Buzyn et Vidal devant la commission d'enquête parlementaire sur le chlordécone
Agnès Buzyn veut un plan chlordécone 4 ambitieux
La commission d'enquête parlementaire sur le chlordécone a repris lundi à Paris ses auditions avec l'oral de deux ministres. Si la ministre de la Recherche Frédérique Vidal a donné l'occasion à Serge Létchimy d'exprimer non sans véhémence, son ressenti et celui des Antillais touchés "dans leur chair", la ministre de la Santé, apaisante et compatissante, a confirmé à Justine Bénin la création du fonds pesticide dans le budget 2020 de la Sécurité sociale.
Finis les programmes Karuprostate ou l'introuvable Madisprostate avec "ses problèmes de méthode"... Agnès Buzyn, ministre de la Santé et des solidarités a expliqué que désormais l'on parlerait de "CaPé-Caraïbes", pour "cancer de la prostate Caraïbe". C'est la nouvelle étude lancée par l'INSERM. Il s'agit d'étudier 250 à 300 cas de cancer inclus annuellement pendant cinq ans, soit à terme, 1500 à 1800 cas "pour, a expliqué Mme Buzyn, éviter les biais d'interprétation". Le but de cette étude est de fixer la valeur toxicologique de la molécule.
L'ANSES, de son côté, travaille à définir la valeur toxique d'imprégnation —résultats attendus pour mars 2020 — et la valeur toxique de référence — résultats attendus en décembre 2020.
Santé publique France procède de son côté à une analyse spatiale pour connaître le nombre de cas dans zones contaminées. "Chez les travailleurs de la banane, a indiqué Mme Buzyn, la mortalité est proche de celle des autres Antillais." Une cohorte des travailleurs a été mise en place. Elle regroupe 13 417 exploitants et ouvriers agricoles en Guadeloupe et en Martinique entre les années 1973 et 1993. Parmi cette population, il y a eu 5692 décès. Une étude pour les années 2000-2015 devrait fournir de nouvelles données bientôt.
Concernant le dépistage du chlordécone dans le sang, la ministre a indiqué que "c'était potentiellement anxiogène" et que "il valait mieux le faire dans un cadre d'étude et de recherche parce que le chlordécone disparaît du sang au bout de six mois. Il faudrait renouveler l'analyse tous les mois !" Elle privilégie donc l'échelon collectif pour connaître les taux moyens. Elle a tout de même indiqué que ce taux moyen était en baisse depuis dix ans. Un organisme indépendant a été consulté sur ce sujet précis et devrait remettre ses conclusions en 2020.
La ministre a enfin évoqué le projet de finances 2020 de la Sécurité sociale qui a inscrit un fonds d'indemnisation pour les maladies professionnelles liées aux pesticides, chlordécone inclus. "Il s'agit, explique Mme Buzyn, de simplifier les procédures de reconnaissance pour les maladies professionnelles et prendre en compte les personnes malades non couvertes.
Un taux moyen de cancer record
C'est aussi pour ces personnes que l'ANSES a reconstitué la cohorte des travailleurs de la banane afin d'identifier les personnes malades avant de mettre à jour le tableau des maladies professionnelles. Agnès Buzyn a néanmoins signalé que l'institut Pasteur de la Guadeloupe pouvait faire cette recherche mais que pour être remboursé, cela dépendait de l'avis de la haute autorité de santé.
Selon la ministre, le taux de cancer moyen pour la période 2010-2014 est de 163,6 cas pour 100 000 personnes en Guadeloupe, 161,1 cas pour 100 000 personnes en Martinique, soit 500 cas par territoire et par an. A titre de comparaison, ce taux moyen pour la France est de 98 cas pour 100 00 personnes en 2012. La ministre a indiqué que le taux moyen de cancer aux Antilles est en baisse par rapport à la période 2004-2009. Elle admet toutefois que c'est un taux record même si d'autres îles de la Caraïbes ou des population afro-américaines ou afro-britanniques ont des taux avoisinant.
Quant au taux de morbidité, une étude doit débuter en 2020. Elle s'appuiera sur le registre des cancers et les données de l'administration et des professionnels de santé.
Par ailleurs, Agnès Buzyn a indiqué que l'élaboration du plan chlordécone 4 se ferait en "co-construction" avec des réunions dans les mairies, en lien avec l'ARS, les associations et les élus.
Interrogée par Serge Létchimy qui s'étonnait que l'on parle d'un "aveuglement collectif," la ministre a dédouané les populations antillaises et reconnu, du bout de la langue et pour les faits passés, la responsabilité de l'Etat.
"Nos conclusions, a repris le président de la commission d'enquête, mettront en cause la responsabilité de l'Etat."
FXG, à Paris
Frédérique Vidal veut un volet spécifique dans le plan national santé et environnement
L'audition de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche lui a donné l'occasion d'expliquer aux membres de la commission d'enquête comment les financements de la recherche prenaient désormais en compte l'interpluridisciplinarité du sujet chlordécone, y compris jusqu'aux sciences sociales. C'est pour cette raison et "éviter les tuyaux d'orgue" qu'il n'y a pas de "fléchages dédiés des moyens" que regrettent les membres de la commission d'enquête. La ministre a insisté pour dire que l'objectif du gouvernement était de faire en sorte que "les politiques publiques s'appuient sur les résultats de la recherche", ce qui n'a pas toujours été le cas. Le président de la commission lui a fait remarquer qu'elle avait employé les mots "scandale" et "drame". "Oui, c'est un drame, a répondu Mme Vidal, dont pendant longtemps on n'a pas mesuré l'ampleur." Serge Létchimy lui a alors demandé si ce programme de recherche serait inscrit "dans la stratégie prioritaire du gouvernement". La ministre a expliqué qu'elle souhaitait qu'au-delà du plan chlordécone 4, que le futur Programme National Santé Environnement dispose d'un volet spécifique sur le chlordécone, ce qui en fait, a-t-elle assuré "une priorité nationale". C'est en tout cas ce qu'elle entend proposer au Premier ministre et au président de la République. Pour autant, Serge Létchimy n'a pas entendu le terme de "stratégie nationale" et il l'a fait savoir. Quand Mme Vidal lui a fait remarquer qu'il haussait le ton, Serge Létchimy a balayé d'une phrase sa remarque : "Non, c'est de la tristesse... Vous n'avez pas de chlordécone en vous..." Après cet échange, un député LRM de Vendée est intervenu pour arrondir les angles avec la ministre. Serge Létchimy n'avait plus de question.