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Publié par fxg

Césaire politique au Panthéon

Un hommage au Césaire politique au Panthéon

Les Nouvelles éditions Place viennent de publier le coffret des "Ecrits politiques" d'Aimé Césaire.

A cette occasion, un hommage a été rendu au nègre fondamental mercredi soir sous la coupole du Panthéon.

"Aimé Césaire a toujours mis l'incandescence de son verbe au service de l'engagement politique" propose l'exergue du coffret contenant les cinq tomes des écrits politiques d'Aimé Césaire. Des écrits qui courent de 1935 à 2008 et dont la compilation vient seulement d'être achevée sous la forme d'un coffret. Si le premier volume publié en 2013, "Discours à l'Assemblée nationale - 1945 - 1993", a été dirigé par René Hénane, "le meilleur de mes lecteurs et le plus fraternel", disait Aimé Césaire, les quatre autres ont été dirigés par l'ami et compagnon, Edouard Delépine. Après ces quarante discours parlementaires, viennent les écrits politiques de 1935 à 1956, puis de 1957 à 1971 (tous deux sortis en mars 2016), puis de 1972 à 1987 et enfin de 1988 à 2008 (tous deux sortis fin 2019).

L'éditeur et le mécène

Jean-Michel Place, l'éditeur, connaît bien Césaire puisque c'est lui qui a republié la revue Tropique dans les années 1970. C'est d'ailleurs lui qui a été invité à ouvrir le bal des hommages mercredi soir au Panthéon : "Ca a été une folle et ambitieuse entreprise que de publier ces écrits politiques." En 1997, c'est Edouard Delépine qui reçoit Jean-Michel Place chez lui au Robert et qui lui met le marché en main. Il faut attendre 2009 pour que l'accord d'édition soit effectivement signé... et l'apparition d'un mécène. "Je sais que vous travaillez sur une édition des écrits politiques de Césaire", raconte Jean-Michel Place. Il évoque un coup de téléphone impromptu : "Puis-je vous aider ?, poursuit-il, en 45 ans d'édition, c'est la première fois que je reçois une telle offre... Merci M. Hayot."

Justement Bernard Hayot, par ailleurs vice-président de la fondation Césaire, était là mercredi avec un de ses fils et sa fille, et avec son éternel complice Eric de Lucy. Discrètement, loin du premier rang, à l'égal de sa devise : "Le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas de bien." Il laisse la tribune aux spécialistes et aux orateurs.

La comédienne Nathalie Vairac, auteure et comédienne de théâtre, a inauguré les lectures avec un texte de 1983, "Stèle obsidienne pour Alioune Diop". "On connaît bien l'oeuvre poétique de Césaire, raconte encore Jean-Michel Place, alors que sur les écrits politiques, on n'avait rien du tout ! Mais c'est une somme considérable qui est au moins aussi importante que la partie poétique, la partie dramatique... C'était quelque chose d'essentiel à faire !"

Il y a 449 textes qui vont d'une première version en partie inédite du Discours contre le colonialisme, toute la correspondance politique, ses interventions et discours à la chambre, ses discours d'inauguration... "Chaque fois qu'il intervient, enchaîne l'éditeur, il y a un texte important ! Même pour l'inauguration d'un parking, le texte devient important !" Ces textes couvrent tout la politique de Césaire, de l'Assemblée à la ville, jusqu'au quartier..."

Pipols et politiques

Au premier rang dans le transept sud de la maison républicaine des grands hommes ont pris place ceux qui doivent intervenir et des amoureux de Césaire : Audrey Pulvar, Suzanne Dracius, Christiane Taubira, Catherine Conconne, Maurice Antiste, George Pau-Langevin, Serge Létchimy, Alex Ursulet, Jean-Benoît Desnel... Les élus de Guadeloupe, Olivier Serva et Victoire Jasmin arriveront un peu plus tard...

Edouard Delépine n'a pas pu faire le déplacement jusqu'à Paris. Il a demandé à son ami Camille Chauvet de venir lire un texte. Le Naïf lance en préambule : "Avec feu Camille Darsière, Edouard Delépine et Serge Létchimy ont partagé une intimité affective avec Césaire... Edouard Delépine a travaillé sur ces volumes, c'est quasiment son testament, ce qu'il lègue à tous ceux qui travaillent et croient encore en cette pensée de Césaire. Il s'est livré à la lecture d'une histoire très ramassée de ces cinq volumes. Il lit le texte de Délépine : "... Nègre et Martiniquais, quelle que soit la couleur de peau, c'est l'affirmation de notre identité et le droit de notre peuple à s'émanciper.." Il termine avec la grande idée de Césaire : "L'autonomie dans l'union avec la France".

Sur la scène, l'ancienne garde des Sceaux a remplacé Camille Chauvet : "Il va mourir le rebelle !" Elle clame des vers par choeur qui saluent Fanon et sa "haine du bavardage, haine du compromis, haine de la lâcheté", son témoignage au procès de l'OJAM, son discours sur l'Europe tropicale dont il dit qu'elle n'est qu'un mythe. Elle cite l'élu politique conscient "des limites du pouvoir et celle de la parole tribunicienne", les contradictions entre "le rêve et l'urgence"... "Césaire, la figure du rebelle qui traverse son oeuvre politique comme son oeuvre poétique..."Taubira en vient à la fameuse lettre à Thorez : "Il récuse le fraternalisme comme le paternalisme" et privilégie "conscience raciale et révolution sociale". Elle critique son choix de la départementalisation pour saluer au passage le député de Guadeloupe Paul Valentino qui y était opposé, mais elle comprend la demande de promotion sociale, de bien-être, l'exigence d'égalité. "Nous n'avons pas le droit de gommer ses contradictions parce qu'elles contribuent à l'étoffe et à l'humanité d'Aimé Césaire. Et puis, il a hissé les peuples colonisés au banquet du monde !" Pour autant, elle assure que le poète n'a pas besoin d'hagiographie béate. Elle cite Pur Sang, dans les armes miraculeuses et laisse la place à son héritier politique, Serge Létchimy.

"L'homme politique a-t-il trahi le poète ? Jamais." Il cite la gestion pleine d'humanité de Fort-de-France, la création du SERMAC, l'ouverture de 100 écoles la politique de l'eau et de l'hygiène, du transport et de l'habitat. Le député a fini son laïus. Nathalie Vairac lit "Et les chiens se taisaient..."

Audrey Pulvar, désormais directrice générale de Pattern Afrique, une ONG, enchaîne : "Césaire incarne de façon splendide cette maxime de Shelley qui dit que les poètes sont les législateurs secrets du monde. Ce qu'il a dit, ce qu'il a écrit reste évidemment grandement d'actualité pas seulement parce que l'histoire se répète, parce que l'histoire est un éternel recommencement, mais parce que la force poétique de son évocation, de son engagement, de ses combats, de ses luttes, était tellement puissante, tellement importante qu'elle demeure. J'ai toujours connu Césaire poète, c'est un immense poète et c'est la qualité qui recouvre toutes les autres. Il n'est pas que poète, il met de la poésie dans tout. Aucune déclaration, aucune prise de parole d'Aimé Césaire, que ce soit pour commenter une rigole de rue à rénover ou que ce soit pour accueillir un chef d'Etat, n'était dénuée de poésie."

Patrick Boucheron, professeur au collège de France et père d'une "Histoire mondiale de la France" vient conclure (en raison de la défection excusée de Pap Ndiaye). Il se sent illégitime car il avoue n'avoir pas étudié l'oeuvre politique du Martiniquais, mais salue l'universalisme de sa cause et de son humanisme.

Jean-Michel Place assure : "Il n'y aura pas de 6e tome, mais il est certain que vont s'exhumer des textes oubliés, donc on peut imaginer dans les cinquante prochaines années un supplément !"

FXG, à Paris

Christiane Taubira

"Césaire est pour moi une tutelle depuis très longtemps. Chaque fois qu'on lui rend hommage, c'est une occasion pour les jeunes générations de découvrir la puissance de sa plume, toute l'intensité de sa parole, mais je pense qu'on doit rendre hommage à Césaire en permanence parce que je trouve, moi, que ses oeuvres nous accompagnent, que ce soient ses oeuvres poétiques, ses oeuvres théâtrales, que ce soit même sa parole politique, ça nous accompagne et ça éclaire nos vies."

Audrey Pulvar

"Il y a onze ans, j'étais là, au Panthéon pour l'hommage national à Aimé Césaire. C'était un peu fort de café que Nicolas Sarkozy, le président qui avait voulu reconnaître le rôle positif de la colonisation veuille rendre un hommage à Aimé Césaire en proposant de mettre ses cendres au Panthéon. Comme Saint-John Perse, j'ai fini par tirer mes pieds et j'y suis allée parce que c'était d'abord le président de la République avant d'être Nicolsa Sarkozy..."

Trois questions à Serge Létchimy, député, président du PPM et de la fondation Césaire

"La pensée de Césaire est une pensée d'avenir"

Le choix du Panthéon pour un tel hommage vous convient-il ?

Le Panthéon est un lieu extrêmement important parce que la pensée de Césaire est d'une dimension telle qu'elle traverse le temps. C'est une oeuvre contemporaine qui va éclairer le monde pendant encore très longtemps et à ce titre le travail d'Edouard Delépine est à saluer ! Il a pu réunir en cinq volumes tous les textes politiques de Césaire, c'est énorme !

Comment utiliser cette oeuvre au mieux ?

Nous devons considérer que c'est une oeuvre pour l'avenir, l'exploiter au mieux, comprendre Césaire, comprendre sa philosophie, sa pensée, son humanisme et prendre conscience aussi qu'on a une chance extraordinaire, nous Martiniquais, qu'on ait vu naître sur nos terres, notre petite île, un des plus grands hommes de cette terre ! Je suis très content que l'on ait pu ouvrir à la fois la fondation Césaire en Martinique et que de l'autre côté Edouard Delépine puisse offrir aux jeunes du monde l'espace d'une inspiration nouvelle à travers sa pensée. Je suis très content que l'on célèbre Césaire au Panthéon aujourd'hui.

Prendre la succession de Césaire à la mairie, à la députation, à la Région et jusqu'à la tête du PPM fondé par Césaire et dirigé par lui-même jusqu'en 2005, n'est-ce pas trop lourd pour un seul homme ?

"Parfois... Honnêtement, c'est très lourd parce qu'on ne remplace pas Césaire et nous sommes tous les enfants de Césaire, y compris ceux qui ne l'ont pas aimé, qui n'ont pas partagé sa pensée... C'est très lourd pour moi, notamment sur le plan politique, parce qu'il n'est pas question de parler poétique ! Mais sur le plan politique, c'est lourd et je pense que c'est sur la durée que l'on va gagner la bataille parce que la pensée de Césaire n'est pas une pensée de l'instant, c'est une pensée d'avenir. Ca va très loin ! Ace titre, nous devons persévérer, les enfants de Césaire — ça ne s'arrête pas au PPM — dans le monde entier poursuivront la lutte pour l'émancipation et le progrès.

Le coup de gueule de Camille Chauvet

"J'étais de ceux, les plus virulents, quand certains ont pensé que les cendres d'Aimé Césaire pourraient être déposée au Panthéon... Finalement, c'est une plaque. Elle représente la complicité de la République avec notre pays... Par rapport aux idées que je défends, ça me fait mal ! C'est dur pour moi de venir là ! Mais je ne peux pas y échapper, c'est pour Edouard Delépine. Ses cendres, c'était non ! La plaque, on a été battu ! Césaire a certainement sa place au Panthéon, mais c'est un Martiniquais comme moi ! Mon Césaire est à moi ! Et aujourd'hui, présenter ses écrits politiques au Panthéon parce que l'éditeur, Jean-Michel Place, est parisien, on ne peut pas y échapper ! Je me plie à cette marque de respect due au peuple français et bien évidemment, je suis content d'être ici parce que je respecte les grands hommes qui sont au Panthéon, ce sont les figures de la démocratie et de la liberté, des valeurs que nous nous assumons en tant que progressistes et martiniquais, mais vraiment être au Panthéon, présenter les écrits politiques d'Aimé Césaire, je me fais violence ! Surtout qu'il y a quelques temps, je ne sais pas si je peux le dire, j'ai vu Rodolphe Désiré de l'OJAM, ancien prisonnier, recevoir la légion d'honneur... Je suis au crépuscule de ma vie et je ne comprends plus rien ! Je ne dirai pas ce que j'ai envie de dire, mais j'ai très mal ! Je suis content d'être ici, mais j'ai très mal. Je ne comprends plus rien."

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