Rapport de la commission d'enquête chlordécone
L'Etat "principal responsable" du scandale chlordécone
Le rapport de la commission d'enquête parlementaire présenté mardi à Paris attribue le gros des responsabilité du scandale du chlordécone à l'Etat mais également aux importateurs et aux producteurs de banane à qui il faudrait appliquer le principe du polleur payeur.
Serge Létchimy (app. PS Martinique) et Justine Bénin (app. Modem Guadeloupe) ont présenté mardi à l'Assemblée nationale les résultats de la commission d'enquête parlementaire sur les impacts sur la santé et l'environnement de l'usage du chlordécone. Après six mois d'auditions passés à établir la véritable histoire du chlordécone, leur rapport propose une synthèse mais également une cinquantaine de propositions pour sortir de cette situation dans laquelle se trouvent la Martinique et la Guadeloupe depuis 48 ans. Serge Létchimy, président de la commission d'enquête s'est lancé : "Tout un peuple est imprégné, nos terres agricoles sont contaminées pour 700 ans à 50 ou 60 % et c'est un mécanisme de pollution irréversible qui touche la terre, l'eau, l'alimentation, le sang, les humains... C'est un bouleversement pour ce peuple et droit à vivre dans la dignité..."
La première question à laquelle la commission d'enquête répond, c'est "ki moun ka fé sa ?" Et Serge Létchimy répond : "C'est l'Etat, principalement." Et comme Emmanuel Macron, en Martinique en 2018, a déclaré que l'Etat prendrait toutes ses responsabilité, Serge Létchimy affichait un beau sourire en énonçant les autorisations en 1972, les dérogations en 1990 et les autorisations pour écouler les stocks en 1992 et 1993. Mais il a encore fait porter à l'Etat la responsabilité de la gestion de la crise entre 1993 et 2002, année où l'on retrouve quelques tonnes de produits en Guadeloupe et Martinique, comme celle de la gestion insuffisantes des plans chlordécone.
Les autres responsables, Serge Létchimy les as désignés : les importateurs qui se sont transformés en producteurs (Lagarrigue et Cotrell) après la fermeture de l'usine d'Hopewel en Virginie. Il a encore désigné les planteurs, les groupements de bananiers contre lesquels il voudrait faire appliquer le principe du pollueur payeur.
Pour autant, Serge Létchimy ne tient pas à faire payer à ces responsables la totalité de leur dette, puisque c'est principalement l'Etat qui est attendu pour des solutions d'ensemble. Eu égard à certaines mobilisation en Martinique sur fond de musique du rappeur Neg Lyrical, Serge Létchimy a tenu à dire qu'il est contre toute idée de "stigmatisation raciale" qui entretiendrait une atmosphère de violence, mais il dit qu'il qu'il est "pour qu'on touche au système qui a abouti à cela". C'est donc un nouveau processus, non pas de réconciliation, mais de réparation. Qu'elles soient économiques pour les maraîchers, les éleveurs et les pêcheurs, pour la recherche (sur la santé et sur la dépollution), pour l'établissement de laboratoires d'analyse des sols sur place... Car après la déclaration du président de la République sur ce "scandale d'Etat", les parlementaires ne veulent pas croire à une déclaration de bonne intention. Ils veulent une loi d'orientation et de programmation pour quinze ans, avec la nomination d'un délégué interministériel chlordécone. Et "pour sortir par le haut", Serge Létchimy entend faire payer l'Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique qui financerait avec une partie de son chiffre d'affaires le prix de la mutation agricole et la diversification. "Si on ne prend pas au sérieux ce drame, a conclu Serge Létchimy, ça se terminera certainement très mal."
FXG, à Paris
Histoire d'une pollution et exigences de réparation
Justine Bénin a contré son intervention sur le contenu du rapport qui sera officiellement rendu public que le 2 décembre. 150 personnalités auditionnées et un travail sur les archives retrouvées du ministère de l'Agriculture ont permis de retracer l'histoire de cette pollution et d'apporter des réponses sur les responsabilités des uns et des autres. Ainsi entre 1968 et 1971, les demandes de mise sur le marché du képone sont refusées et ne le seront provisoirement qu'à compter de 1972. En 1976 et 1980 deux rapports alertent déjà sur le danger de l mollécule. En 1980, la société qui commercialise, CEPPIC, se déleste de son activité agricole et c'est le groupe Lagarigue qui reprend sa licence et fait fabriquer à Bézier puis au Brésil le curlone. C'est Laguarigue qui demande l'autorisation provisoire de vente dès 1980, qui devindra définitive en 1986. 1990, l'usage du chlordécone est interdit mais les dérogations pour écouler les stocks sont lâchées jusqu'en 1993. "L'Etat a commis une défaillance et des erreurs qui ont engagé sa responsabilité", lance Mme Bénin. Car dès 1979, le chlordécone est considéré comme cancérogène possible. Mme Bénin a pointé les responsabilités des lobbys, des acteurs économiques privés qui "défendent tous un produit miracle".
La seconde partie du rapport revient sur "les exigences de réparation et de projets à mettre en oeuvre pour sortir de cette pollution". Il faut renforcer la recherche médicale car les risques sanitaires sont encore mal quantifiés. Il faut aussi accompagner les personnes à risque, former les professionnels de santé, diffuser des programmes de prévention et d'éducation sanitaires. "Il y a une catégorie de personnes touchées, a insisté Mme Bénin, qui ont besoin d'un suivi sanitaire et gratuit. Sur le plan économique, la pollution impacte les pêcheurs dont les zones de pêche ont été réduites de 55 % en dix ans (désormais, 75 % des produits de la mer sont importés), les éleveurs, les maraîchers. Les rapporteurs veulent donc une "action ambitieuse pour les aider", pour les pousser à se regrouper, pour simplifier les accès aux aides... Mieux, le rapport préconise que le POSEI (la politique européenne agricole commune pour les Outre-mer) participe au financement de la conversion agro-biologique et à la diversification agricole. Il s'agit de "restaurer la confiance des consommateurs pour les productions locales". Ce soutien prendrait la forme d'un fonds d'intervention pour les victimes économiques avec un objectif : atteindre le zéro chlordécone dans l'alimentation. Le rapport des parlementaires dans ses préconisations vise une "logique d'autosuffisance alimentaire"... Pour les rapporteurs, cela doit passer par une loi d'orientation afin de prévoir les financements. Les sommes sont astronomiques puisque la seule analyse des sols de Martinique et de Guadeloupe est estimée à 25 à 30 millions d'euros. Mais comme le dit Justine Bénin, "on n'imagine pas l'Etat ne pas honorer sa responsabilité vis-à-vis des personnes touchéees dans leur chair.