Ophir, Grand prix FIFO France Télévisions 2020
"Ophir", l'histoire réparée de Bougainville
"Nombre des habitants de Bougainville, raconte Alexandre Berman, coréalisateur avec Olivier Pollet, ont cette croyance très ancrée que leur île est Ophir, cette terre où le roi Salomon est allé chercher ses trésors pour construire son temple."
Avant qu'elle ne se nomme Bougainville, ses habitants appelaient leur île dans l'archipel des Salomons, la terre sacrée. Sur cette terre, la Bougainville Cooper limited a installé une énorme mine à ciel ouvert. La mine de Panguna a été le catalyseur d'une guerre qui a duré plus de dix ans, qui a tué 10 % de la population, une guerre nommée "la crise de Bougainville". Entre la découverte des minéraux dans les années 1960 et le début de leur exploitation dans les années 1970, il y a eu, comme l'énonce pudiquement Alexandre Berman, des "épisodes coloniaux" dont la mine reste le stigmate le plus visible, celui d'une terre violée. Des populations sont déplacées sur des terres qui ne sont pas les leurs alors qu'à Bougainville, les terres sont coutumières et appartiennent traditionnellement aux femmes. Ces gens assistent impuissant à l'ensevelissement de cette terre si chargée de sens, de leurs villages où ils ont vécu immuablement de génération en génération. "C'est quelque chose qui est de l'ordre de l'anormal, raconte Alexandre Berman... Certains personnages m'ont dit que c'était la fin de la "lifeline", de la ligne de vie, parce que dès lors qu'ils ne sont plus sur leur terre coutumière, ils ne sont plus rien."
La contestation qui monte explose en 1989, c'est la guerre. Les combats dureront jusqu'en 1997.
Il y a encore des armes à Panguna
En 2014 et 2015, Olivier Pollet et Alexandre Berman, ont passé plus de trois mois dans les communautés et villages avoisinants la mine de Panguna et dans la ville d'Arawa sur la côte Est de Bougainville. Un an auparavant, Olivier Pollet avait écouté à Canberra (Australie), à l'occasion d'une conférence sur l'avenir de Bougainville, le président John Monis afficher sa volonté de rouvrir la mine de Panguna pour financer l'indépendance future... Le référendum promis par les autorités de Papouasie Nouvelle-Guinée dans l'accord de paix de 2001 devait alors se tenir entre 2015 et 2020. "La mine n'est pas le choix des populations qui ont déjà eu à en souffrir, regrette Alexandre Berman, mais celui du gouvernement autonome de Bougainville conseillé par des Australiens." Rouvrir cette mine, c'est rouvrir des blessures à peine cicatrisées.
Ce sont ces gens et cette terre que les deux réalisateurs ont pris pour héros collectif de leur documentaire. "C'est un film choral ou toutes les voix n'en portent qu'une, explique Alexandre Berman. On voulait explorer le souffle d'un lieu qui a vécu un drame, une histoire lourde mais qui en même temps contient la vie." Les réalisateurs se sont donnés pour mission de "réparer une histoire" à l'instar de l'ancien guerrier, Bruno qui, dans sa forêt, plante des arbres dans un acte de reconquête de la terre, ou encore Ruth, le personnage féminin du film... Mais la menace de la mine rend tenace celle de la guerre. Il y a encore des armes autour de Panguna. Le gouvernement de la République Mékamui formé des anciens chefs de la révolution contrôle toujours cette zone.
Le référendum consultatif qui a eu lieu en décembre 2019 a donné 98 % de votes en faveur de l'indépendance de Bougainville. Ce désir de liberté remonte à l'origine, à l'indépendance de la Papouasie Nouvelle-Guinée, en 1975. "C'est un désir enraciné qui, du fait de la crise et de la guerre, s'est décuplé, conclut Alexandre Berman. Si des projets miniers très concrets surgissaient à nouveau sur le territoire, ça créerait des complications, mais je ne pense pas que la mine rouvrira." Difficile de dire si, pour être tendance, leur film est ou non un film d'impact, il est en tout cas un beau film d'espoir.
FXG, à Papeete
Ophir, 97', Alexandre Berman et Olivier Pollet