Procès des attentats de Paris de janvier 2015
Interview de Me Sarah Aristide, membre du collectif d’avocats représentant la famille de Clarissa Jean-Philippe au procès des attentats de Paris
Le procès des attentats de Paris des 7, 8 et 9 janvier 2015 est en cours au tribunal judiciaire des Batignolles. S’ils ne seront que quatre, Mes Charles Nicolas, Laurent Hatchi, Lorenza Bourjac et Sarah Aristide à plaider lundi prochain pour la famille de Clarissa Jean-Philippe, la policière municipale assassinée à Montrouge le 8 janvier 2015, c’est toute une équipe d’avocats qui, outre le bâtonnier Nicolas et les plaideurs, rassemble Mes Pascale Edwige, Johnson Mapang, Magali Chapelle et Catherine Vilovar. Tous se relaie dans le prétoire depuis le 2 septembre. Me Aristide nous fait un point à quelques jours de la fin de procès historique.
« Le quantum des peines va générer des frustrations »
Que représente ce procès pour vous ?
C'est un procès est décrit comme un procès historique. C'est vrai aussi bien sur sa durée, ses enjeux, le nombre d'accusés, le fait qu'il soit filmé — bien sûr on n'aura pas accès à tout ça avoir une cinquantaine d'années — et puis surtout à la gravité des événements qu'on juge aujourd'hui. Il s'agit des morts de Charlie Hebdo, de ces meurtres de policiers et de ceux de l'Hyper Casher. On touche aux libertés fondamentales, la liberté d'expression, celle qui consiste à faire le choix d'un métier, le choix de représenter les autorités françaises et donc, de ce fait, de se voir atteint dans son intégrité physique, et puis la liberté de confession puisque les personnes qui ont été ciblées dans l'hyper casher était de confession juive.
Aujourd'hui on sent bien que la France a peur, on sent cet état de tension et il s'agit de poser le principe des libertés fondamentales auxquelles nous sommes attachés et peut être que l'on puisse s'entendre les uns avec les autres et tout au moins cohabiter.
Est-ce que le cas de Clarissa Jean-Philippe n'est pas un peu noyé au milieu de tout ça ?
Oui parce que je crois que ça tient à la nature des deux grosses entités qui sont touchées Charlie Hebdo — le nombre de morts —, l'hyper casher mais également à la personnalité de Clarissa qui était une femme très jeune et d’une grande discrétion. Mais il est temps de lui rendre hommage, de lui faire la place qui est la sienne, c'est à dire qu'elle n'est pas une victime différente des autres, elle doit être considérée comme les autres et peut être rappeler que les ultramarins, ceux qui viennent de Martinique de Guadeloupe et d'ailleurs peuvent mourir encore aujourd'hui pour la France puisque j'ai tendance à penser que nous nous sommes dans une situation de guerre larvée. Tous ceux qui aujourd'hui vont se présenter dans des postures de défense de l'État français ou dans des expressions de la liberté vont se mettre en danger. Clarissa a une place particulière parce qu’elle représente nos îles, tout ce parcours d'une gamine qui a fait des efforts pour devenir ce qu'elle souhaitait le plus au monde à savoir policière, avec cette petite note particulière propre à chez nous, à ce qui se joue dans le secret de nos familles, sa volonté de devenir policier pour défendre sa maman qui était une femme battue. Clarissa est morte dans l'exercice de ses fonctions, en ayant accompli son rêve, à une semaine de sa titularisation. Elle devait aider les autres, les protéger et c'est à ce titre qu'elle est morte. C'est dans ce cadre que nous venons pour faire entendre la parole de Clarissa qui n'est plus, pour dire qui elle était et quel a été son parcours, quels ont été ses rêves, ses motivations. Enfin nous venons aussi faire entendre la douleur de cette famille. Sa maman a eu depuis deux cancers et elle ne se relèvera jamais de la mort de son enfant. Je pense à son frère à ses oncles à ses tantes, à ses cousins-cousines qui souffrent énormément de son absence.
Comment avez-vous été accueilli au sein du tribunal judiciaire de Paris ?
Nous avons été extrêmement bien accueillis par les confrères parisiens. Ils ont bien compris l'enjeu que pouvait être Clarissa au milieu de tout cela parce qu'elle est morte en protégeant et parce qu’à un moment il y a même eu cette idée qu'elle aurait pu sauver une école juive par sa présence. Nous avons tous notre place et nous sommes prêts même avec le peu de temps qui nous est imparti, c'est à dire quatre jours à partir de jeudi 29 octobre pour toutes les parties civiles, pour permettre que mardi soir prochain nous ayons tous plaidé même si en termes de timing ce n'est pas idéal.
Quelle est votre stratégie en tant que partie civile ?
Si on a pu oublier Clarissa pendant 5 ans et demi, même s'il y a eu des choses qui ont été faites et que nous nions pas, sa Légion d'honneur, les lieux qui lui ont été consacrés, il fallait la remettre au cœur des débats Il rappelé le rôle qu'elle a pu jouer dans cette terrible succession du 7 au 9 janvier, et de rappeler quelle personne elle était, rappeler aussi la place des ultramarins en France hexagonale parce qu'ils y travaillent, ils y paient des impôts et ils y meurent aussi parfois et ça c'est important.
Qu'attendez-vous de ce procès ? Les responsabilités sont-elles suffisamment établies Face aux gens qui sont sur le banc des accusés ?
C'est toute la difficulté d'un procès comme celui-là ou les principaux protagonistes sont morts. Je crois d'ailleurs que dans leur esprit il n'a jamais été question de rester en vie, il s'agissait de partir en martyr… Evidemment ceux qu'on retrouve dans le box sont ceux qui par de la logistique ont participé à une entreprise en lien avec le terrorisme. Il n'y en a qu'un qui est là pour complicité, le second étant en fuite, tout l'enjeu est d’essayer de déterminer leur part de responsabilité et de toute façon ça n’amènera pas un sentiment de justice rendue aux parties civiles. Nous sommes noyés sous les dénégations, sous les mensonges, sous les insertions les plus ubuesques parfois… En clair personne n'a rien à voir avec tout cela ! Au niveau du quantum de la peine, j'ai tendance à dire à mes clients et je voudrais qu'ils le comprennent que ce n'est pas notre débat. Nous, parties civiles, venons exprimer une douleur et demander que cette douleur soit reconnue puisqu’à ce stade, il n’est même pas question d’indemnisation, Il ne s'agit que de la reconnaissance de la partie civile et de fait je crains le quantum des peines ne satisfasse pas grand monde parce qu'elles sont en corrélation avec le rôle qu'on peut leur attribuer dans tout cela, donc le sentiment de justice rendue et de compréhension de ce que l'on peut reprocher aux frères Kouachi ou à Coulibaly va générer à mon sens des frustrations.
Propos recueillis par FXG