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Publié par fxg

Aurélie Boisnoir, prix Jeunes Talents L’Oréal-UNESCO 2020 pour les femmes et la science

Les microalgues responsables de la ciguatera dans son microscope

Aurélie Boisnoir est la seule martiniquaise parmi les 35 lauréates du prix Jeunes Talents L’Oréal-UNESCO 2020 - Pour les Femmes et la Science. Cette chercheuse vit Ducos et est originaire du François. Elle réalise actuellement un post-doctorat à l’Ifremer de la Martinique sous la direction de Dr Nicolas Chomérat et Jean-Pierre Allenou. Ses recherches portent sur les dinoflagellés benthiques toxiques, des microalgues présentes en mer des Caraïbes et responsables de la ciguatera, une intoxication alimentaire connue aussi sous le nom de « gratte ».

« J’étais en première année de Master Océanographie et Environnements Marins à l’Université Pierre et Marie Curie. Je suivais un cours magistral, quand le Pr Lemée m’a demandé de passer le voir. Il m’a présenté un projet financé par la Fondation de France qui concernait les dinoflagellés benthiques présents aux Antilles françaises. » Banco ! Ce sera son stage de Master 2, celui qui va définitivement la lancer dans la biologie marine. « Après mon Master, j’ai décidé d’approfondir mes résultats et d’en faire mon sujet de thèse : « Les dinoflagellés benthiques toxiques de Guadeloupe et Martinique : Distribution et rôle trophique pour la méiofaune. » Elle obtient son doctorat en 2018 à l’Université des Antilles sous l’encadrement du Pr Lemée et du Dr Pascal. Elle part ensuite faire un premier post-doc aux Etats-Unis puis décide de revenir en Martinique. « Après une approche écologique et environnementale de la ciguatera, je voulais aborder la question en y intégrant de nouvelle approche et de nouveaux outils : la microscopie électronique à balayage, la phylogénétique et la chimie. » Actuellement, Aurélie travaille sur l’identification morphogénétique des dinoflagellés benthiques toxiques des Antilles françaises et la caractérisation chimique de leurs toxines. « Concrètement, je cherche à identifier toutes les espèces de dinoflagellés benthiques potentiellement toxiques dans les Antilles françaises et à caractériser la toxicité de chacune d’elles parce qu’on ne sait pas encore quelles sont les espèces les plus problématiques. » Les résultats de ses recherches permettront la mise en place d’outils pour une meilleure gestion du risque. Les toxines naturelles synthétisées par ces microalgues sont parmi les plus puissantes connues actuellement. Elles provoquent chez la population humaine qui consomme certaines espèces de poissons carnivores la ciguatera qui est une intoxication alimentaire d’origine non-bactérienne. « Cette intoxication est la plus fréquente au monde, précise Aurélie, et la région des Caraïbes est la deuxième zone la plus touchée après le Pacifique. Les toxines synthétisées par ces microalgues traversent les différents maillons de la chaîne alimentaire et s’accumulent chez certaines espèces tropicales carnivores comme les carangues, les barracudas, certains pagres, la murène verte… « Comme ces toxines sont thermostables, elles ne sont pas dégradées par la température et la population est ainsi exposée à un risque sanitaire potentiel. »

Quand elle a eu son bac scientifique option Sciences de la Vie et de la Terre, Aurélie a commencé par s’inscrire en médecine à Schoelcher. Après avoir redoublé sa première année, elle a choisi de se réorienter et de partir en Guadeloupe pour commencer une Licence en Biologie, Environnement des Sciences de la Terre. « Je visais déjà l’océanographie, mais il fallait attendre le Master pour se spécialiser en biologie marine… »

Et pourtant aujourd’hui, elle collabore avec Dr Résière et Dr Florentin qui travaillent au Service de Soins Critiques au CHUM. On sait traiter les symptômes de la ciguatera, mais elle est difficile à diagnostiquer. « Il peut y avoir jusqu’à 175 symptômes différents avec des intensités variant d’un patient à l’autre ! Il y aurait 50 000 intoxications à la ciguatera par an dans le monde, mais ces cas ne représenteraient que 20 % du nombre de cas réels ! »

Trois fois plus de cas de ciguatera en dix ans

« Avec les études qu’on a pu mener, on sait maintenant qu’on retrouve ces microalgues sur le littoral de la Guadeloupe, de la Martinique, de Saint-Barth et de Saint-Martin. Des dispositions réglementent la pêche et la vente de certaines espèces de poisson de ces îles sauf en Martinique où aucun arrêté préfectoral n’a été encore pris. Grâce à une étude en cours de soumission du Dr Résière, on sait que les cas de ciguatera ont augmenté. En l’espace de dix ans, trois fois plus d’intoxications ont été signalées en Martinique. Elle est aussi sujette à de nombreuses intoxications collectives. Elles surviennent suite à la consommation de captures de grandes tailles partagées entre plusieurs personnes. » Les amateurs de poisson savent généralement quelles espèces il faut éviter de manger, mais, alerte Aurélie, « il y a des espèces qu’on ne soupçonnait pas comme les bénitiers dans l’océan Pacifique. Cette intoxication peut donc aussi survenir suite à la consommation de certaines espèces d’invertébrés marins ! »

Pour trouver les microalgues toxiques, Aurélie plonge en palme, masque et tuba. Elle étudie ses prélèvements au microscope et les met en culture. « Dans les Caraibes, on a une phanérogame marine qui est invasive et nos études ont montré que cet herbier favorise le développement de certaines microalgues toxiques. » Elles ont besoin de substrats pour se développer, notamment les macroalgues qui se développent sur les récifs coralliens dégradés. L’augmentation des cas de ciguatera pourrait être liée à la dégradation du milieu. « Le littoral de la Martinique connaît des problèmes d’eutrophisation, des apports en nutriments en quantité qui ont tendance à dégrader les écosystèmes dont les récifs coralliens. Il pourrait y avoir un lien entre ces phénomènes d’eutrophisation et le développement de ces microalgues. » Depuis 2014, une nouvelle maladie corallienne a émergé en Floride et les premiers signes de cette maladie sont visibles depuis cette année en Guadeloupe et suspectées en Martinique. Cette maladie pourrait aussi malheureusement contribuer à l’augmentation du nombre de cas de ciguatera suite à la mortalité des communautés coralliennes.

Des tests et un CDI

« Certains récifs coralliens seront amenés à disparaître et les conditions semblent être favorables au développement des microalgues responsables de la ciguatera au niveau des Antilles françaises. » Aurélie s’est également intéressée à l’interaction avec les sargasses. « J’ai fait des prélèvements et j’ai observé des microalgues potentiellement toxiques mais en plus faible abondance que sur d’autres substrats. Les sargasses ne contribueraient pas à l’émergence de la ciguatera, contrairement aux phanérogames, en revanche elles permettraient de disperser ces microalgues jusqu’aux côtes africaines et d’homogénéiser leurs populations à l’échelle des Caraïbes. »

Le changement climatique pourrait-il affecter le développement de ces microalgues dans dix ou cinquante ans ? Les régions tempérées commencent à être touchées alors que cette intoxication alimentaire était historiquement circonscrite aux régions tropicales. « J’aimerais participer à la mise en place d’un test de routine qui permettrait de tester les poissons sur les marchés pour éviter à la population de s’intoxiquer. »

Mais d’ici là, Aurélie a besoin de consolider sa situation car quand on est en post-doctorat, on est en CDD. « J’espère pouvoir rester à l’IFREMER de la Martinique afin de poursuivre mes travaux de recherches sur la ciguatera et plus largement sur la préservation des écosystèmes côtiers des Antilles françaises ! »

FXG

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