Buzyn et Girardin préparent le plan chlordécone 4
Au lendemain de la publication du rapport de commission d'enquête parlementaire sur les impacts du chlordécone aux Antilles, Agnès Buzyn, ministre de la Santé et des Solidarités et Annick Girardin, ministre des Outre-mer, répondent aux questions de France-Antilles alors qu'elles préparent le plan chlordécone 4.
"Nous lançons le plan chlordécone 4 en concertation avec la population"
Le nouveau plan chlordécone 4 est annoncé "plus ambitieux" que les précédents. De quelle enveloppe financière disposera ce nouveau plan ?
Annick Girardin : Ce nouveau plan est plus ambitieux d’abord par sa méthode d’élaboration. Le plan 4 doit prendre en compte le bilan des précédents plans et les préconisations de la commission d’enquête parlementaire qui vient de rendre son rapport. Pour construire ce plan, nous ne mettrons de côté aucun acteur, ni la population, ni les élus, ni le milieu universitaire. Notre approche, c’est la reconnaissance de la responsabilité, la transparence à toutes les étapes et surtout, bien entendu, la protection des populations.
À ce stade, il est impossible de déterminer l’enveloppe budgétaire : elle dépendra des actions à mener dans le futur plan qu’il nous reste à co-construire. Ce sera l’enjeu principal de 2020. Nous devrons aussi mieux valoriser les actions portées par les collectivités, comme par exemple les actions menées par le Conseil départemental de Guadeloupe dans le cadre des contrôles de la qualité de l’eau pour l’irrigation agricole. Ils ont été multipliés par 4 ces dernières années, ce n’est pas rien ! Les communes seront également mieux associées. La lutte contre la pollution à la chlordécone est l’affaire de tous. Et l’Etat sera évidemment au rendez-vous.
Qui sera en charge de son pilotage ?
Agnès Buzyn : Le plan chlordécone 3 – aujourd’hui en vigueur - est co-piloté au niveau national par les ministères de la Santé et des Outre-mer, sous l’autorité du Premier ministre, et au niveau local par les préfectures. Nous avons entendu les remarques sur un pilotage peut-être trop centralisé et éloigné du terrain. Le gouvernement est déterminé à agir en proximité avec tous ceux concernés par ce plan, car la proximité et la transparence des processus de décision sont essentielles pour rétablir la confiance.
Il est vrai que pour le futur plan chlordécone, nous devrons inventer un nouveau pilotage fortement ancré localement. Nous devons construire un dispositif de coordination et de suivi avec la population, les élus et les professionnels. Face aux inquiétudes, nous voulons que l’écoute et la concertation fondent plus que jamais nos décisions. Nous lançons l’élaboration du plan chlordécone 4, en concertation avec la population. Il est important que chacun puisse s’approprier le futur plan.
L'objectif zéro chlordécone dans l'alimentation affiché dans ce plan est-il réalisable et dans quel délai ?
Agnès Buzyn : C’est une décision forte du président de la République lors de son déplacement aux Antilles en septembre 2018 : nos efforts doivent tendre vers le « zéro chlordécone » dans l’alimentation. Cet objectif peut être atteint si chacun se mobilise : les producteurs, les distributeurs ou encore les particuliers qui produisent ou consomment eux-mêmes leurs denrées. Sans cette mobilisation générale, il est difficile aujourd’hui de se fixer un délai. C’est l’enjeu que nous devons collectivement relever et nous y sommes déterminés.
Il nous faut poursuivre nos efforts, par exemple, sur le programme JAFA mis en œuvre par les Agences Régionales de Santé, ou encore les contrôles des denrées alimentaires qui ont été renforcés. Vous le savez, un travail important doit aussi se poursuivre pour lutter contre les produits informels les plus contaminés (comme les cultures sensibles issues de sols contaminés ou les élevages ne respectant pas les recommandations de bonnes pratiques).
Les préfets sont d’ores et déjà fortement mobilisés sur le zéro chlordécone dans l’alimentation. Cet objectif, majeur en matière de prévention, sera également au cœur du plan chlordécone 4.
Quels sont les principaux objectifs du plan chlordécone 4 en termes de recherche pour la santé publique et pour l'environnement ?
Agnès Buzy : Il y a des objectifs que nous considérons comme prioritaires. C’est notamment le cas de la dépollution des sols pour laquelle un appel à projets a été lancé, et plus largement l’impact de ce pesticide sur les écosystèmes et sur notre santé. Nous avons demandé au comité scientifique chlordécone de prioriser les sujets de recherche suite au colloque d’octobre 2018.
Le sujet de la chlordécone doit être intégré dans les problématiques de santé publique plus larges telles que les perturbateurs endocriniens par exemple.
A ma demande, l’InCA vient d’annoncer un programme de recherche, sur cinq ans, pour répondre à la question du lien, et de la part attribuable, entre l’exposition à la chlordécone et le risque de survenue du cancer de la prostate dans les Antilles. Les grandes études telles que Timoun, KP-Caraïbes, Kannari II, EAT Antilles… seront également soutenues.
Enfin, il sera aussi important de mettre en place des programmes de recherche clinique, et des réflexions sont d’ores et déjà en cours avec les hospitaliers locaux, les universitaires et les ARS.
Que prévoit le plan chlordécone 4 pour permettre aux populations contaminées de bénéficier d'un suivi sanitaire ?
Agnès Buzyn : Je sais combien un suivi sanitaire est attendu par de nombreuses personnes qui s’interrogent sur les diagnostics ou dépistages qui doivent être mis en place pour détecter ou prévenir la survenue d’éventuelles maladies liées à une exposition à la chlordécone. C’est pourquoi nous avons voulu que la feuille de route 2019-2020 prévoit un accompagnement renforcé des populations plus vulnérables, que sont les femmes enceintes, en âge de procréer et les jeunes enfants, dans le cadre d’un programme spécifique de prévention, d’ores et déjà mis en œuvre en Guadeloupe et en Martinique sous l’égide des ARS. Ces actions seront bien évidemment poursuivies.
J’ai également demandé à la Haute Autorité de Santé (HAS) d’évaluer la pertinence de doser, de façon individuelle, la chlordécone dans le sang et, le cas échéant, d’un remboursement par l’assurance maladie. Ces travaux seront menés en 2020.
Le plan chlordécone a permis d’instaurer aux Antilles trois dispositifs essentiels de surveillance et de suivi sanitaire de la population : les registres antillais des cancers, le registre des malformations congénitales des Antilles (REMALAN) et le dispositif de toxicovigilance des Antilles (DTV-A).
Enfin, comme nous nous y étions engagés, plusieurs chantiers sont en cours pour améliorer l’indemnisation des professionnels exposés à la chlordécone avec une amélioration du dispositif des tableaux de maladies professionnelles ou encore la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de maladies professionnelles liées aux pesticides.
Ce plan fera-t-il une place aux victimes ? Est-il prévu de définir un statut de victime du chlordécone à l'instar des victimes de retombées radioactives en Polynésie française suite aux essais nucléaires ?
Agnès Buzyn : Je comprends combien la question de la reconnaissance du statut de « victime de la chlordécone » est importante pour toutes les personnes concernées. C’est un sujet très complexe. Pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, cela est effectivement très encadré et pour être qualifié de « victime directe », il faut répondre à des conditions spécifiques d’exposition, c’est-à-dire de date, de lieu et de maladie. Nous n’avons aujourd’hui pas suffisamment d’éléments scientifiques et d’expertise pour un tel dispositif pour la chlordécone. Mais nous sommes déterminés à mettre en œuvre un système d’indemnisation des victimes de maladies professionnelles agricoles liées à l’exposition aux produits phytosanitaires.
Existe-t-il ou existera-t-il un fonds d'indemnisation des victimes ? Qui sera éligible à ce fonds : les personnes contaminées physiquement, les pêcheurs, éleveurs et maraîchers ayant subi des dommages économiques sur leurs productions, les agriculteurs ayant subi une pollution de leurs terres ?
Agnès Buzyn : Comme je m’y étais engagée, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit, pour 2020, un fonds qui pourra indemniser les victimes de maladies professionnelles agricoles, les exploitants agricoles retraités avant 2002 ou encore les enfants dont la pathologie est directement liée à l'exposition professionnelle de l'un de leurs parents pendant la période prénatale.
D’après l’expertise collective de l’Inserm de 2013, si les expositions professionnelles aux pesticides ont relevé de fortes présomptions de lien de causalité concernant certaines pathologies rencontrées dans les populations agricoles les plus exposées, l’état actuel de la littérature scientifique ne permet pas d’établir de telles associations s’agissant des expositions environnementales. Concernant les dommages économiques liés à la pollution par la chlordécone, il existe des mesures d’accompagnement des professionnels prévues dans le plan chlordécone 3 et le plan 4 en prévoira également.
Concernant les personnes malades suite à leur contamination par le chlordécone, avez-vous pu faire évoluer la liste des maladies professionnelles dans le cadre du régime général des accidents du travail et maladies professionnelles ainsi que du régime agricole ?
Agnès Buzyn : En 2018, le gouvernement a souhaité engager des travaux en vue de l’actualisation des tableaux de maladies professionnelles, et notamment de la création d’un tableau spécifique à la chlordécone et au cancer de la prostate. A cette fin, le gouvernement a saisi l’Inserm d’une demande d’actualisation de son expertise collective de 2013 sur les effets sur la santé des pesticides, avec une priorisation du sujet chlordécone.
Les tableaux de maladies professionnelles sont élaborés et révisés par des instances composées en particulier des partenaires sociaux. Les travaux de ces commissions s’appuient sur une expertise scientifique indépendante confiée à l’Anses qui a été saisie en 2018, et devrait rendre ses travaux sur la chlordécone mi-2020.
Les travaux sur l’évolution des tableaux de maladies professionnelles liées à l’exposition aux pesticides sont donc en cours, avec une priorisation sur les expositions à la chlordécone.
La commission d'enquête parlementaire conclut à la responsabilité principale de l'Etat et à l'exigence de réparations. Faut-il une loi d'orientation et de programmation sur quinze ans avec le pilotage d'un délégué interministériel dédié comme le proposent les parlementaires ?
Annick Girardin : Je l’avais dit et je le répète : sur la chlordécone, la responsabilité de l'État est engagée. Pour cette raison, comme l’a rappelé la ministre de la Santé, le gouvernement va créer un fonds d’indemnisation des victimes professionnelles des produits phytosanitaires, dont la chlordécone.
Je tiens aussi à rappeler que les acteurs professionnels touchés par la pollution ont été accompagnés au cours des premiers plans chlordécone. Cela représente 11 millions d’euros pour les pêcheurs et 15 millions d’euros pour les agriculteurs. Avec ma collègue Agnès Buzyn, nous veillerons à ce que le plan chlordécone 4 contienne, comme c’était le cas pour le plan 3, un accompagnement des acteurs professionnels subissant des retombées économiques négatives liées à cette pollution environnementale.
Mais je ne pense pas qu’une loi d’orientation et de programmation sur 15 ans soit indispensable. Les engagements pluriannuels, nous les avons sur la durée de chaque plan. A chaque période, nous pouvons faire évoluer les priorités et les budgets, en fonction de l’évolution des recherches et des échanges que nous avons avec les acteurs et les populations. En termes de pilotage, la discussion est ouverte. Je considère qu’il est essentiel que la direction générale de la santé reste au cœur du dispositif, au regard des enjeux de santé publique.
Concernant les premiers responsables de cette pollution, à savoir les importateurs, les lobbys agricoles et les planteurs de bananes, les parlementaires proposent de leur appliquer le principe du pollueur payeur. Etes-vous d'accord ?
Annick Girardin : Lorsque le chlordécone a été autorisé, dans les années 1970, les professionnels de la banane étaient satisfaits : cela permettait de régler à peu de frais le problème du charançon du bananier qui menaçait de détruire les cultures. L’objectif était d’abord de préserver les emplois des Martiniquais et des Guadeloupéens. À l’époque, de nombreux élus ont soutenu cette démarche ou ne s’y sont pas opposés ! Nous devons poser toutes les cartes sur la table. Nous allons bien évidemment discuter avec tous les acteurs concernés par cette pollution.
Comme je l’ai rappelé lors de mon audition devant la commission d’enquête, la responsabilité de l’Etat est engagée. Le premier devoir de l’État, c’est la protection des populations. Mais cela n’exonère pas les fabricants de ce pesticide, ceux qui l’ont importé, les exploitants agricoles qui l’ont utilisé, certains socioprofessionnels et élus de d’époque.
Plus globalement le rapport des parlementaires dénonce le système exclusif de monoculture d'exportation comme une des raisons du scandale chlordécone. Soutenez-vous leur demande de réorienter davantage le POSEI sur les cultures vivrières et de diversification ?
Annick Girardin : Au cours du 20e siècle, l’histoire de la banane se mêle étroitement à celle des Antilles. Sa culture a été développée dans les années 30 car, contrairement aux arbres producteurs de café et de cacao, le bananier peut à nouveau être productif seulement un an après le passage d’un cyclone violent.
La filière banane, au même titre que d’autres filières agricoles comme la canne, le sucre ou le rhum, bénéficie désormais de l’appui de l’Union européenne grâce au Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI). Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, cette filière antillaise est en concurrence sur le marché français avec des produits issus de pays étrangers qui sont autorisés à utiliser des modes de production désormais interdits aux Antilles, comme l’épandage aérien par exemple. Pourtant, les producteurs antillais savent se renouveler : la banane antillaise biologique sera bientôt commercialisée ! Et elle sera respectueuse de l’environnement, du climat, de la biodiversité et surtout de la santé des consommateurs.
Propos recueillis par FXG, à Paris