Serva rêve d'indemnisation des victimes du chlordécone
Une proposition de loi pour les victimes du chlordécone
Olivier Serva, député LREM, a fait enregistrer le 11 juillet à la présidence de l’Assemblée nationale sa proposition de loi tendant à la création d’un régime d’indemnisation des victimes du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique. Ce texte veut reconnaître l’ensemble des responsabilités qui entourent le scandale du chlordécone et répondre au préjudice subi par les victimes de l’épandage du chlordécone et de ses conséquences principalement sanitaires et environnementales mais également économiques.
L’article 1er reconnaît la responsabilité solidaire de l’État et des entreprises ayant exploité les activités d’épandage du chlordécone et crée en conséquence le « Fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique ». Ce fonds est bâti sur le modèle du fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, présidé par un président de chambre ou un conseiller de la Cour de cassation à l’instar du dispositif qui a été prévu dans la loi pour le sang contaminé. Les enfants atteints d’une pathologie liée à l’exposition au chlordécone de l’un de leurs parents, les professionnels de la mer qui ont subi un préjudice économique, les personnes qui souffrent d’une pathologie résultant directement d’une utilisation du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, et les ayants droit de ces victimes pourront voir leur préjudice indemnisé.
Une Commission médicale autonome serait chargée les demandes et une Commission scientifique autonome rendrait son avis sur le lien direct entre l’utilisation du chlordécone et son incidence sur la pollution des sols et des rivières de Guadeloupe et de Martinique. Un délai de prescription de 30 ans serait instauré pour recourir au fonds d’indemnisation. Ce même fonds sera également affecté aux actions de dépollution et de recherches sur les sites contaminés.
Ce joli projet signé du seul président de la délégation Outre-mer de l'Assemblée nationale et membre de la majorité présidentielle sera soumis au bon vouloir de ses petits camarades d'En Marche !. A moins que la commission des affaires sociales ne lui oppose une fin de non-recevoir sous la forme élégante d'un "article 40", pour rappeler que l'Assemblée nationale n'a pas le droit de créer une dépense qui ne soit financée. Olivier Serva reprend une proposition déposée à la fin de la dernière législature par Victorin Lurel.
FXG, à Paris
Le genre masculin du chlordécone
De mémoire de planteur, d'ouvrier agricole, d'importateurs d'intrants et plus largement d'Antillais, on a toujours employé le masculin pour définir le chlordécone. Pourtant de puis quelques années, depuis que l'Etat sait qu'il a commis une faute en accordant une dérogation de trois ans supplémentaires à l'entreprise Lagarrigue, depuis qu'on lancé les premiers plans chlordécone, il faudrait qu'on emploie désormais le féminin, "la chlordécone", sous prétexte qu'il s'agirait désormais non plus du produit mais de la molécule ! C'est l'avocat écologiste, le Guadeloupéen Harry Durimel qui rappelle que c'est lors d'une conférence de presse que les communicants du préfet et de l'ARS ont enjoint l'opinion et la presse d'employer désormais le féminin, de dire ou d'écrire "la chlordécone". Mais parce que c'est "le chlordécone qui nous a empoisonné", s'insurge l'avocat, parce que c'est à cause de ce chlordécone que nous avons porté plainte pour empoisonnement en 2006, nous persisterons à dire ou "crire "le chlordécone"."
Histoire d'une pollution volontaire
Le chlordécone est un insecticide breveté aux États-Unis en 1952, utilisé pour les cultures de banane, de tabac et d’agrumes. Il est ensuite interdit dans ce pays dès l’année 1977 suite au constat de défaillances dans le dispositif de production et à l’observation d’une importante pollution à proximité de l’usine et d’effets toxiques sur les personnes employées à sa production. La même année, dès 1977 le rapport Snégaroff, publié à la suite d’une mission de l’INRA, avait établi en Guadeloupe « l’existence d’une pollution des sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les organochlorés » (1).
Pourtant, contre toutes attentes, son utilisation est autorisée dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe à partir de 1981. L’objectif poursuivi par les autorités de l’époque motivé par les planteurs était de lutter contre le charançon du bananier. Ce n’est que le 1er février 1990 qu’une décision retire finalement l’autorisation de vente du chlordécone sur le territoire hexagonal de la France et à la demande des planteurs de banane, la vente et l’utilisation du chlordécone ont tout de même continué pendant deux ans, conformément à une disposition prévue par la loi. Puis, par une décision du 6 mars 1992, le ministre de l’agriculture, Louis Mermaz, autorise à titre dérogatoire un délai supplémentaire d’un an.
De nombreux témoignages évoquent une utilisation du produit au-delà de 1993, année à laquelle s’est terminée l’autorisation de vente du territoire dans le but d’écouler les stocks qu’il restait à écouler.
En 1999, une première campagne d’analyse des cours d’eau est menée en Guadeloupe et en Martinique par la Direction de la santé et du développement social (DSDS) et fait état d’une importante pollution de ceux-ci par des pesticides organochlorés interdits, dont le chlordécone.
LMR
Entre 2002 et 2004, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), aujourd’hui Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), est saisie du sujet et publie en 2003 deux valeurs toxicologiques de références (VTR) :
– Une limite tolérable d’exposition répétée chronique de 0,5 μg/kg p.c./ j ;
– Une limite d’exposition aigüe de 10 μg/kg p.c./ j.
De nouveau à l’étude en 2007, ces valeurs ne sont pas modifiées.
L’ANSES estime que la consommation de produits issus de circuits contrôlés (grandes et moyennes surfaces, marchés, épiceries) garantit le respect des limites maximales de résidus (LMR) qu’elle reconnaît comme suffisamment protectrices contre les risques résultant de la présence de chlordécone dans les denrées alimentaires d’origine animale. L’Agence assure qu’il est pertinent d’agir en poursuivant la diffusion de recommandations de consommation auprès des populations des Antilles.
Risques sanitaires
– Une augmentation significative du risque de développer un cancer de la prostate chez les hommes les plus exposés au chlordécone (étude Karuprostate 2004, Multigner et al. 2010, pilotée par l’INSERM) ;
– Une exposition chronique au chlordécone associée à une diminution de la durée de gestation (étude Timoun 2005, Kadhel et al. 2014, pilotée par l’INSERM) ;
– L’association d’une exposition pré et post natale au chlordécone à des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des enfants de 7 mois (étude Timoun 2012, Dallaire et al. 2012, pilotée par l’INSERM) ;
– La forte contamination des produits de la mer et d’eau douce, que l’on peut trouver dans les circuits de commercialisation malgré les interdictions de pêcher applicables dans certaines zones (études RESO Martinique 2005 et RESO Guadeloupe 2006, pilotées par le CIRE).
Etudes scientifiques
Dans le cadre du troisième plan national d’action chlordécone (PNAC) établi par le gouvernement pour la période 2014-2020, l’ANSES a finalisé en 2017 l’étude « Kannari : santé, nutrition et exposition au chlordécone aux Antilles » mise en place en 2011. Les conclusions du rapport sont les suivantes : « l’approvisionnement alimentaire dans les circuits non contrôlés (autoproduction, dons, bords de route) peut entraîner une exposition au chlordécone supérieure à celle liée aux modes d’approvisionnement en circuits contrôlés (grandes et moyennes surfaces, marchés, épiceries) (2) ». Ainsi, selon l’ANSES, les individus les plus exposés s’approvisionnent pour moitié (Martinique) et en majorité (Guadeloupe) via les circuits courts et informels, alors que cette tendance d’approvisionnement est moins marquée chez les individus les moins exposés.