, et la palce de la République où s'est tenue la fête de la Fraternité, "Limyè Ba Yo". "Nous battrons le pavé et le bitume pour dire ce qui fut et nous en souvenir, a déclaré l'ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira. Et pour combattre ce qui est. Car aujourd'hui encore, ici et ailleurs, on capture, on vend, on torture, on viole, on tue. Par préjugé et par cupidité."
Parmi les marcheurs, il y avait de nombreuses personnalités comme Jean-Marc Ayrault, président du GIP Fondation pour la mémoire de l'esclavage, Bernard Hayot, Jacob Desvarieux, Harry Roselmack, Claudy Siar, les anciens ministres des Outre-mer, Victorin Lurel et George Pau Langevin, ainsi que les parlementaires Thierry Robert et Jean-Hugues Ratenon pour la Réunion, Max Mathiasin et Olivier Serva pour la Guadeloupe et Gabriel Serville pour la Guyane. A noter aussi la présence d'une partie des actrices noires signataires de l'ouvrage "Noire n'est pas mon métier" (Le Seuil).
Cette marche voulait à la fois faire écho à la grande marche de 1998, mais elle a été l'occasion d'affirmer trois lmessages que n'a cessé de marteler Serge Romana : "Il est insupportable de vivre dans un pays où prospère une des conséquences les plus hideuses de la traite négrière, de l'esclavage et de la colonisation : le racisme. Il est indispensable de rappeler qu'un Français n'est pas uniquement un descendant de Gaulois, blanc, chrétien et exclusivement Européen, et enfin il est essentiel de dire qu'une autre France dont toutes les filles et tous les fils seraient fiers, est possible."
FXG, à Paris
Commémoration à Oudinot
La ministre des Outre-mer Annick Girardin a planté dans les jardins du ministère, rue Oudinot, un arbre de la liberté, avant de remettre le prix de thèse décerné par le CNMHE à Rafael Thiebaud, pour sa thèse : « Traite des esclaves et commerce néerlandais et français à Madagascar (XVIIe – XVIIIe siècles) » ainsi qu'une mention spéciale à Hayri Göksin Özkoray, pour sa thèse sur la géographie du commerce des esclaves dans l'Empire ottoman et l'implication des marchands d'Europe occidentale.
Ils ont dit
François Vergès, ancienne présidente du CNMHE, participait à la marche du 23 mai 1998
"Je ne pense pas qu'au plus haut niveau des autorités, on n'ait pas encore réellement la compréhension de ce que ces siècles ont vraiment signifié pour la France, son histoire, sa culture, ses lois, sa philosophie... Tant que l'esclavage n'aura pas été compris comme on comprend ce que représente la Première guerre mondiale ou l'Occupation pour la France, il faudra continuer... La question du racisme est plus fortement dite par des personnes qui parlent à la télé ! C'est lié à un refoulement, une difficulté à comprendre, une peur, une confusion entre reconnaissance et repentance qui n'a jamais été demandée..."
Louis-Georges Tin, président du CRAN
"La date du 23 mai a été reconnue comme une date nationale, il faut par conséquent qu'elle soit célébrée. Cette année, c'est un peu particulier parce qu'il y a aussi l'enjeu de ce mémorial, un très beau projet du CM98 pour lettre en avant le nom des esclaves car il ne suffit pas de chiffrer le nombre de victimes. Chaque victime était une personne qui avait un nom, une vie et un avenir, parfois brisé... C'est aussi pour ce projet que je viens aujourd'hui."
Raphaël Gérard, député LREM de la Charente-Maritime
"C'est le moment de commémorer une histoire qu'on a en commun entre l'Hexagone et les Outre-mer et qu'il faut enfin qu'on assume car c'est ce qui fonde notre héritage commun avec ses heures sombres et ses moments plus lumineux comme l'abolition et cette lutte pour les droits. Je viens d'un département qui a joué un rôle dans cette histoire avec un certain nombre de ports qui ont prospéré dans le commerce triangulaire. Il faut rappeler que toutes les personnes qui sont là n'ont aucune part de responsabilité dans cette histoire et en même temps, c'est ce qui fait qu'on est ensemble aujourd'hui."
Gabriel Serville, député GDR de Guyane
"C'est une marche pour dire à la face du monde à quel point nous dénonçons toutes les exactions assises sur des bases racistes et mercantiles qui ont nié et bafoué jusqu'à l'humanité de femmes et d'hommes réduits en esclavage. Si on ne fait pas attention à expliciter ce que sont les relents du racisme qui ont conduit à la traite négrière et à l'esclavage, dans quelques années, on pourrait se retrouver face à cette même barbarie. il est donc important de battre le rappel."
Eric de Lucy, membre de la fondation esclavage et réconciliation
"C'est un long chemin la réconciliation à partir d'une histoire aussi cruelle que celle-là... La France est le seul ancien pays colonialiste et esclavagiste à reconnaître l'esclavage comme crime contre l'humanité. Un nombre important de descendants de colons dont je fais partie, ont signé dès 1998 un manifeste reconnaissant l'esclavage comme crime contre l'humanité, avant même la loi Taubira. Ma présence veut simplement dire que nous sommes tous ensemble pour saluer et rendre hommage à la mémoire des esclaves, mais plus que ça, nous sommes tous ensemble pour faire reculer ce qui en France est encore une réalité, le racisme."
Thierry Robert, député Modem de la Réunion
"Si on veut savoir où on va, il faut savoir d'où l'on vient. L'histoire de la France a connu de sombres moments, mais ce n'est pas pour autant qu'on doit les balayer d'un revers de main, ne pas en parler et ne pas les commémorer. C'est comme si on décidait de ne pas commémorer le 8 mai ou le 14 juillet, ça n'aurait pas de sens. Voilà pourquoi je suis venu, pour marquer le coup."
Michel Reinette, journaliste et réalisateur
"J'étais l'un des initiateurs de la marche de 1998 et aujourd'hui, je reste debout pour que cette histoire soit enfin intégrée au roman national français, que ce ne soit pas une fête de nègres, de descendants d'esclaves ou de résistants mais qu'elle appartienne à tout le monde et qu'elle permette de témoigner au présent contre certaine dérive, le racisme, maladie étrange et durable qui laisse penser que quand on n'est pas blanc, on n'est pas tout à fait français... Dans l'arithmétique que nous avons avec la France, puissance coloniale, si moi dans ma tête je suis décolonisé, celui qui me colonise n'est pas décolonisé ! Nous sommes dans une démarche : Français à part entière sinon entièrement à part !"
Victorin Lurel, sénateur PS de Guadeloupe
"Ma présence est militante. Le combat a commencé il y a longtemps mais il reste actuel. On a obtenu la loi Taubira, mais également la loi Egalité et citoyenneté avec Patrick Kanner qui a abrogé la loi du 30 avril 1849 portant indemnisation des colons. On a obtenu l'abrogation également de l'ordonnance royale du 17 avril 1825 qui exigeait le versement d'une rançon de 150 millions de francs or par Haïti. On a aussi obtenu pour les associations la possibilité d'ester en justice lorsque la victime d'un acte de racisme ne s'oppose pas à la procédure... Il reste à obtenir que les statues de Colbert soient déboulonnées par exemple au Sénat comme à l'Assemblée nationale..."
Théo Lubin, militant du MIR
"On est là parce que la marche du 23 mai 1998 a été fédératrice et essentielle pour faire voter la loi Taubira en 2001, mais on est là aussi pour faire entendre notre discours et parler des réparations liées à l'histoire de l'esclavage. Le CM98 veut reconnaissance et réconciliation, pour nous, c'est reconnaissance + réparation = réconciliation."
Marijosée Alie, artiste
"C'est une piqûre de rappel et c'est la première fois que nous marchons côte-à-côte descendants d'esclaves et descendants de colons ! En vingt ans, il y a eu des avancées avec la loi Taubira, mais il faut que ça s'applique au quotidien, que toutes les formes de racisme, de ségrégation disparaissent. Ce n'est pas le cas. On dirait que dans la société française, sournoisement, il y a une espèce de banalisation de la notion de race, de différence... Une banalisation du "on peut tout dire". Je n'ai pas envie que mes enfants vivent dans ce monde là, il faut réveiller les consciences"
Greg Germain, comédien et militant
"Je suis un des fondateurs de cette marche du 23 mai 1998, un des premiers initiateurs de notre mémoire en France avec Serge Romana et Emmanuel Gordien. Et vingt ans plus tard, comme les trois mousquetaires, ça nous a plu de recommencer ! C'est aussi motivé parce que nous pensons que ça ne s'améliore pas, qu'il y a vingt ans la France était moins crispée... Il y a trois ans, on a traité une ministre de la justice de singe, que nos footballeurs, nos jeunes dans les banlieues sont sont perpétuellement accompagnés de cris de macaque... Des centaines de milliers de mes concitoyens sont discriminés lorsqu'ils cherchent un emploi, un logement parce qu'on les considère comme pas d'ici... Il faut expliquer à cette République par ces journées mémorielles que nous existons, que la France est aussi notre pays car nous l'avons enrichie. Ce pays est à nous ! Nous avons besoin de solidarité : Français n'est pas une couleur !"
Serge Romana, président de la fondation esclavage et réconciliation
"Il y a vingt ans, c'était un besoin sentimental et viscéral d'honorer pour la première fois nos parents. On a pris conscience qu'on ne les avait jamais honorés. C'était une quête qui nous a conduit nombreux dans la rue. A partir de cette question de la parentalité, on s'est rendu compte qu'il était possible de faire un travail auquel la grande majorité des Antillais était sensible. C'est ainsi qu'on a développé le travail de mémoire parce qu'on n'avait pas du tout prévu ça au départ. La question était comment inverser la balance du stigmate de l'esclavage, de la honte de l'esclave... En dehors de la commémoration, il fallait honorer des gens, mais il fallait d'abord les trouver. Alors on les a mis à l'honneur dans des livres, dans un mémorial des noms, dans des monuments à Sarcelles, Saint-Denis, Creil et Grigny. Nous avons ensuite passé une étape supérieure en les réunissant tous ensemble dans un lieu prestigieux, protégé, symbolique, aux tuileries. C'est un acte de réparation symbolique majeur, qui permettra d'inverser la honte qui pèse sur les descendants d'esclaves par rapport à leur histoire."
Olivier Serva, député LREM de Guadeloupe
"C'est un beau symbole après un combat collectif et incarné par un homme, Serge Romana. On a pu faire inscrire dans la loi que le 2" mai soit le temps de la mémoire des victimes de l'esclavage. Après vingt ans et une marche extraordinaire, nous nous projetons dans la mémoire pour l'avenir collectif, nous dire que nous sommes le peuple français métissé et que nous devons ensemble construire le vivre ensemble dans l'intérêt de tous."
Georges Pau-Langevin, députée PS de Paris
"Nous sommes partis d'une situation, il y a vingt ans, qui était assez revendicative à une situation présente où l'on affirme notre souhait de vivre dans la société et d'y vivre à égalité. Nous voulons que nos enfants vivent dans leur pays sans discrimination. Si on plante des monuments à Paris et dans les banlieues, c'est une manière de dire que nous sommes d'ici, que nous avons notre place ici et que nous allons tout faire pour l'occuper pleinement."
Audrey Pulvar, présidente de la FNH
"Je suis là pour rendre hommage à mes ancêtres, mes aïeux et aussi pour dire à mes descendants, à nos descendants qu'ils n'ont pas à rougir de leur histoire, au contraire ! Cette histoire de l'esclavage nous porte, elle nous construit, nous donne de la force et elle dit ce que nous avons à dire au monde. C'est particulièrement sensible dans le bassin caribéen qui est tellement symbolique et à l'image de ce que le monde est en train de devenir car le monde est une créolisation permanente, de plus en plus forte, de plus en plus grande. Ca fait peur à certains qui craignent d'être remplacés, mais la réalité, c'est que ça marche et la meilleure preuve en est la façon dont les sociétés caribéennes se sont construites dans l'héritage de l'esclavage."
Max Mathiasin, député Modem de la Guadeloupe
"Je crois que du point de vue de la marche vers l'égalité, la société française a régressé. Alors que le monde est ouvert, on n'a plus la même impression de fraternité qui régnait il y a vingt ans, la société se referme et les Noirs, les Antillo-guyanais en France sont les seuls à ne pas avoir trouvé leur place. Et quand vous ne trouvez pas votre place, vous avez tendance à être en marge et à cumuler les difficultés, les handicaps. On parle de la banlieue avec ses difficultés, mais c'est parce que nombre d'entre nous n'y ont pas trouvé l'égalité recherchée. Mais les choses ont bougé, des artistes ont créé, des associations se sont formées, les oeuvres d'art ont surgi pour rappeler au monde notre humanité."
Christiane Taubira
"Si nos sociétés sont plurielles, ce n'est pas juste parce que des personnes viennent mourir dans le fond la Méditerranée, même si ça fait partie de l'histoire de demain qui s'écrit aujourd'hui, c'est parce que pendant plus de quatre siècles et demi, les continents ont été entrelacés et qu'aujourd'hui, nous sommes tous membres de nos mêmes sociétés. Il est indiscutable qu'il y a des gens racistes, des gens qui ont des préjugés, qui ne travaillent pas les représentations dont ils ont héritées et qui concernent des réflexes. Elles n'ont pas la détermination de contester l'humanité des autres, mais ce sont des personnes qui peuvent être racistes par leurs réflexes, leur comportement. Nous les invitons à apprendre l'histoire, étudier la philosophie et regarder simplement les gens dans le blanc des yeux, comment ils sont, comment ils vivent. Ils s'apercevront que les personnes qu'ils méprisent ont d'immenses qualités individuelles !"