Tout simplement Noir - Interview de Jean-Pascal Zadi
Le film de Jean-Pascal Zadi, « Tout simplement noir », sort ce mercredi dans les salles. Rencontre avec un réalisateur qui pose avec humour la question : qu’est-ce qu’être Noir et Français aujourd’hui ?
« Nous ne sommes que des êtres humains »
Vous attendiez-vous à l’événement que provoque la simple annonce de la sortie de votre film ?
Pas du tout ! J’ai commencé à écrire ce film en 2015 parce que je voulais raconter ma condition de Noir et de Français. Il y a tellement peu de trucs qui décrivent cette condition… Je ne voulais pas faire un film politique et, avec les événements, c’est devenu politique.
L’humour est donc aussi un vecteur politique ?
Bien sûr ! L’humour est un très bon vecteur mais pas que pour la politique, pour tout ! L’humour permet de faire passer des messages à condition que ce soit fait de manière intelligente. C’est ce que nous avons essayé de faire avec « Tout simplement noir ». On avait un message à faire passer, une question à poser : qu’est-ce que c’est le communautarisme ? qu’est-ce que c’est d’être Noir et Français ? On avait tout ça à mettre sur la table et après, on a essayé de le dire de façon marrante.
La plupart des acteurs du film jouent leur propre rôle, comment avez-vous fait votre casting ?
Il y avait un axe narratif principal avec le héros qui veut organiser une marche et, à l’intérieur de cet axe, il y a des thématiques que l’on a voulu aborder, parmi celles-ci le fait d’être une artiste noire qui joue avec les clichés pour Claudia Gbagbo, le métissage pour Eric Judor… On a choisi les thématiques et après, on a inséré les comédiens, on n’a pas fait l’inverse. On les a choisis en fonction de ce qu’ils avaient à défendre. Dans la rivalité Afrique/Antilles, on a choisi Fabrice Eboué pour l’Africain et pour le mettre en face, on a pris Lucien Jean-Baptiste parce qu’il fallait quelqu’un qui ait du répondant !
Quand vous préparez votre film, c’est le moment où Aïssa Maïga initie cet ouvrage collectif, « Noir n’est pas mon métier ». Cette démarche vous a-t-elle interpellé ?
On sait très bien qu’existe dans le cinéma français une situation de monopole dans le sens où c’est toujours le même type de profil qui raconte les histoires. C’est difficile d’être en désaccord avec « Noir n’est pas mon métier » ! Quand il y a un livre qui sort et qui dit qu’il n’y a pas assez de Noirs dans le cinéma français, ben oui, ça me parle ! Après, ce sont des actrices qui l’ont fait à leur manière, mais c’est à peu près le même discours que le mien.
Est-ce qu’il vous a été facile de monter ce film ?
Ca a été très dur… Quand j’ai commencé à le proposer à des sociétés de production, certains m’ont dit : « Les Noirs, ça n’intéresse personne. » D’autres m’ont dit que je ne correspondais pas au profil de réalisateur, que je n’étais pas sérieux. Maintenant, faut qu’on m’explique ce que c’est qu’un prof de réalisateur sérieux ! Je me suis fait envoyer balader plein de fois, mais je n’ai pas lâché, j’ai continué…
Qu’est-ce qui a fait que ça a marché ?
C’est comme tout dans la vie, c’est la bonne rencontre au bon moment. J’ai rencontré Gaumont par l’intermédiaire de Fabrice Eboué et quand je suis arrivé dans leurs bureaux, eux, ça ne leur a pas semblé incongru de parler de cette identité noire française. Ils ont tout de suite compris et ils ont dit oui. Mais, c’est la bonne rencontre au bon moment, c’est le hasard.
Quand le vaste mouvement antiraciste a démarré après la mort de Georges Floyd, avez-vous pressenti l’accueil que le film pourrait recevoir ?
Pas du tout ! Quand j’ai vu la mort de Georges Floyd, j’étais pétrifié par les images. En fait, je n’ai même pas pensé une seconde au film. Ce sont les gens qui m’ont dit : tu te rends compte la concordance… Moi, je ne pensais pas au film. J’étais tellement dans l’émotion. Parce que la police, ici, pour un Noir dans la société occidentale, ça fait vraiment partie de mes vraies angoisses. La mort de Gorges Floyd m’a ramené à moi-même, à ma condition de Noir. Beaucoup de gens disent que les Etats-Unis, ce n’est pas la France, mais il se trouve qu’Adama Traoré et d’autres sont morts entre les mains de policiers et que la justice n’a pas condamné les fautifs. Donc, ça m’a ramené à ma condition, je ne pensais pas au film.
Avez-vous souvent été contrôlé par la police ?
Oui, quand j’étais plus jeune, je me suis fait contrôler par la police, mais ça fait partie du quotidien des Noirs en France, dans les quartiers pauvres, on va dire. Et vu que je suis pauvre et que j’ai vécu dans les quartiers pauvres… Il ne suffit pas d’être un délinquant, ça fait partie du lot, comme si c’était toléré.
Dans quels quartiers avez-vous vécu ?
J’ai vécu près à Caen, à Ifs, près de Caen. J’ai dix frères et sœurs, ma mère était femme de ménage et mon père un entrepreneur raté… Et finalement, ma situation de pauvre Noir m’a conditionné. Quand j’étais jeune, je ne sortais jamais sans ma carte d’identité alors que mes amis blancs ne la prenaient pas, ils s’en foutaient. Pour moi, c’était obligé de l’avoir parce que sans cette carte d’identité, il n’y avait aucune garantie que je puisse finir ma journée tranquillement.
Comment êtes-vous devenu artiste ?
En suivant mon instinct ! Uniquement mon instinct… Et en essayant de choisir la vie que je voulais. Je voyais beaucoup de gens autour de moi qui subissaient la vie quand j’étais jeune. Je me suis toujours dit que je n’avais pas envie de subir ma vie quand je serai grand, mais que j’avais envie de la choisir. Alors, j’ai commencé par le rap comme tout Noir en France ! j’ai fait du foot d’abord, ça a été un échec cuisant, après j’ai du rap, ça a été un échec doublement cuisant… Mais grâce au rap, parce que j’avais monté un petit label, fabriqué des CD, payé le studio, essayé de vendre les CD, tout ça m’a montré la voie de l’entrepreneuriat et c’est grâce au fait d’avoir entrepris dans le rap, fait des T-shirts, que je me suis dit que je pouvais entreprendre. Et grâce au rap, je suis arrivé à l’image. Après avoir fait mon disque de rap qui a été un échec, j’ai fait un documentaire sur le rap, Des halls aux bacs, qui a aussi été un échec. Après, j’ai fait trois films autoproduits, African gangsters, Cramé et Sans pudeur ni moral, et c’est là que j’ai pris conscience que j’étais capable de choisir ma vie, grâce au rap.
Comment êtes-vous venu à la comédie ?
Comédien, acteur, tout ça, ce n’était pas du tout le chemin qui m’était proposé quand j’étais jeune Noir en France. Les seuls modèles que j’avais en face de moi, c’étaient les footballeurs et les rapeurs. Et finalement, je suis arrivé à la réalisation par le rap, et par la réalisation, je suis devenu acteur. Mais à aucun moment, je ne m’étais dit que j’allais devenir acteur. Je ne me voyais pas dans la télé en général. Je voyais les Américains, mais les Américains, c’est une autre planète ! Rapporté ça à ma condition de Noir français, je n’étais pas prêt.
Comment les Français blancs peuvent percevoir votre film ?
Franchement, c’est une autre question ! J’en n’ai aucune idée et ça ne me concerne pas du tout. Ce film, j’ai essayé de le faire le plus honnêtement possible, le plus sincèrement possible. J’ai voulu montrer qu’être noir c’est complexe, j’ai voulu montrer un œil extérieur sur le communautarisme, un œil intérieur sur le communautarisme pour dire que, finalement, nous sommes perçus comme des Noirs, mais on ne se vit pas en tant que tel. Nous avons nos différences, mais c’est dans l’œil des autres que nous devenons noirs. C’est cela que j’ai essayé de dire avec honnêteté et sincérité. Nous sommes des êtres humains comme tout le monde et nous avons nos différences, nos problèmes, comme les Blancs, comme les Arabes, comme tout le monde ! Alors maintenant, qu’est-ce que les Blancs vont penser de ça ? Je ne suis pas responsable de ça. J’ai essayé de poser les questions, les mettre sur la table… Après, je ne doute pas que des gens un peu malintentionnés vont se servir de ça pour faire leur propre soupe, mais ceux qui sont honnêtes intellectuellement verront que la manifestation dans le film a pour seul but de dire que nous sommes des êtres humains, nous ne sommes que des êtres humains.
Qui est votre corréalisateur, John Wax ?
C’est mon gars, mon pote ! Je le connais depuis dix ans. C’est un directeur technique de cinéma qui a aidé à la réalisation de films comme Les Kaïra, Pattaya, Coexister, Taxi 5. Quand il a été question de faire le film, comme j’étais devant et derrière la caméra, on m’a proposé de travailler avec lui et ça a été un plaisir pour moi de le mettre dans l’aventure. J’ai apprécié son regard extérieur parce que, en tant que Noir, parler de trucs noirs, tout ça, c’était bien d’avoir un autre œil, ça fait du bien au film.
Pensez-vous que ce film puisse nourrir le débat sociétal ?
C’est tout ce qu’on souhaite. Nous voudrions que ce film permette aux gens de se questionner sur le communautarisme, sur la condition de l’homme noir. Est-ce que la communauté noire existe vraiment ou pas ? Est-ce bien de nommer les gens ? Parce que, ici dans l’Hexagone, les gens n’ont pas l’habitude de dire les Noirs, les Blancs… C’est très tabou ! Les Blancs aiment dire les Noirs, mais on ne dit pas les Blancs ! Dans le film, je dis beaucoup « les Blancs, les Blancs » ! Si ça peut ouvrir le débat, la discussion pour que tout le monde puisse se remettre en cause sur ce qu’ils pensent des Noirs, sur ce que les Noirs pensent des Blancs, si ça peut au moins ouvrir la discussion, on sera content !
L’idée que le film soit distribué aux Antilles et en Guyane vous plaît ?
Je suis vraiment content parce que je me sens très proche de mes gars antillais. J’ai un ami Cédric Simoneau dit Lostyca qui habite en Guyane où je me suis souvent rendu et je sais très bien que les questions liées à l’identité noire dans ces zones sont très importantes, voire plus importantes que chez nous ici en métropole parce que là, il y a beaucoup de choses encore qui sont charriées par le passé. Je suis très fier que le film soit vu chez vous. C’est pour ça que je vous réponds, parce que sinon… Il y a des gens, je ne réponds même pas ! Là, c’est un devoir.
Propos recueillis par FXG