"Fractures", le premier long-métrage d'Harry Roselmack en ligne
Harry Roselmack, journaliste, producteur, réalisateur, sort son premier long-métrage, Fractures, mention spéciale du jury au Chealsea film festival l'an dernier, qu'il propose depuis le 9 novembre sur internet moyennant 3,99 euros. Interview.
"Parler à l'autre, c'est reconnaître son humanité"
Comment peut-on voir ce film ?
Il est visible aux Antilles et dans l'absolu, il est visible dans le monde entier puisqu'il est sur un site Internet, fractureslefilm.com, une plateforme que nous avons nous-même créée et qui propose des contenus gratuits et le film pour moins de 4 euros.
Pourquoi un tel choix de diffusion ?
Dès le début, notre projet était de faire un film pour le digital. Après, nous avons étudié la possibilité de le sortir en salle parce qu'on nous a conseillé de le faire, avec l'argument qu'un film devait être vu au cinéma, mais je me suis rendu compte que ce qu'on me proposait en termes de distribution en salle comportait le risque que le public passe à côté du film parce qu'on avait très peu de copies, très peu de salles et pas forcément dans les endroits les plus adéquats. C'est pourquoi, je suis revenu à la stratégie initiale, une distribution sur le digital. On n'a pas trouvé d'accord avec Netflix qu'on a approché, donc on a créé notre propre plateforme.
Vous avez néanmoins déjà diffusé le film en salle en Martinique...
C'était dans le cadre d'une avant-première parce que la Martinique est très impliquée dans ce projet à plusieurs titres à commencer par le fait que c'est la Collectivité territoriale de Martinique qui a apporté le plus important financement et le seul public du film.
Qu'est-ce qui vous a inspiré l'écriture de ce scénario ?
J'ai puisé l'essence de mes personnages des univers que j'ai investigués dans le cadre du documentaire "En immersion" que j'ai fait pendant cinq ans sur TF1, entre 2009 et 2014 et c'est cette émission qui a nourri quelque part les univers que je confronte dans ce film. Donc oui, mon regard de journaliste a nourri l'auteur que je suis sur ce film. Après, c'est vrai que j'ai exploré beaucoup de pistes nouvelles en termes d'écriture, de réalisation que je n'avais jamais fait, de direction d'acteurs, de production, de distribution... J'ai appris énormément de choses ; j'ai même fait de la musique avec grand bonheur puisque je suis l'un des auteurs de la bande originale du film... J'ai touché à plein de trucs nouveaux qui m'ont vraiment excité.
Vous vous êtes préféré en scénariste, réalisateur ou producteur ?
C'est un tout pour moi. La seule chose dont je m'exclus, c'est le jeu parce que ce n'est pas mon truc de faire l'acteur. La chose qui est difficile et que je ne souhaite à personne, c'est d'avoir en même temps à réaliser et à produire un film. Dans l'absolu, il faut soit le produire, soit le réaliser. Après, on peut être auteur ou co-auteur, mais faire à la fois de la prod et de la réal c'est très compliqué. Heureusement que j'étais bien accompagné... Mais il n'y a rien qui m'a vraiment écoeuré et je suis prêt à repartir, après un peu de repos, mais à repartir quand même !
Est-ce que votre notoriété sur TF1 vous a facilité les choses ?
Non, puisqu'on a galéré ! Ce film coûté 1,5 millions mais on n'a pas eu de financements à cette hauteur, loin de là ! Ils m'ont aidé à boucler le financement pour lequel on n'a pas pu compter sur les chaînes de télé, sur le CNC... Je ne sais pas combien il faut qu'on ait de vues pour rentabiliser le film, mais si on a un gros nombre de vues, ça peut aussi attirer des acheteurs qui vont acheter le film !
Vous mettez en scène deux personnages, une call girl et un fondamentaliste dont on ne sait lequel a le plus de valeurs...
C'est l'équation principale sachant qu'elle est plus large que ça parce qu'il y a le xénophobe qui doit gérer sa frustration et sa haine, sa défiance vis-à-vis de l'autre, il y a le rappeur "égopathe" qui n'accepte pas la contradiction... C'est une équation plus complexe entre toutes ces radicalités. Ce que je veux montrer, c'est qu'on est dans une société qui se polarise avec des radicalités de plus en plus grandes, qui cohabitent de plus en plus mal et qui surtout n'échangent pas, ne discutent pas, vivent les unes à côté des autres... Et ça nous mène vers quelque chose qui n'est pas terrible.
Est-ce facile avec un tel sujet d'éviter la caricature ou l'amalgame ?
Je parle de mon film comme d'une fable parce que j'ai des personnages qui, comme le corbeau et le renard ou la cigale et la fourmi, sont caractérisés par des traits forts et il ne faut pour autant pas tomber dans la caricature. Moi, je revendique le fait qu'on n'est pas dans de la caricature, on est dans quelque chose de marginal, de très archétypé, de très radical mais qui n'est pas de la caricature, qui existe. Il faut faire attention quand on aborde le sujet religieux puisque ça fait partie de la toile de fond narrative du film, le dévoiement du religieux à des fins terroriste et meurtrières — c'est un vrai sujet que j'aborde ! J'ai écrit la première version du scénario assez rapidement, mais après, il y a eu quinze versions ! Ca laisse le temps de border ce qu'il faut border !
Quel est l'écho de cette fable dans notre société ?
Ca renvoie à quelque chose de prégnant aujourd'hui, que ce soit dans les discours politiques, les analyses journalistiques : on entend les mots "fracture", "fragmentation", "divorce", "tension", "éclatement"... Ces termes-là reviennent tout le temps donc on est en plein dedans ! Et "Fractures", le film, il parle de ça à sa façon.
Vous donnez le rôle du terroriste à un Français converti, pourquoi ?
Ce que j'ai voulu montrer, c'est que c'est le parcours qui fait le terroriste, pas l'origine, pas la culture d'origine ! n'importe quel type de personne, blanc, noir, asiatique, avec un certain parcours, avec un certain tempérament aussi, est susceptible de basculer dans ce travers. Ce qu'il y a d'intéressant, parce qu'il y a quelques subtilités dans le film, c'est qu'il y a une séquence de son passé qui est assez drôle et qui passe un peu anecdotiquement mais dans laquelle on voit que ce garçon qui est blanc se prend pour un noir parce qu'il vit avec des noirs... Garder son identité, avoir une assise identitaire est quelque chose d'important. Ce n'est pas fait pour se fermer, c'est fait juste pour pas se laisser embarquer dans des choses qui ne sont pas soi et qui sont les idées d'autres, les idéologies importées, des guerres parfois qui viennent d'ailleurs.
Cette fable a-t-elle une morale ?
Ce que je dis dans cette fable est qu'il faut restaurer le dialogue. Même avec quelqu'un qui est à des années lumières de vous, en discutant, vous n'allez peut-être pas tomber d'accord, mais vous allez créer un lien, vous allez voir l'humain qui en l'autre et il va voir l'humain qui est en vous et ça, ça va éviter des gestes, des actes barbares qui nient l'humanité dans l'autre parce que je pense que les gens qui se font sauter, qui tuent des gens, même des bébés, à coups de couteau, de camion, sont des personnes qui nient, qui ne voient plus l'humanité de l'autre. Or, parler à l'autre, c'est reconnaître, toucher son humanité et je pense que ça, c'est déjà un bon premier pas... Entre deux personnages aux antipodes, il peut se créer un lien.
N'est-ce pas un peu bisounours ?
Non, ce n'est pas bisounours, parce que, à la fin du film, on n'est pas sur un happy end bisounours du tout !
Propos recueillis par FXG, à Paris
Synopsis
Fariha (Alexandra Naoum) est une escort girl qui assume ses choix. La précarité et les violences subies dans son enfance l'ont rendue matérialiste et cynique ; elle n'attend plus rien des autres. Youssouf (Benoît Rabille) a comblé sa frustration et son vide intérieur en adoptant une idéologie violente et destructrice qui arbore le vernis d'une religion. Il s'est converti à l'islam radical.
Ces deux Français à la vision du monde opposée se rendent à une même soirée. Farhia pour y travailler, Youssouf pour commettre un attentat...