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Publié par fxg

La grande distribution à la Réunion

Interview. Christophe Girardier, auteur d'une étude sur étude sur le secteur de la grande distribution et la création de structures coopératives de commerçants indépendants à La Réunion.

"Les fournisseurs locaux augmentent leur prix de vente pour payer les marges arrière"

Le paysage réunionnais de la grande distribution est-il réellement concurrentiel ?

Le marché de référence des hyper pèse à La Réunion 3,8  milliards d'euros. Sept enseignes se le partagent, ce qui donne une apparence de concurrence, mais elles appartiennent à cinq groupes distincts qui disposent chacun de leur centrale d'achat. Au niveau global de l’île, la situation semble concurrentiellemais la réalité est tout autre quand on examine la situation au niveau local des zones de chalandisesou des zones d'attraction des pôles urbains et quand on prend en compte l'attractivité dominante du format de l'hypermaché face à d'autre magasins de taille plus petite et notamment les supermarché qui n'exercent pas le même niveau de concurrence. On se rend compte que seules une d'entre elles est en situation véritablement concurrentielle. Sur le bassin de vie de Saint-Paul/Trois-Bassins/La Possession, il y a trois hypermarchés qui sont de la même enseigne (groupe Vindemia) donc on ne peut pas qualifier cette zone de concurrentielle. Il en va de même pour la zone de Saint-Benoît où domine là encore groupe Vindemia. A Saint-André/Salazie/Sainte-Suzanne, même constat. Dans la zone de Saint-Louis/Cilaos, il n'y a qu'un seul hyper de l'enseigne Auchan, dans celle de Saint-Leu/L'Etang-Salé, c'est l'enseigne Leclerc qui est présente avec un hypermarché... Il n'y a guère que le bassin de Saint-Pierre/Le Tampon/Entre-Deux qui est concurrentiel puisqu'on trouve trois acteurs différents. Enfin, la zone de Saint-Joseph où il n'y a que des supermarchés peut être considérée aujourd'hui en situation de concurrence, mais un hyper Leclerc va s'installer prochainement et l'environnement ne pourra plus être considéré comme concurrentiel, sans parler de l'impact  évident sur la disparition de beaucoup de commerces de proximité de la zone. Le modèle des hyper importé de la métropole est clairement inadapté à La Réunion et devient préjudiciable au pluralisme concurrentiel et donc aux intérêts des consommateurs. C'est pour quoi je préconise dans mon rapport un moratoire pour toute nouvelle ouverture d'hypermarchés et la réduction à 2000 m2 maximum pour les autorisations d'ouverture.

Vous mettez aussi en cause le principe des marges arrières que vous jugez inflationnistes et mortifères pour la production locale. Qu'est-ce qu'une marge arrière ?

Les marges avant sont la différence entre le prix de vente et le prix d'achat, jusque-là c'est  une pratique normale. Mais le système ajoute une autre source de rémunération des distributeurs, les marges arrières, c'est-à-dire les contreparties financières que demande le distributeur au fournisseur à certains engagements. Elles sont de deux sortes : les marges arrières conditionnelles (un pourcentage rétrocédé au distributeur à partir du moment où il a rempli des objectifs de vente) ; les marges arrières non conditionnelles du fait de la coopération commerciale, c'est-à-dire la possibilité par exemple pour un producteur de voir ses produits en tête de gondole, bien placés dans le rayon ou promus avec l'aide d'un catalogue. Ces opérations commerciales sont vendues au fournisseur comme un service délivré par le distributeur. Ce sont des marges souvent calculées en pourcentage du prix d'achat. La part des marges arrière à la Réunion pèse donc sur les fournisseurs et en particulier les producteurs locaux, parfois jusqu'à 15 % du volume d'achat en plus de la marge avant. Les fournisseurs augmentent donc leur prix de vente pour pouvoir payer ces marges arrière. Mécaniquement le prix de vente du "fond de rayon" est renchéri du fait de ce modèle. Par ailleurs, certains distributeurs n'intègrent pas ces marges arrières dans le compte d'exploitation de leurs magasins. Ne pas l'intégrer en réduction de la facture d'achat permet au distributeur de minimiser sa marge commerciale réelle et permet à certains d'affirmer que leurs marges commerciales sont inférieures à celles pratiquées en métropole. Moi, je dis qu'elles sont au moins égales !

Vous mettez aussi en cause la politique des promotions et des prix d'appel, pourquoi ?

Pour certains produits, la promotion devient la règle et plus le tarif normal. Mais ces promotions ne s'appliquent que sur une partie minoritaire du panier des consommateurs, sur les produits dits d'appel, c'est à dire ceux parmi les plus demandés et qui tirent la clientèle dans les magasins où ils achètent bien d'autre produits. La part du chiffre d'affaires des producteurs locaux réalisée en promotions va de 50 à 90 %, ce qui est excessif et fragilise le compte d'exploitation et la rentabilité de ces industriels locaux. Chez le distributeur, la part des promotions ne représente que 20 à 25 % de leur chiffre d'affaires. La guerre des prix ne concerne en réalité que les seuls produits d'appel, donc une part très minoritaire (moins d'un tiers) du panier d'achat des Réunionnais et parmi ces produits, on trouve les marques locales les plus demandées. Résultat, pour certaines promotions, avec la réintroduction de leurs marges arrières dans le prix de vente de ces produits en promotion, les distributeurs vont jusqu'à proposer un prix de vente au consommateur inférieur au prix d'achat chez le producteur. Bien entendu cette pratique n'intervient que sur ces produits d'appel, pas sur les autres produits ce qui globalement ne change pas le budget des consommateurs. Ce phénomène illustré par un différentiel excessif pour le consommateur entre le prix de fond de rayon et le prix promotionnel, est illisible et incompréhensible. C'est l'effet de ce modèle économique des marges arrières qui a pour conséquence mécanique une élévation des prix de base et donc est un des facteurs explicatif de la vie chère... Les producteurs se plaignent à juste titre de ce système, mais ils sont un peu schizophrènes et ils en redemandent parce qu'ils ont peur de ne pas vendre suffisamment pour écouler leur production. Ce qui peut se comprendre, mais ils oublient qu'il existe d'autres leviers que les promotions pour augmenter les volumes de vente. Vu le pouvoir de marché que la grande distribution a atteint, Il ne faudrait pas laisser aux seuls acteurs distributeurs le pouvoir de décider sans cadre ni limite, de l'exposition des marques locales dans les rayons des hypermarchés. Nous sommes en présence d'un modèle désormais mortifère et inflationniste, qui tire tout le monde vers le bas, notamment pour les produits d'appel et en particulier ceux issus de la production locale. La plupart des acteurs le reconnaissent, mais aucun d'entre eux ne veut en sortir le premier, de peur d'être la principale victime. Dans un tel contexte, il me semble qu'il appartient aux pouvoirs d'agir pour réguler le système et en corriger les effets pervers. J'ai proposé différentes mesures qui pourraient être prises en concertation avec les acteurs, pour réformer le cadre réglementaire actuel et surtout créer les conditions d'un nouveau modèle de distribution.

Vous proposez le regroupement des petits distributeurs en coopératives d'achat. Croyez-vous vraiment que ça puisse aboutir à des baisses de prix de 20 à 30 % ?

A l’occasion de mes travaux et aux fins d'expérimentation, j'ai accompagné un premier projet de coopérative de commerçants indépendants de proximité, baptisé Bout-IKS. Une dizaine de commerçants ont ainsi décidé de créer une structure collective pour disposer d'une puissance d'achat commune, afin de leur permettre de se fournir directement auprès des producteurs locaux eux-mêmes. Précisons que chez les deux grossistes, ils achètent leur produits à un prix jusqu'à 40 % plus cher qu'un prix de vente en promotion dans un hyper. Par ce modèle de coopérative, sans intermédiaire et donc en circuit court, ces petits commerçants vont pouvoir proposer des produits locaux à un prix proche, voire équivalent à ceux pratiqués par les grandes surfaces. Sur le seul segment des fruits et légumes et en ayant recours au marché de gros de Saint-Pierre (approche très singulière qui pourrait faire école en métropole), cette approche de circuit court va permettre à ces petits commerçants de faire baisser les prix des fruits et légumes locaux de l'ordre de 30 à 40 % par rapport au prix pratiqués dans les hypermarchés. Ce nouveau modèle de structuration en coopératives des commerçants indépendants de proximité qui restent au nombre de près de 1000 à La Réunion, là ou ils ont disparus en métropole, permettrait de faire émerger de nouveaux acteurs qui ensemble pourraient peser à moyen terme de 25 à 30 % de parts de marché, selon les estimations réalistes que j'ai pu faire, soit l'équivalent de celle de Leclerc, contre seulement 4% aujourd'hui. 

Quelles solutions proposez-vous ?

A mon sens le moment est venu pour les pouvoirs publics de favoriser un nouveau modèle de distribution en aidant les acteurs indépendants de la distribution à se structurer en coopératives. A la Réunion, la filière d'un nouveau commerce de proximité à inventer, devrait être considérée comme le sont les start up dans le secteur des nouvelles technologies innovantes, car cette approche représenterait une vraie innovation à La Réunion. De telles start-up du commerce de  proximité devraient pouvoir bénéficier d'aides financières pour se structurer et se développer au travers des dispositifs de existants ou même des fonds européens. On verrait alors émerger un nouveau modèle alternatif de distribution à la fois moderne et encré au cœur de la culture créole.

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