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Publié par fxg

Lorène et son directeur de recherche Damien Chevallier devant une tortue luth

Lorène et son directeur de recherche Damien Chevallier devant une tortue luth

Lorène, les tortues marines et l’intelligence artificielle

Lorène Jeantet est une des lauréates 2020 du Prix Jeunes Talents L'Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science. Si la jeune femme est actuellement en 3e année de doctorat au département écologie, phytologie et éthologie de l’institut pluridisciplinaire Hubert Curien à Strasbourg, elle étudie le comportement en mer des tortues marines en Guyane et en Martinique.

« Stratégie alimentaire et optimisation du comportement de plongée des tortues marines en lien avec les conditions océanographiques » est l’intitulé de la thèse qu’elle prépare grâce, entre autres, au financement de la Direction de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement de la Guyane. Son directeur de recherche, Damien Chevallier, est chercheur au CNRS et spécialiste depuis 2004 des tortues marines (luth, verte, imbriquée et olivâtre) en Guyane et en Martinique où il réside.

Pour connaître le comportement des tortues, l’élève-chercheur et son boss utilisent des biologgers, c’est-à-dire de capteurs qu’on pose sur les tortues. « Nous utilisons l’intelligence artificielle pour essayer de déduire le comportement qu’elles expriment sous l’eau. » Lorène développe des algorithmes d’apprentissage supervisé qui lui permettent d’identifier le comportement des tortues à partir des données collectées par les biologgers. Ce dispositif leur a permis de confirmer que la tortue verte ne s’alimenterait pas en Guyane, mais ne viendrait que pour y pondre. « Généralement, raconte la jeune femme, sa zone d’alimentation est au Brésil et lorsqu’elle migre en Guyane, c’est pour une durée d’environ un mois durant laquelle elle ne s’alimente pas. » Ces tortues sont très fidèles à leur site de ponte. C’est en général là qu’elles sont nées, il y a vingt ans ou plus…  Et pourtant, il n’y a pas ou très peu de zone d’alimentation pour elles. « Ce sont des herbivores et il y a très peu d’herbiers marins en Guyane française. Elles vont être capable de favoriser des zones de repos pour garder de l’énergie pour la gestation, la ponte qui demande beaucoup d’énergie. » Alors que les tortues sont là depuis 110 millions d’années, en Guyane qui est un site de ponte majeur pour les tortues luth, on constate un déclin important de leur population. En cause la destruction de nids. 40 % sont dues à l’érosion et 20 % au braconnage. « Il y a aussi les chiens errants qui participent à cette destruction et puis, il y a beaucoup de dangers en mer pour les mères reproductrices, notamment la pêche accidentelle qui conduit les tortues à mourir dans les filets… »

Les missions d’observation des tortues ont lieu généralement sur la plage de Yalimapo. « Dès qu’on trouve un individu, on l’identifie, le mesure, voit si on le connaît car tous les individus ont une puce… » Pour l’instant, il n’y a pas de laboratoire à Yalimapo, mais il y a une base qui est en construction et qui pourra accueillir des équipes de chercheurs. Pour l’heure, ils ne sont que deux chercheurs, Lorène et son patron, mais ils sont aidés par l’association Kwata et travaillent avec Daniel, le chef coutumier. Ces campagnes existent depuis les années 1970 avec Green Peace et se déroulent tous les ans. « On observe deux à trois montées de tortues luth par nuit, relate Lorène, et au moins un nid est braconné... Les tortues vertes sont un peu plus nombreuses puisqu’on en compte en moyenne vingt par nuit pour trois à quatre nids qui sont braconnés… A Yalimapo, heureusement, c’est une réserve naturelle avec les gardes qui font un travail de comptage, de collecte d’informations, et quelque fois ils trouvent les braconniers et les interpellent.

Des pontes en Martinique

Les tortues vertes qui viennent pondre en Guyane, repartent en mer pour une dizaine de jours, avant de revenir pondre. « Elles peuvent faire ça trois à quatre fois. Moi, dit Lorène, je veux savoir tout ce qui se passe pendant cette phase dans l’eau, la nuit, le jour… Est-ce qu’elles dorment, s’alimentent ? Qu’est-ce qu’elles font ? Et on se pose ces questions aussi bien en Guyane qu’en Martinique. »

En Martinique, les deux chercheurs pensent qu’il y a beaucoup plus d’interactions que ce que l’on pensait jusqu’alors entre les individus. « On pensait les tortues assez solitaires et on découvre des comportements qui nous amènent à nous interroger sur la communication qu’elles peuvent avoir. Est-ce que les tortues communiquent entre elles via des vocalisations ? Ce n’est qu’un début de travail qui devrait faire l’objet d’une publication… »

Des analyses génétiques ont montré qu’une partie des tortues qui viennent pondre en Guyane viennent grandir et se développer en Martinique. La population est composée majoritairement de juvéniles, pas encore en âge de se reproduire. « Elles viennent en Martinique uniquement pour s’alimenter, grossier et se développer, ensuite, quand leur carapace fait environ 90 cm, certaine partent en migration pour se reproduire et pondre sur les plages de leur naissance en Guyane. »

Ils ont observé toutefois que certaines tortues, luth et vertes, restent pondre en Martinique. « Très peu de tortues vertes pondent en Martinique, mais celles qui le font sont peut-être des individus qui ont décidé de rester en Martinique non seulement pour pondre, mais également pour s’alimenter. C’est une hypothèse qu’il faut qu’on explore. On connaît encore très peu de choses des tortues marines… » Mieux connaître l’espèce c’est permettre de mieux la protéger du déclin qu’elle est en train de subir en ce moment. La tortue a une position élevée dans la chaîne trophique. Elles participent à un équilibre. « Si on fait disparaître un maillon de la chaîne, l’équilibre est perturbé… Leur étude nous permet aussi d’avoir un avis sur l’état de nos océans. » Actuellement, en Guyane, se pose un problème de ressources marines à cause de la surpêche et de la pêche illégale, et les individus en haut de la chaîne sont moins enclin à s’alimenter, ce qui participe au déclin de ces espèces. « Ces tortues sont une sentinelle de l’état de nos océans. » Grâce aux biologgers et à l’intelligence artificielle, Lorène Jeantet concourre à la préservation de la biodiversité, un enjeu du XXIe siècle.

FXG

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