Mémoire de l'esclavage
Guerre de tranchée au sein de la future fondation de l'esclavage
La plainte du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage (CNMHE) contre l'Institut du Tout-Monde révèle une fracture entre les acteurs de la mémoire de l'esclavage et le mouvement décolonial, un terrain glissant pour la fondation pour la mémoire de l'esclavage en cours de constitution.
Le CNMHE a publié en janvier dernier sur son site un texte (http://www.cnmhe.fr/spip.php?article1280) qui exprime sa position au regard de l'antiesclavagisme et de l'antiracisme : "Le racisme est une conséquence de l’esclavage, mais il ne préexiste pas à celui-ci. On ne peut donc confondre les deux phénomènes, ni affirmer que la mise en esclavage cible précisément une catégorie particulière de la population." Le CNMHE ajoute encore au sujet de la future fondation pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage, présidée par Jean-Marc Ayrault, que "l’objet principal de la fondation n’est pas d’être une institution supplémentaire de lutte contre le racisme, où la dimension militante l’emporterait sur toute autre considération."
Ce texte a immédiatement fait réagir Myriam Cottias, ancienne présidente du CNMHE, et Loïc Céry, le directeur du pôle numérique de l'Institut du Tout-Monde, s'en est fait le relais sur le site du blog de Médiapart (https://blogs.mediapart.fr/edition/institut-du-tout-monde/article/200219/memoire-de-lesclavage-et-antiracisme-les-enjeux-de-notre-combat). Il dénonce dans la position affichée par le CNMHE une minoration et une relativisation de la traite transatlantique dans une histoire globale. "L’avenir, écrit M. Céry, ne peut pas s’écrire avec ceux qui nient la spécificité irréductible de la traite négrière transatlantique." Mais il va plus loin encore en dénonçant "une manipulation insidieuse et grossière de l’histoire" qui "tend à dissocier soigneusement la question du racisme et la mémoire de l’esclavage". Il ne s'agit pas seulement, pour M. Céry, d'un "détournement de la mémoire", mais d'"une idéologie révisionniste (...) exprimant ouvertement une concurrence des mémoires, une relativisation de la traite transatlantique et un désengagement du combat contre le racisme". Sa tribune de quatre pages use d'un ton vif et de termes éloquents pour désigner les membres du CNMHE : "révisionnistes patentés", "pseudo historiens qui veulent mettre en place une racialisation de la mémoire" et encore "révisionnistes à la Faurisson"...
Décoloniaux et entrepreneurs de mémoire
En retour, le CNMHE par la voix de son président, Frédéric Régent, a déposé plainte devant le procureur de la République pour injures et diffamation publiques (https://www.facebook.com/photo.php?fbid=2269512786449265&set=a.226397500760814&type=3&theater)
Résultat, le Groupement d'intérêt public de la Mémoire de l'Esclavage, de la Traite et de leurs Abolitions, préfiguration de la fondation, se trouve pris entre d'un côté les entrepreneurs de la mémoire comme le CM 98, la route des abolitions, les anneaux de la mémoire et des historiens comme le président Régent, et de l'autre ceux qui soutiennent l'Institut Glissant comme SOS Racisme ou les deux anciennes présidentes du CNMHE, Myriam Cottias et Françoise Vergès.
L'objectif inscrit au coeur du projet de Fondation pour la mémoire de l'esclavage et répété sans cesse par ses dirigeants est que tout le monde soit dans la Fondation pour que les débats y aient lieux en interne, sans polémiques dans les médias et autres tribunaux... C'est visiblement raté ! Car après les déclarations de Doudou Diène dans Libération contre les haut-fonctionnaires, la droite, les blancs et les catholiques, c'est au tour des "pseudos-historiens révisionnistes et négationnistes" du CNMHE d'être attaqués par l'institut du Tout Monde ..... Mais avec cette fois un plainte engagée, c'est bien la guerre au sein de la future fondation entre la mouvance décoloniale et celle des entrepreneurs de mémoire.
FXG, à Paris