La Pelée et les pitons de Martinique à l'UNESCO - ITW Louis Boutrin
Louis Boutrin, président du parc naturel régional, a annoncé mardi que la candidature des volcans et forêts de la Martinique serait la seule candidature de la France devant les instances de l'UNESCO pour obtenir le label "patrimoine mondial". Un label désormais attendu en juillet 2021.
"Le label de l'UNESCO c'est un afflux de 30 à 60 % de tourisme supplémentaire"
Est-ce la fin d'un parcours du combattant débuté en 2017 ?
C'est une étape, d'autant que désormais chaque pays ne peut plus présenter qu'un bien et non plus deux... Il y a 39 biens culturels inscrits au patrimoine de l'UNESCO en ce qui concerne la France, cinq biens naturels et un bien mixte, à la fois culturel et naturel. Les règles ayant changé, nous avons rencontré des difficultés... Il y a deux parties dans le dossier de candidature. La première partie, c'est la validation devant le Comité français du patrimoine mondial. A ce niveau, il y a un dossier technique et scientifique à présenter et puis quand bien même ce dossier est validé, il y a une validation politique parce que c'est le président de la République, sous la recommandation de ses ministres de la Culture et de l'Ecologie qui décide in fine quel sera le dossier qu'il portera devant les instances internationales de l'UNESCO avant le 30 janvier. Donc, c'est un vrai parcours du combattant pour décrocher cette prestigieuse distinction...
Vous aviez l'avantage d'avoir déjà fait cette démarche en 2017...
Oui et non parce que nous avions cette année une candidature nouvelle, celle d'un dossier qui était sur la liste indicative depuis 2004, qui est le dossier de la baie des anges à Nice. Un concurrent difficile parce que porté par le maire de Nice, ancien ministre de l'Outre-mer, Christian Estrosi, et par Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture qui était président de la candidature niçoise. Nice avait été auditionnée au mois de juin dernier. Mardi, il y a eu deux autres auditions, Nîmes et sa Maison carrée, et puis les volcans et forêts de la Martinique. Il faut des soutiens politiques comme on l'a vu l'an passé pour le dossier du phare de Cordouan avec Alain Juppé et Dominique Bussereau. Nous n'avions pas les reins suffisamment solides pour arracher la décision.
Qu'est-ce qui changé cette année pour que la Martinique l'emporte ?
Nous avons présenté un dossier d'une grande qualité qui a été soulignée par le jury. Nous avons déjà validé la reconnaissance de la valeur exceptionnelle et universelle du bien sur le critère géologie volcanique et le critère biodiversité, c'était en 2016. ensuite, nous avons validé en avril 2017 les principes et modalités méthodologiques qui vise à définir un projet de périmètre. Ce qui fait que nous avons un coeur de bien où se trouvent 80 % de forêts primaires, une zone tampon où les activités économiques sont autorisées et puis le cadre distant, c'est-à-dire tous les paysages qu'on peut voir depuis la montagne pelée avec la baie de Saint-Pierre ou depuis les pitons du Carbet avec la baie de Fort-de-France jusqu'aux Trois-Îlets. Enfin, nous avons démontré en octobre 2018 notre capacité à gérer ce bien. Ces trois étapes nous ont permis de faire valoir nos atouts.
Maintenant que la décision est entre les mains du président de la République, peut-il y avoir encore un revirement ?
Le Comité français du patrimoine mondial a donné un avis et l'avis de ce Comité a toujours été suivi par le président. C'est une règle non écrite, mais qui est érigée en principe, celle de l'alternance entre un bien culturel et un bien naturel. L'an dernier, c'était un bien culturel, cette année, ce sera un bien naturel, le nôtre. Or, nous avons obtenu cette année le label de forêt d'exception qui est accompagné d'un certain nombre de mesures de gestion et grâce à ce label, on a pu démontrer notre capacité à trouver une articulation entre les politiques publiques forestières avec la gestion du bien UNESCO. On a pu également entrer dans le cadre d'un réseau d'acteurs très fermés, puisque sur l'ensemble du territoire français, il n'y a que treize forêts labellisées d'exception et nous sommes la seule en Outre-mer. Nous avons renforcé ainsi notre candidature.
Toutes les conditions sont aujourd'hui réunies et rien ne s'oppose sauf surprise de dernière minute à ce que notre dossier soit présenté à l'UNESCO.
Pourtant, lors du grand débat national avec les maires, le président n'a parlé que de la candidature de la yole...
Il s'agit d'une autre convention. Celle de 1972 dans laquelle nous concourons est la plus prestigieuse, est celle qui donne de la visibilité internationale comme l'a obtenue la Grande muraille de Chine, le mont Saint-Michel ou la grande barrière de corail d'Australie. Tout cela donne un afflux touristique de 30 à 60 % de tourisme supplémentaire. La yole, c'est comme le reggae et on espère le bèlè ou le zouk, c'st du patrimoine immatériel et cela relève d'une convention de 2003 qui a moins d'exigences. Nous espérons que notre yole sera classée elle aussi au patrimoine immatériel comme le bèlè ou la biguine.
Quel sera le calendrier ?
Fin janvier, le président va déposer la candidature de la France et ensuite, c'est l'étape internationale. Pendant une année, les instances internationales vont examiner le dossier sous toutes les coutures. Nous aurons ensuite une audition devant l'UNESCO. Là, il y un travail de lobbying à faire parmi les membres du jury pour que notre dossier soit retenu. Alors, la décision définitive tomberait en juillet 2021.
Outre l'afflux touristique supplémentaire, quel est l'avantage de ce label ?
L'avantage de notre dossier, c'est que c'est le projet du territoire du nord de la Martinique. Il est attendu par les 18 communes du nord, il est à cheval sur deux communautés d'agglos, CAPNord et la CACEM et à l'intérieur de ce dossier, il y a des axes pour gérer 25 millions d'euros répartis sur cinq ans pour accompagner les porteurs de projets. Ces projets font partie d'un plan de cofinancement dans le cadre du plan de convergence signé avec l'Etat. Il y a donc un enjeu de développement avec à la clé des emplis qui restent encore à quantifier dans le tourisme, l'artisanat et de métiers à faire valoir et maintenir. Même si notre projet est un bien naturel, nous avons aussi le mettre en perspective sur le plan culturel parce que le Nord, c'est le socle de la culture martiniquaise. Nous voulons développer ces atouts à travers l'histoire des hommes de ce territoire. Ces forêts sont synonymes de liberté, ce sont des terres de marronnage, de dissidence. La Jamaïque a fait reconnaître par l'UNESCO le marronnage. Le nord, c'est la culture des mornes auxquels sont associés des figures comme Aimé Césaire, Edouard Glissant, Raphaël Confiant, Frantz Fanon... Toutes ces personnalités se sont inspirées des paysages du Nord. Et puis le Nord, c'est le grenier de la Martinique. Il y a une mise en valeur du bien à travers un socle culturel et cela constitue un atout extraordinaire pour le développement de cette partie de la Martinique.
Que ressentez-vous ?
Nous avons un sentiment de satisfaction, mais le travail doit continuer car nous avons identifier un certain nombre de menaces qui pèsent sur le bien : les espèces exotiques envahissantes, le changement climatique, les activités anthropiques comme la chasse ou la sylviculture et l'urbanisation. Donc, nous avons anticipé et apporté des éléments de réponse. C'est une des grandes forces de notre dossier. Maintenant, on attend la fin janvier, mais de manière rassurée !
Propos recueillis par FXG, à Paris