Interview du ministre des Outre-mer
Interview Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer
« La commande publique est l’un des leviers majeurs pour le rebond de l’économie »
Les Antilles ont été frappées par des pluies diluviennes qui ont entraîné des inondations et causé des dégâts importants. Quelles mesures seront prises par l’Etat ?
Je suis de tout cœur avec nos compatriotes antillais qui ont été victimes de ces inondations. Les services de l’Etat compétents tant au niveau central que local ont enclenché la procédure qui conduira à la prise d’un arrêté de reconnaissance de catastrophe naturelle. Par ailleurs, le ministère des Outre-mer instruira les demandes d’indemnisation au titre du fonds de secours outre-mer qui lui seront présentées. La solidarité nationale sera au rendez-vous.
C’est la première fois qu’un ministre des Outre-mer dirige son ministère si longtemps depuis le Pacifique Sud où vous avez mené vos consultations en Nouvelle-Calédonie dans la foulée du deuxième référendum d’autodétermination. Comment avez-vous fait pour suivre les affaires antillaises et guyanaises ?
Vous avez raison, la situation n’était pas banale. Avant de répondre à votre question, laissez-moi rappeler pourquoi il était important que je me rende en Nouvelle-Calédonie au lendemain de la deuxième consultation sur l’indépendance. Le processus politique initié par les accords de Matignon (1988) puis de Nouméa (1998) arrive à sa fin : quoi qu’il arrive avant 2022, nous devons imaginer, avec les acteurs politiques calédoniens, la suite. Cela ne pouvait se faire à distance, par visioconférence. La quatorzaine, imposée à toute personne arrivant sur le sol calédonien, a forcément rallongé la durée de ce voyage.
Heureusement, les moyens de communication modernes et sécurisés m’ont permis pendant cette période de suivre les autres dossiers de mon ministère, en premier lieu évidemment la situation sanitaire dans les Antilles et en Polynésie. Deux points quotidiens étaient organisés avec mon cabinet, en tenant compte du décalage horaire. J’ai également pu participer aux Conseils de défense et de sécurité nationale et aux Conseil des ministres en visio. Malgré la distance, j’ai ainsi suivi la mise en place, par le préfet, du confinement en Martinique et de son respect.
La discussion budgétaire a donné l’occasion de parler du plan de relance, mais chaque territoire a encore du mal à trouver midi à sa porte. Comment cela va-t-il se répartir entre les DROM, comment les entrepreneurs vont -ils avoir accès aux mesures de soutien ? Dans quels délais ?
Il ne faut pas confondre les mesures d’urgence exceptionnelles mises en place depuis le printemps dernier, et encore renouvelées avec la poursuite des restrictions sanitaires, et France Relance dont l’objectif est de faire redémarrer durablement notre économie. Pour mémoire, pour les Outre-mer, les prêts garantis par l’État, l’activité partielle, le fonds de solidarité et les reports de charges représentent déjà plus de 4 milliards €. La présentation du plan de relance le 3 septembre était une première étape. La volonté du président de la République et du Premier ministre est maintenant que ce plan de relance soit territorialisé. Nous allons décliner pour les Outre-mer des plans de relance spécifiques à chacun des départements et régions ultramarins. Pour cela, nous devons travailler avec l’ensemble des parties prenantes localement : les élus, les acteurs socio-économiques, la société civile… C’est pourquoi j’ai demandé aux préfets de mener des consultations pour pouvoir remonter les besoins, et ainsi pouvoir financer dans le cadre de France Relance des projets concrets et au bénéfice des citoyens. Ce travail est en cours.
Quel rôle dans cette crise peut et doit jouer la commande publique, notamment pour le BTP ?
Il est clair que la commande publique est l’un des leviers majeurs pour le rebond de l’économie, et ce plus particulièrement dans les Outre-mer. C’est d’ailleurs pour cela que, dès juillet, avec Bruno Le Maire, nous avons signé un décret pour relever les seuils à 70 000€ HT pour le déclenchement des marchés publics. Cette facilité majeure accordée par le Gouvernement permet aux collectivités territoriales de jouer pleinement leur rôle dans cette période de crise.
Malgré les aides et le plan de relance, le tourisme est le vrai perdant de la crise COVID19 aux Antilles. N’est-ce qu’un moment à passer ? Si oui comment tenir en attendant une hypothétique reprise ?
Depuis le début de la crise, nous travaillons avec les acteurs du tourisme et les élus locaux pour prendre les mesures les plus adaptées aux économies locales. Si aujourd’hui notre priorité est la protection de nos concitoyens, nous devons dès maintenant préparer la reprise. Déjà, pour fluidifier le transport aérien vers les territoires ultramarins, nous avons permis l’installation d’un centre de tests antigéniques à l’aéroport d’Orly. Aussi, Atout France lancera une campagne de communication afin d’inciter les Français à se rendre dans les Outre-mer pour leurs vacances, dès que les conditions sanitaires le permettront. Si nous nous projetons à long terme, je crois que les Outre-mer sauront répondre à la nouvelle demande de tourisme : cette crise a révélé chez beaucoup de nos concitoyens une vraie envie de nature.
Le budget OM qui est en train d’être voté est-il assez adapté à la situation de crise que nous vivons dans les territoires ?
Ce budget incarne l’ambition du Gouvernement pour les Outre-mer. Les crédits propres au ministère sont en augmentation significative : + 6%. Sur l’ensemble budget de l’Etat, ce sont près de 20 milliards d’euros qui seront consacrés aux territoires ultramarins en 2021. Cela comprend les 1,5 milliard d’euros destinés au plan de relance en Outre-mer, dont les priorités sont clairement adaptées à la crise que nous vivons : 50 millions d’euros pour accélérer la construction et la rénovation des réseaux d’eau et d’assainissement ; 80 millions d’euros pour la transformation de l’agriculture ; 500 millions d’euros pour l’emploi et la formation… Aussi, pour soutenir les collectivités locales, nous allons installer les contrats d’accompagnement, que proposaient le député Jean-René Cazeneuve et le sénateur Georges Patient dans leur rapport parlementaire. Le principe est simple : les collectivités ultramarines qui le souhaitent prennent des engagements pour équilibrer leur budget, en contrepartie, l’Etat leur apporte un soutien financier exceptionnel.
Qu’est-ce qui a présidé aux choix faits de ne reconfiner que la Martinique ? Ce reconfinement, plus court là-bas, pourrait-t-il être amené à évoluer ? De leur côté, la Guyane et la Guadeloupe sont-elles définitivement épargnées ?
La situation sanitaire en Martinique est particulière : nous luttons sur place contre la propagation de la Covid-19, mais également de la dengue. Ce sont ces deux épidémies combinées, qui mettent en tension le système hospitalier. C’est pour cela que nous avons pris la décision de confiner la Martinique. Pour autant, nous prenons d’autres mesures pour endiguer l’épidémie dans les autres territoires. Elles sont toutes concertées avec les élus locaux et les acteurs socio-économiques. En Guadeloupe, l’épidémie est maîtrisée, mais reste à un niveau élevé. Les rassemblements y sont interdits, des restrictions sont appliquées dans les grandes surfaces… Quant à la Guyane, nous restons vigilants du fait de sa situation géographique.
La Martinique est agitée depuis plusieurs mois par les protestations du mouvements Rouge Vert Noir qui semble donner beaucoup de mal au parquet de Fort-de-France (et qui a abouti à renvoyer deux gendarmes devant le tribunal militaire). La stratégie employée par l’Etat est-elle la bonne ? Entendez-vous donner une suite aux travaux de la commission d’enquête chlordécone puisque toute cette agitation provient de ce dossier ?
Le Plan Chlordécone 4 sera annoncé d'ici la fin d'année. Il tiendra compte des 42 propositions de la commission d'enquête présidée par Serge Letchimy. 2 millions d’euros seront par ailleurs consacrés pour tester les publics prioritaires, notamment les femmes qui souhaitent procréer. Pour le reste, un procès est en cours et je ne souhaite pas m’exprimer sur une procédure judiciaire en cours. Le droit de manifester est constitutionnel, mais les manifestations doivent se dérouler dans le respect de l’ordre public et de l’Etat de droit. Personne n’aurait à gagner d’une récupération politique de ce sujet sensible.
Les autorités guyanaises semblent avoir beaucoup avancé dans leurs travaux préparatoires pour une évolution institutionnelle. Dans quel cadre pourrait naître ce nouveau statut sui generis que les Guyanais demandent ?
Effectivement depuis les Etats généraux sur la Guyane, beaucoup de réflexions ont eu lieu sur l'avenir institutionnel de cette collectivité. Les travaux se poursuivent et le Gouvernement est bien évidemment prêt à poursuivre cette réflexion. Toutefois, nous ne pouvons pas préempter les élections territoriales de l’année prochaine qui constituent une étape démocratique importante pour la Guyane.
Vous vous êtes dit favorable à une évolution institutionnelle en Guadeloupe à condition que les élus s’en emparent. La loi 3D sur la différenciation offrirait-elle une fenêtre de tir favorable ?
Le projet de loi 3D comportera un titre dédié à l'Outre-mer. C'est l'engagement du président de la République. Comme l'a annoncé le Premier ministre, ce projet de loi sera adopté en Conseil des ministres en janvier 2021. Compte tenu des échéances territoriales prévues en 2021, il a été décidé de ne pas y inclure de dispositions "statutaires" ou "institutionnelles" dans un texte si proche d'un scrutin électoral. Mais d'autres dispositions concernant la Guadeloupe pourront parfaitement trouver leur place dans le cadre du processus parlementaire.
Cette loi 3D pourrait-elle aussi permettre à la Martinique d’évoluer ?
De la même manière, nous ne changerons pas l'organisation et le fonctionnement d'une collectivité à seulement quelques mois d'une élection.
Propos recueillis par FXG