Affaire Michaux-Chevry/Madinécouty
Les auditions fort instructives de l'affaire LMC/Madinécouty
Une juge d'instruction de Basse-Terre a rendu il y a quelques semaines l'ordonnance qui renvoie Mme Michaux-Chevry devant un tribunal correctionnel dans l'affaire Madinecouty, du nom de l'ex-directeur général des services de la communauté d'agglos du Grand-Sud Caraïbe (CAGSC). Dans ce dossier, la juge a mis en examen LMC, Georges Chazelas, René-Claude Monrose et Fred Madinécouty pour avoir de 2010 à 2017 détourné des fonds publics, participé à une entente avec les entreprises attributaires de marchés public, avec les associations "Basse-Terre une passion" et "Basse-Terre aviron-club", des élus et fonctionnaires de la CAGSC... Il s'agit de détournement de fonds publics, d'escroquerie, trafic d'influence, complicité d'escroquerie en bande organisée, recel de fonds provenant d'abus de biens sociaux...
Le dossier d'instruction couvre des milliers de pages qui si elles n'ont pas toutes retenu l'attention du juge, gagnent à être connues.
Dossier FXG, à Paris
France-Antilles a pu consulter quelques-uns de procès verbaux d'audition qui relatent quelques pépites qu'auraient levées les enquêteurs de la DIPJ. D'une part, il semble que les associations "Basse-Terre une passion" et "Basse-Terre Aviron-club" dont le potomitan n'aurait été autre que René-Claude Monrose dit Ticlo, 3e adjoint au maire de Basse-Terre, auraient servi à payer d'autres prestations que celles prévues par leurs statuts. D'autre part, les entreprises qui soumissionnaient des marchés publics auraient sponsorisé généreusement ces associations. "C'est elle, déclare à la PJ René-Claude Monrose en parlant de LMC, qui décide de tout et de savoir si l'association travaille pour la communauté ou non."
Depuis 2009, les deux associations auraient reçu de la CAGSC, de la mairie de Basse-Terre et d'entreprises 336 600 euros et débité en espèces 308 600 euros. L'enquête de police établit une similitude dans le fonctionnement des deux associations : décaisser des espèces, une fois des chèques ou des virements entrés.
Basse-Terre une passion
Rodrigue, un artisan de Trois-Rivières, raconte comment, en octobre 2015, René-Claude Monrose lui demande de mettre à disposition son camion pour nettoyer Basse-Terre. "Il m'a précisé que je serai payé par une association..." Avec trois jeunes (employés de la CAGSC aux espaces verts), recrutés par Ticlo, ils font la tournée de ramassage des déchets blancs (appareils ménagers). Rodrigue a du attendre trois mois avant de pouvoir les payer, dès lors que Ticlo lui verse 700 euros en liquide pour chacun. Rodrigue serait parvenu à sa faire payer sur factures 2000 euros par mois par la CAGSC Les travaux de nettoyage s'arrêtent à la mi-décembre 2015, juste après les régionales, et reprennent mi-janvier jusqu'à fin février 2016. "En fait, raconte Rodrigue, le travail était fait pour la campagne des régionales et parfois il (Ticlo, ndlr) me demandait même de déposer dans leur local de Petit-Paris des chaises qui avaient servi à des manifestations.". L'association Basse-Terre une passion aurait reçu, avouera Ticlo, 10 ou 11 000 euros pour cette mission qui a duré trois mois. Il déclare : "J'avais une autorisation écrite de la présidente." Quant à la ville de Basse-Terre, elle vote le 12 novembre 2015 une subvention de 8000 euros pour Basse-Terre une passion. René-Claude Montrose y participe en tant qu'adjoint au maire alors qu'il reconnaît "porter cette association" et se faire payer par elle des instruments de musique et du matériel de son... "C'était pour créer une chorale qui n'a jamais vu le jour", justifie l'adjoint au maire qui ajoute que ces instruments lui profitaient à lui ainsi qu'aux membres de sa famille.
Entre 2008 et 2016, les comptes de l'association auraient été débités de 279 000 euros d'espèces. "C'était, poursuit Ticlo, pour payer les employés du ramassage, puis toutes les manifestations organisées par l'association, les dépenses consenties au profit de certaines personnes et des dépenses personnelles que j'ai pu faire."
Concernant Basse-Terre aviron-club, les sommes débités s'élèveraient à 29 600 euros entre 2010 et 2015. Mêmes explications pour les justifier.
Madinécouty "entre le marteau et l'enclume"
Fred Madinécouty explique que "beaucoup de dépenses sont engagées par LMC ou à sa demande, beaucoup de promesses sont faites et ne sont pas honorées". Ainsi après les régionales, quand les prestataires auraient réclamé leurs sous, Fred Madinécouty n'aurait pu y faire face. Ce serait le cas des frais de sonorisation, des frais de transport, des frais de sécurité et des frais de réception sur l'esplanade du port de Basse-Terre (On parle d'une ardoise de 12 000 euros)... Il raconte encore qu'un élu de Capesterre aurait reçu de LMC un chèque de 40 000 euros sous forme de prêt personnel... "Lors des campagnes électorales, poursuit-il, LMC promettait des embauches, des aides financières, matérielles (billets d'avion, par exemple)", mais il déplore qu'elle ne respecte pas ses engagements : "Je me retrouvais entre le marteau et l'enclume." Au point qu'il se serait retrouvé un jour retenu en otage et enfermé dans une maison par cinq voyous recrutés par un responsable d'entreprise qui avait fourni des objets publicitaires lors de la campagne régionale de 2004. Il y en aurait eu pour 25 000 euros ! "J'ai appelé LMC, raconte-t-il, qui m'a répondu : va à ta banque et demande-leur de te faire un prêt de 25 000 euros."
Lors de sa 4e audition, Fred Madinécouty donne quelques explications sur ses dépenses personnelles prises en charges par les associations : "Les actions menées dans le cadre du sponsoring des associations revêt d'abord un caractère d'aide à ces structures pour mener des actions et dans un deuxième temps pour régler des dépenses dont j'ai hérité du fait de mon implication dans les campagnes électorales." Ceci explique un peu mieux le rôle dévolu aux associations auxquelles, indique Fred Madinécouty, "on demande, Lucette Michaux-Chevry et moi, de régler les dépenses liées aux activités à caractère électoral." Son récit est précis : "Beaucoup d'actions ont été engagées lors des dernières élections municipales et régionales, élection municipales de Basse-Terre en 2014 et pour la campagne d'Ary Chalus. (...) Ces actions se traduisaient par des réceptions, le financement de jeunes pour assurer la sécurité pendant la campagne, des frais de sonorisation, etc..."
"Un système qui a toujours existé..."
Quand la police demande à Fred Madinécouty comment et par qui a été mis en place ce système et qui était au courant, il répond : "C'est un système qui a toujours existé pour soutenir les campagnes qu'elles soient municipales ou régionales."
Fred Madinécouty raconte comment "lors des campagnes électorales, des sommes importantes (auraient) été distribuées en espèce par LMC aux élus, des personnes responsables de terrain, agents de la CAGSC pour mettre en place et organiser différentes actions qui partent de l'achat de cartons, de colle jusqu'à la présence d'équipes dans les bureaux de vote"
Parmi les personnes au courant de ces pratiques, la police aurait identifié LMC, les présidents des associations, Marie-Luce Penchard et Pascal Averne, le DGS de la mairie de Basse-Terre. Témoignage de Fred Madinécouty : "Marie-Luce Penchard et Pascal Averne, responsable du financement de la campagne pour la circonscription de Basse-Terre, m'ont demandé de mettre en place un dispositif de campagne, c'est-à-dire installation d'une permanence, équipe de distribution de tracts, équipe de collage, équipe d'affichage, équipe de sécurité, équipe sono par secteur et organiser les réceptions notamment pour le meeting du port. J'avais connaissance d'un budget de 5 600 euros et je pensais qu'il s'agissait du budget attribué à la commune de Basse-Terre pour le premier tour. J'ignorais qu'il s'agissait du montant global alloué pour les deux tours et attribué pour toutes les communes comprises entre Vieux-Habitants et Trois-Rivières. Une fois la campagne terminée, il a fallu régler les différents prestataires ou fournisseurs. J'ai donc contacté Marie-Luce Penchard pour lui exposer mes difficultés. Elle m'a répondu qu'il fallait que je prenne contact avec Pascal Averne. C'est à ce moment qu'il m'a appris que le plafond avait été largement dépassé et qu'il fallait essayer de trouver des sponsors. Il arrivait également que les associations soient sollicitées directement pendant le temps des campagnes."
Il précise encore au sujet des personnes recrutées pendant les campagnes : "Celles-ci ont été embauchées par la communauté spécialement pour les élections. Beaucoup d'entre elles n'ont pas vu leur contrat renouvelé. Bien souvent, il s'agissait de jeunes défavorisés. Certains sont venus me trouver pour me demander des explications sur la non-reconduction de leur contrat."
Des koudmen bénévoles ou au noir
Fabrice et son beau-frère Sébastien, entendus comme témoins, auraient effectué des travaux de peinture sur la grande barrière qui se trouve devant la maison de LMC à Gourbeyre. Les deux hommes auraient réalisé gratuitement ce chantier de deux semaines pour "rendre service à la présidente". Sébastien travaille alors depuis cinq ans à la CASBT. Fabrice pense qu'il aurait peut-être à la clé un emploi lui aussi. "Par la suite, raconte-t-il, j'ai été sollicité pour me rendre dans différents bureaux de vote pour aider à annoncer les tendances durant les élections régionales. De plus je me rendais à la permanence de M. Chalus où je devais rassembler les affiches et les remettre à d'autres personnes pour qu'elles puissent les coller. Pour cela, j'ai eu un contrat d'un mois payé environ 1000 euros. Ce contrat n'a pas été reconduit après l'élection d'Ary Chalus. (...) Nous étions de très nombreux jeunes. Je ne pourrais pas vous dire combien. Les élus nous promettaient de nous faire travailler, donc nous étions tous volontaires pour les soutenir."
Le témoignage de son beau-frère concorde : "Il est arrivé qu'on nous demande de coller des affiches politiques dans la ville pour la campagne d'Ary Chalus et pour Marie-Luce Penchard, ou tenir la permanence de leur bureau politique à chacun. On reste au bureau, on reçoit les gens qui veulent savoir à quelle heure sont les conférences, on fait des photocopies de tracts et on les distribue. Nous avons fait cela en 2015 pour les élections régionales. (...) Moi j'ouvrais le bureau à 6 heures pour le nettoyer, je restais jusque vers 16 heures, heure à laquelle commençaient les meetings, et après on allait dans les meetings, on montait les banderoles."
Les marchés publics
Lors d'une discussion téléphonique interceptée, René-Claude Monrose explique à Rodrigue que le marché de la plateforme de Bisdary est déjà attribué alors que les plis ne sont pas encore ouverts. Interrogé par la police, il charge Georges Chazelas, le responsable de la procédure des marchés publics à la CAGSC... Fred Madinécouty explique un peu mieux ce fonctionnement. C'est une écoute téléphonique dans laquelle Fred Madincéouty parle à un entrepreneur : "2 millions... Il ne faut pas dire que tu penses que c'est trop gros et dire ils ne vont jamais me donner le marché. Voilà ce que tu dois dire à Michaux, tu t'assois avec Michaux, tu sais Michaux ne va jamais rien te demander... Il faut dire : présidente, voici le montant. Si j'ai ça, vous avez tant." Il explique alors aux enquêteurs : "Oui, c'était pour un marché qui devait être lancé, mis ça ne s'est pas fait... C'est certainement un mauvais conseil que j'ai donné..."
René-Claude Monrose a témoigné du nombre de sommes (de 1000 à 5000 euros) versées par des entreprises à l'association Basse-Terre Une passion, des entreprises sponsors qui auraient toutes soumissionné sur des marché publics de la CAGSC... C'est Fred Madinécouty qui aurait fait l'intermédiaire. Quant à l'association Basse-Terre Aviron-Club, elle aurait reçu quelque 30 000 euros de trois entreprises. "Si une manifestation d'aviron peut coûter 5000 euros, admet René-Claude Monrose, pour les chapiteaux et la sono, le reste des dépenses sont de type alimentaire, entretien de véhicules, voyages..." Il finit par lâcher : "L'argent n'a pas servi que pour les associations."
Au terme de son instruction à charge et à décharge, la juge d'instruction a abandonné les poursuites relatives au financement des campagnes électorales. Rien à voir donc avec les convocations vendredi dernier par la DIPJ de Marie-Luce Penchard, Pascal Averne et Ary Chalus.
Les dépenses personnelles de Marie-Lucille Breslau
Marie-Lucile Breslau savait-elle que Fred Madinécouty avait un compte client chez Ruillier ? Les écoutes de la ligne de Fed Madinécouty montrent que Mme Breslau ne cesse de le solliciter pour la prise en charge de ses achats personnels ou professionnels : "J'ai un reliquat là (...) Je voudrais que tu fasses le reliquat pour moi..." Mais aussi : "N'oublie pas pour moi, pour le loyer..." Ou bien "J'ai besoin que tu trouves un 1000 euros pour moi..." Et encore : "Bon, j'ai besoin d'un petit truc pour me dépanner parce qu'il manque 2000 euros pour solder le bateau..." Madinécouty ne dément pas et s'explique : "J'ai eu par le biais d'un sponsoring aux associations à prendre en charge une partie de ses dépenses. Concernant l'argent, je passe par une des associations pour lui donner un coup de main, mais le plus souvent les présidents refusaient en me répondant qu'ils la connaissaient, qu'elle était vorace. Pour le bateau, son fils avait acheté un bateau et elle voulait que je lui trouve cette somme pour solder l'acquisition de ce dernier." La justice n'a pas choisi de donner suite à cet aspect de l'enquête..
La défense de LMC
Lucette Michaux-Chevry explique d'abord dans un mémoire en défense adressé au juge d'instruction dans quelles conditions elle a recruté Fred Madinécouty en 1986 alors qu'elle était menacée par les bombes des indépendantistes. Elle le considère comme un proche qui gère ses affaires courantes, sa maison et dispose de chèques en blanc présignés. Employé communal, puis agent régional, Fred Madinécouty devient le directeur de la communauté d'agglos et donne toute satisfaction. C'est à partir de 2015 que LMC l'aurait trouvé de plus en plus distant et préoccupé. Ce sont des lettres anonymes qui l'auraient contrainte à opérer des contrôles, mais surtout des lettres du trésorier payeur en 2016 qui déclenchent de sa part des contrôles approfondis et systématiques sur l'activité et les attributions de Fred Madinécouty. Dès lors, LMC semble s'insurger contre la méthode de son ancien homme de confiance qui "cherche à diluer ses responsabilités en faisant peser le soupçon et la faute sur un élu"...
Les élus écartés de toute gestion
Les procédures des marchés ? "Seul le DGS s'intéressait aux résultats des décisions de la commission d'appel d'offres." Les accusations de sponsoring association ? "C'est Madinécouty qui a utilisé ce procédé pour faire payer sa taxe d'habitation"... Plus globalement, LMC rappelle que la CASGC a eu recours à un cabinet de conseil financier et juridique afin de bénéficier de la meilleure sécurisation de ses services. Elle observe que "ce cabinet n'a jamais dans un aucun rapport d'exécution annuel réalisé avec les services financiers de la collectivité, fait la moindre observation permettant à l'exécutif d'être informé". Elle rétorque en outre que son DGS avait une délégation de signature lui permettant d'engager financièrement la communauté à hauteur de 30 000 euros et que "usant de cette confiance, il a instauré une organisation en s'octroyant des pouvoirs exorbitants" et en "écartant systématiquement les élus communautaires de toute gestion, traitant directement avec les services extérieurs, prenant les pleins pouvoirs"...
Selon LMC, "le prétendu rôle de relais financier que Fred Madinécouty a attribué à l'association dans (son) action politique" ne résiste pas à l'examen.