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Publié par fxg

Nicole Belloubet aux Antilles

La Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, était aux Antilles la semaine dernière. Interview.

"Baie-Mahault et Basse-Terre vont connaître d’importants travaux"

Vous avez fâché les syndicats en disant, en résumé, que la sécurité dans les prisons n'était pas assurée de la même façon en outre mer que partout ailleurs. Est-ce toujours votre position ?

Mon intention n’est évidemment pas de fâcher le personnel pénitentiaire ou ses représentants. Les éléments que vous relevez sont sortis de leur contexte. Ils faisaient partie d’une réponse à une question posée par des membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale à l’occasion de mon audition faisant suite à l’évasion de Rédoine Faid du centre pénitentiaire Sud-Francilien. J’avais alors rappelé que le nombre d’évasions effectivement constatées depuis la détention est relativement faible (15 en 2017) et qu’une part proportionnellement plus importante si on la ramène au nombre de personnes hébergées (6 sur les 15 précitées) a lieu depuis des établissements ultramarins. Ce sont des éléments factuels qui ne remettent pas en cause la qualité individuelle du personnel pénitentiaire servant en outre-mer mais révèlent des conditions de sécurité qui, pour un ensemble de raisons, sont sans doute moins importantes outre-mer.

J’ai engagé, en matière de sécurité, un effort important, outre-mer comme dans l’hexagone. Le plan pénitentiaire et la loi de programmation et de réforme pour la justice viennent sécuriser les moyens de cet effort. Les résultats se verront dans le temps, en outre-mer comme en métropole.

Dans la norme (accès aux soins, unités hospitalières psychiatriques et psychologiques dédiées comme c'est le cas dans l'Hexagone, unités dédiées à la sécurité (ERIS), les établissements pénitentiaires ne sont pas traités de la même manière qu'en métropole. Pourquoi ?

Certaines différences existent et elles ne sont pas toujours dans le sens communément imaginé. Ainsi, les taux de couverture en personnel par rapport aux organigrammes de référence sont généralement meilleurs outre-mer qu’en métropole.

S’agissant de l’accès aux soins, la problématique tient davantage à la couverture sanitaire mobilisable sur le territoire qu’aux structures en tant que telles. Ainsi, certaines zones de métropole ne disposent pas d’une couverture médicale satisfaisante par manque de ressources médicales mobilisables. C’est très vrai dans le domaine psychiatrique qui constitue un champ sur lequel nous devons progresser, dans les outre-mers comme sur l’ensemble du territoire national. J’y travaille avec ma collègue Agnès Buzyn.

Pour ce qui est de la sécurité, j’ai engagé, comme je vous le disais précédemment, un effort assez inédit en la matière. Le budget de sécurisation des établissements pénitentiaires a augmenté de 10 M€ dès le budget pour 2018 et encore de 16% dans le cadre de la loi de finance initiale pour 2019. Nous déployons des systèmes plus efficaces de brouillage des téléphones portables ; des dotations individuelles d’équipement de sécurité sont en cours ; des dispositions législatives et réglementaires ont été prises pour faciliter les fouilles ou l’intervention des équipes de sécurité.

En Martinique, la création du centre de semi-liberté annoncée par Taubira est-il toujours à l'abandon ?

J’ai lancé, vous le savez, un vaste programme immobilier qui nous permettra, à l’horizon 2027, de disposer de 15 000 places de prison supplémentaires. Au-delà de l’aspect capacitaire, c’est une diversification du parc immobilier qui est recherchée afin de faciliter l’exécution de parcours de peines. Dans ce cadre, nous construisons d’ici 2022 un peu plus de 2000 places de  structures d’accompagnement vers la sortie « SAS »  . Plus qu’un centre de semi-liberté –CSL-, c’est donc la possibilité d’une SAS sur le territoire de la Martinique que je souhaite voir prospérer. A cet égard, nous expertisons la possibilité de reconvertir, à proximité immédiate du centre pénitentiaire de Ducos, le quartier dit « QCDR », pourvu d’une enceinte et d’un fonctionnement propre, hébergeant des courtes peines, des placements extérieurs et des semi-libres. Les bâtiments d’hébergement et les espaces de vie préexistants pourraient être adaptés avec l'ajout de certaines fonctions à envisager de manière phasée. Les premières études sont en cours.

Où en sont les projets immobiliers de la justice sur nos territoires ?

Les Antilles ne sont pas oubliées, loin s’en faut, en matière d’immobilier de la justice. Des tribunaux viennent d’être réhabilités, d’autres le seront encore.

En matière pénitentiaire, Baie-Mahault et Basse-Terre, pour la Guadeloupe, vont connaître d’importants travaux et des accroissements de capacité conséquent. Nous allons créer 371 places supplémentaires. Le besoin est moins important en Martinique. Ce qui ne signifie pas que des travaux d’amélioration ne doivent pas avoir lieu à Ducos. Cet établissement a connu un accroissement de capacité très important de 490 à 738 places. Cette opération a coûté près de 40 M€. il reste à améliorer les structures sanitaires (SMPR et UCSA). Là encore, le travail est en cours pour identifier la meilleure solution.

La justice est-elle assez pourvue en moyens humains et matériels ? La justice outre-mer souffre-t-elle d'un manque d'attractivité ?

L’effort n’est jamais assez important… ce qui est néanmoins certain c’est que le gouvernement a fait de la justice une de ses priorités. Dans un contexte global de maîtrise de la dépense publique, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice vient de sécuriser les moyens dont dispose la mission justice jusqu’à la fin du quinquennat. C’est une augmentation des crédits budgétaires de plus de 24% qui est de la sorte sanctuarisée ainsi que la création de 6000 emplois supplémentaires.

Au-delà de la question des moyens, j’ai engagé un ensemble de réformes qui doivent permettre à la justice de mieux fonctionner au bénéfice des justiciables : adaptation de l’organisation territoriale des juridictions, avec un maintien de tous les lieux de justice et des possibilités, pour le terrain, de mieux répartir les contentieux ; programme immobilier pénitentiaire ; plan de transformation numérique du ministère qui nous permettra, à l’horizon 2022, d’avoir une procédure pénale antérieurement numérisée et dès cette année de suivre en ligne sa procédure civile, développement du numérique en détention pour offrir de meilleurs services aux familles de détenus, aux avocats, aux intervenants en détention, aux personnes incarcérées elles-mêmes et pour faciliter le travail du personnel pénitentiaire, etc…

Pourquoi la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et la justice des mineurs manquent de moyens alors qu'existe une délinquance ordinaire très violente ?

Un certain nombre de difficultés proviennent de la procédure qui est actuellement applicable aux mineurs. Chacun s’accorde à dire que le texte actuel de l’ordonnance du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante, a perdu toute cohérence et toute lisibilité. Cela nuit à l’efficacité des prises en charges des adolescents délinquants, cela nuit également à la lisibilité de la justice des mineurs. J’ai été habilitée à réformer ce texte par ordonnance, je conduis actuellement des consultations pour parvenir au meilleur équilibre possible. J’ai déjà indiqué que je souhaitais réaffirmer les principes à valeur constitutionnelle de la justice des mineurs : la primauté de l’éducatif, la spécialisation des juridictions, l’atténuation de la responsabilité pénale. Je souhaite aussi un texte pragmatique, qui puisse répondre aux différents types de délinquance et s’adapter également à des conditions de vie, et à des familles, qui peuvent être très différentes d’un adolescent à l’autre. Je n’élude pas la question des moyens car je souhaite que cette réforme réussisse. L’augmentation du budget que j’ai évoqué plus haut bénéficiera également à la protection judiciaire de la jeunesse. Les affectations nouvelles de magistrats et de greffiers bénéficieront également aux tribunaux pour enfants.

Les Antilles sont une des 8 JIRS de France, de quels moyens significatifs disposent-elle dans la lutte contre les stupéfiants face aux organisations criminelles ?

Le positionnement géographique des départements et territoires couverts par la JIRS de Fort de France les expose particulièrement à l’influence d’organisations criminelles étrangères. Ainsi, la délinquance liée au trafic de stupéfiants repose en grande partie sur des groupes ou organisations dont les membres sont brésiliens, surinamais, vénézuélien, saint vincentais, dominiquais ou colombiens. La JIRS de Fort de France est ainsi en première ligne en ce qui concerne le trafic de cocaïne puisque son ressort jouxte certains pays producteurs ou points de passage pour l’exportation.

C’est dans ce contexte que la JIRS de Fort de France, composée de 4 magistrats du parquet et de 2 juges d’instructions habilités, a manifesté sa volonté d’investir davantage la lutte contre les trafics de stupéfiants en provenance d’Amérique du Sud, contentieux qui représente déjà 63% de son activité globale. De ce fait, les saisines de la JIRS sont en augmentation croissante. En effet, la JIRS s’est saisie de 20 procédures en 2018 contre 11 procédures en 2017, soit une augmentation de 55%. Cette tendance se confirme en 2019 car la JIRS s’est d’ores et déjà saisie de 7 procédures sur les 4 premiers mois de l’année.

L’antenne de l’OCRTIS basée à Fort de France est saisie par la JIRS de la majorité des procédures, les autres étant confiées aux douanes primo-intervenantes ou, dans une moindre mesure, à la gendarmerie.

Propos recueillis par FXG, à Paris

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