Me Daniel Démocrite, in memoriam
Me Daniel Démocrite, dit « Démo »
« Démo » est mort des suites d’un cancer du pancréas à 75 ans. Avec lui s’éteint une grande voix du barreau de la Guadeloupe. Aux côtés du Bâtonnier Felix Rodes dont il se disait "le complice et le fils spirituel", Daniel Démocrite a plaidé quelques fameuses grandes affaires : les patriotes guadeloupéens, Timalon, Chammougon, Bichara/Chalian, la Sodeg, Gamiette le prophète et encore très récemment il était encore l’un des avocats de Lucette Michaux-Chevry et d’Alfred Marie-Jeanne...
"Nous nous battions pour que le Guadeloupéen soit debout, qu'on le considère à hauteur d'homme", confiait récemment Me Daniel Démocrite à France-Antilles. Un de ses derniers grands procès a été le double acquittement de Ruddy Alexis dans l'affaire Bino.
Pourtant, à l’aube de sa carrière, le grand ténor se destinait à devenir préfet…
Démo a grandi à Pointe-à-Pitre. Son père Paul-Edouard, comptable à l'usine Darboussier, a créé la section Antilles-Guyane de la CFTC (future CFDT). "C'est lui qui a cassé la gueule à Nicolas Ludger avec la cloche du président de séance lors d'une réunion du CA de la caisse de la Sécurité sociale où le PCG était majoritaire", nous a-t-il confié. Un père coureur… Sa mère, comptable aussi, quitte la Guadeloupe en 1949. Elle n'emmène avec elle à Paris que le frère et la sœur de Daniel qui n’a alors que 4 ans. Le petit Daniel vit entre son père rue Vatable à Lapwent, et la case de sa grand-mère dans le faubourg, après Mortenol, non loin de Boissard, près des actuelles pompes funèbres Birras. Daniel est scolarisé à Massabielle. "J'ai alors connu Tony Sarkis, Daniel Lautric, Max Lancrerot et Georges Gamiette, le frère du prophète..."
A l'âge de 9 ans, il ne va plus en classe. "Tous les dimanches, racontait-il, mon père me donnait une raclée, mais heureusement, il y avait d'autres jours dans la semaine !"
Bizuth à Paris
Apprenant la déscolarisation de son fils, sa mère le fait venir à Paris. "Je ne parlais que le créole pour emmerder mon frère et ma sœur, d’autant que mon oncle avec qui nous vivions nous interdisait de le parler..." Daniel a ramené de sa petite enfance pointoise ses mauvaises manières. « Dans le petit deux-pièces, on mettait l'argent pour le pain sur le manteau de la cheminée, je piquais l'argent ! » Au moment de faire sa première communion, il fait la retraite buissonnière...C'était l'époque de la guerre d'Algérie. « Les petits Algériens voulaient me casser la gueule, mais j'étais habitué aux combats de rue et je me suis vite imposé. » Sa mère le met en pension à Fénelon, dans l'annexe du lycée Rodin dans le XIIe. A la fin du CE1, il est le dernier de la classe... Au CM2, il est premier ex-aequo du début à la fin de l'année. Sa mère lui met tout de même une raclée. "Elle me reprochait de trop ressembler à mon père."
En 6e, il est très bon en latin, en français et en histoire-géo, mais il est nul en maths. On l'envoie au lycée international de Fontainebleau (où se trouvait une base de l'OTAN) avec des fils de bonne famille. Il est bizuthé, mais stratège, il se fait des amis.
Finalement Démo aura son bac avec panache et prépare le concours de sciences po Paris à Nancy, préalable au concours de l’ENA et à la préfectorale.
Tabassé par la police
En mai 1966, le jeune étudiant en droit est condamné par le tribunal, de Nancy à 250 francs d’amende pour une double prévention d'outrages envers officier de police et agent de la force publique. Lors d'un voyage à Strasbourg, Démo a été témoin dans le train d'un contrôle de police sur un Algérien. Démocrite s'interpose et accuse le policier de se conduire comme un malhonnête homme, concluant : " La France est un pays de racistes. " Quelques jours avant, Démo participe à un anniversaire chez un Algérien. Un voisin mécontent alerte la police et les convives sont emmenés au poste. Démo, là encore, conteste les agents qui ont approuvé le dénonciateur alors qu'il tenait des propos racistes. Démo est tabassé. Mes Manville et Pau-Langevin le défendent...
Dans le sillage de Pierre Goldmann
Oruno Lara apprend le procès de Démocrite alors qu’il est insoumis à Bruxelles où il se cache avec Pierre Goldmann chez la fille d'un député qui possède une galerie d'art. Démo les y retrouvera et ils assisteront à une répétition d'Une saison au Congo… Il continue de s'exercer à la boxe anglaise et commence à s'entourer d'une bande d'amis qui traînent autour de Pierre Goldmann. Démo rencontre Louis Dessout, Joël Lautric, l'alibi de Pierre Goldmann, et le futur commissaire Rollin Vindex-Compère... Il participe à des réunions politiques. « On prévoyait de faire des coups à Paris pour avoir du fric... J'étais en contact avec des gars du milieu qui sont devenus des amis. » Parmi eux Jean Agasso dit Ti Jan qui sera ensuite jugé lors du procès des proxénètes antillais, mais également l'anthropologue et ami de Jean Rouch, Jean-Pierre Olivier de Sardan… C’est lui qui a conduit Manville au tribunal de Nancy dans sa 2CV.
En 1967, à l'annonce du massacre de La Pointe, leur groupe décide de rentrer en Guadeloupe. « Une partie de mes amis est vite repartie en France, mais moi, je suis resté comme Méphon qui travaillait aux douanes. On voulait entrer en clandestinité. »
Viré pour activisme
Il fréquente alors Eschyle, Glaude et Baden du GONG qui sont en lien avec Louis Théodore, le kanmrad Jan à l'origine de la création du syndicat UTA, future UGTG... « C'est Roland Girard, le neveu de Rozan, qui m'a fait découvrir mon pays car j'avais grandi en France. » Finalement, Démo sera quelques temps pion à Baimbridge et syndicaliste étudiant avec Dominique Trésor (« Celui qui s'est remarié avec la femme de Reinette quand il était en prison - les RG s'étaient fait un devoir de le raconter à Reinette... »). On lui demande de prendre la direction du mouvement étudiant car il est inscrit à Vizioz depuis 1968. Jean-Claude Courbain est son rival... « Il était le dirigeant et moi, j'étais celui qui le contrait, mais j’étais reconnu puisqu'en même temps j'étais très actif. » Ils se réunissent souvent chez Jean-Pierre Deshayes à Massabielle. Démo organise manifestation et grève de soutien pour Jean Laguerre, alors instituteur... « Le Député Hélène s'est fait tabasser par Jean Laguerre alors qu'il défilait avec son écharpe de maire avec Amélius Hernandez qui l'accompagnait... » Démocrite sera viré de son poste de pion à Baimbridge en 1969 pour activisme.
La Martinique l'accepte et il rencontre Camille Chauvet avec qui il monte un syndicat étudiant. « On avait comme prof Burguburu à Vizioz. Moi j'étais avec Michèle Léro, la soeur de l'actrice Cathy Rosier, et Burguburu voulait me la piquer... » Démo est alors très lié à Raymond Bourgade un militant indépendantiste. « On habitait ensemble à Ravine Vilaine à Fort-de-France. »
1971, Démocrite est poursuivi pour coups et blessures sur le directeur de La Poste... Pour avoir foutu des gendarmes hors de la préfecture lors d'une réunion... « Les gendarmes m'avaient demandé ma carte d'étudiant... Mais c'était un truc entre nous... A nos réunions, c'était comme en mai 68, tous les soirs, il y avait une prise de parole par Michel Rovélas, un syndicaliste ou un dirigeant de Fraternité ouvrière… » Guy Conquet et Roland Girard sont jugés avec lui... Me Henri Leclerc assure leur défense.
Roland Girard et Louis Dessout ont monté une boîte de nuit, le Shaka club que fréquente Démo, mais également l'universitaire Henri Descamps de Bragelogne dont le fils spirituel n'est autre qu'Eric Rotin. Quant à sa soeur, elle est mariée à un Delaprade, syndicaliste dans le bâtiment. Descamps sera plus tard le directeur de cabinet de Bokassa. Il y a encore Daniel Maragnès, le prof de philo qui a aussi connu Goldmann, qui l'a inspiré politiquement... Bref autour de Roland Girard et de Daniel Démocrite, c'est toute une génération qui rêve de révolution.
Zavoka la
« Simone et André Schwarz-Bart ont changé ma vie », confiait Démo. Cela se traduit par le serment d'avocat qu'il prête en 1974, puis par sa première candidature aux cantonales à Pointe-à-Pitre en 1977.
17 septembre 1980, à 4 h 05, devant le hangar de fret à l'aéroport du Raizet, une bombe explose sous l'aile droite d'un boeing 727 d'Air France. Une autre bombe sous l'aile gauche, près du fuselage, est retrouvée par les gendarmes. A 6 h 55, l'artificier, un sous-officier du SMB, Bruno Soisse, est tué en tentant de la désamorcer. Le GLA revendique l'attentat, probablement accompli par Alain Gambi, un agent d'Air France. L'avocat Daniel Démocrite est placé en garde à vue par le colonel Ferrara. Il a été aperçu à l'aéroport la veille vers 18 heures. L'avocat Félix Rodes le fera sortir rapidement. Le procureur Lasserre s'excusera pour cette interpellation...
Au début des années 1980 marquées par l'activisme du GLA, mais également de l'UPLG, puis de l'ARC, l'avocat Démocrite est confronté au juge d'instruction Chalian. « Il était vice-président du syndicat de la magistrature et jouait au justicier, racontait Démocrite. Il avait des histoires avec tous ceux qui avaient du pognon. » Lorsqu'il fait mettre Raymond Viviès en garde à vue, Chalian n'hésite pas à lui faire traverser la place de la Victoire menotté. C'est encore lui qui a convoqué Raphaël Koury...
Démocrite défend Franklin Bicharra dont le père a des dépôts à Vieux-Bourg Abymes. « Le père était toujours en combine et son fils, Franklin, dirigeait la prison (pas comme directeur !) où il avait été condamné pour sept ans ! » Démocrite a bien failli se battre avec le juge Chalian sous les yeux de ses confrères Mathieu et Frédéric. « Je défendais Socrate Sonis, un voyou... » Le juge lance à l'avocat : « Quand vous êtes aussi en forme comme ça, c'est que vous avez déjà touché beaucoup d'argent. » « Moi, lui répond l'avocat, on peut savoir ce que je fais, mais vous, on ne sait pas ce que vous faîtes ! Donc taisez-vous ! » « Sortez ! », relance le juge. « Venez me sortir ! »
A partir de 1988, Démocrite tourné le dos aux socialistes. Il est dans une optique indépendantiste bourgeoise et regarde la droite de façon plus ouverte. « Mon métier d'avocat va s'inscrire dans le combat pour la Guadeloupe. » Il est dans l'ombre de Félix Rodes. « C'est un des derniers grands acteurs et témoins de cette fin du XXe siècle. Darsière et Manville plaidaient seuls... Plaider à plusieurs, c'est l'école Rodes, la belle époque ! » Démocrite a plaidé les affaires Timalon, Chammougon et plus tard l'affaire du syndicaliste Guillon poursuivi pour avoir attenté à la vie de Lita Dahomey. Au mitan des années 1990, Il s’est rendu une vingtaine de fois à la Réunion pour défendre avec Me Jacques Verges, le bâtonnier Ursulet et son fils Alex, et quatre avocat réunionnais, Paul Vergès. C'était la première équipe de défense représentant tous les DOM.
A Versailles, avec le Martiniquais Ursulet, il avait arraché l’acquittement du comédien Jean-Pierre Saintons auquel personne ne croyait tant et si bien que France-Antilles avait titré en une sa condamnation. « Ils ont dû refaire la bonne une le lundi ! », disait en se marrant Me Démocrite.
FXG
L’interview posthume
Peu avant son décès, à l’occasion de ses séjours à Paris, Daniel Démocrite a accordé une série d’entretiens à France-Antilles. Nous offrons à nos lecteurs en exclusivité sa dernière interview.
« J’avais une vision ! »
Pourquoi vouliez-vous être préfet ?
En fait, s'il y a un poste politique qui m'aurait plu, c'est celui de maire... J'avais un parent éloigné qui était administrateur des colonies. Nous n'étions pas très proches, mais sa mère me racontait ce qu'il faisait... Ce qui m'intéresse dans la politique, ce n’est pas la parole… Moi j'aurai préféré créer un quartier. Par exemple, j'aurais eu Pointe-à-Pitre, j'aurais refait Pointe-à-Pitre. Je me serais adressé à l'architecte qui a refait Montpellier, Ricardo Bofill ou celui qui a fait Brasilia, Oscar Niemeyer ! Je n'aurais fait qu'un mandat parce qu'il y aurait eu des expropriations... Mais j'avais une vision !
Aujourd'hui, vous êtes plutôt méfiant envers les préfets...
Ce qui m'inquiète, c'est ce déséquilibre qui s'instaure sans respecter la séparation des pouvoirs. J'ai parlé au procureur comme si je parlais au préfet : vous arrivez et vous mettez Daniel Gibbs en garde à vue. Je ne sais pas ce qu'il a fait, ça ne me regarde pas, mais je pense que ce n'est pas la meilleure façon de nouer des relations d'équilibre et de respect avec un responsable. Vous commencez par mettre en garde à vue alors que vous allez vous adresser à lui pour lui demander des locaux, pour définir votre politique pénale... Finalement ça me regarde parce que je suis Guadeloupéen. Je trouve ça inadmissible et grave d’entendre le procureur dire : "je travaille en étroite collaboration avec le préfet..." C'est comme si le ministre de la Justice disait qu'il travaille avec le ministre de l'Intérieur qui lui dirait qui arrêter... Ce n'est pas son boulot !
Vous avez récemment participé à une réunion d'anciens de l'institut Vizioz, dont Daniel Marsin. Qu’a représenté Vizioz ?
Nous avons joué un rôle capital dans l'articulation entre le GONG finissant, décapité, et l'UPLG et la nouvelle génération. Les uns étaient en France et nous, nous étions sur place. C'est nous qui avons fait la grève avec l'UTA et ça s'est fait en 1971. Notre grève a duré deux mois... C'était au moment du procès de Guy Conquet. C'est à cette époque qu'a commencé kanmarad Jan. Avec Louis Théodore, on a presque créé le personnage au départ. Je l'ai aidé à ce qu'il devienne propriétaire de ses terres. Il a gagné la première affaire qui concernait 18 hectares à La Boucan. C'est un fin négociateur... C'est un grand Théodore ! C'est le président de la plus grosse coopérative agricole. Ils font 6 millions de chiffre d'affaires !
Etes-vous Français ?
Je ne suis pas gaulois ! Nous sommes un peuple différent et les rapports entre les peuples se modifient mais tout passe par l'indépendance.
Propos recueillis par FXG
Souvenirs d’audience- Affaire Timalon 1988
Douze policiers venus de Nouvelle-Calédonie sont là pour dire qu'ils ont été témoins de l’assassinat du gendarme Guy Haussy, le 13 novembre 1985, par Patrick Timalon. Rodes, Ursulet et Démocrite plaident ensemble contre un bâtonnier de province. « On a gagné à l'arrachée, raconte Démo, au dernier round... » Ils ont fait venir pendant un long week-end un témoin qui s'appelait Carbone, un Dominicains qui partageait la même cellule que Timalon. Il est venu dire que Timalon lui avait avoué que c'était lui qui avait tué le CRS à Boissard.
« Dans un précédent procès, racontait Démocrite, Madice, la femme de Jean-Claude Malo, a voulu sortir de la salle des délibérés parce que le président Beck faisait pression sur les jurés. Il disait en évoquant une autre affaire avec un gendarme que c'est avec l'arme volée de ce dernier que Timalon avait tué Guy Haussy. Le procureur Beck m’a dit : « Je sais que vous avez constitué une équipe avec Manville et Rodes, mais je ne pense pas que ce soit une bonne chose... On va trouver une solution. Il faut qu'on aille plus vite. Moi, ce qui m'intéresse, c'est le procès de Thimalon à Paris, la peine qu'il va prendre là-bas parce qu'il prendra perpétuité... C'est votre client qui a volé l'arme qui a servi à Thnielimalon. On se met d'accord : 5 à 7 ans ? » « Plutôt 5 », tope Démo. « Avec Me Nollard, on plaide ça rapidement en deux jours. On est d'accord sur la peine. » L'affaire arrive mais Beck attaque, instaure un climat de pression, critique Démo qui fait un désordre du diable. A cette époque, il est un champion du désordre ! Suspension d'audience. Beck fait venir le bâtonnier Frédéric devant lequel il dit : « Démocrite, quand même, on avait discuté avant l'audience, comment se fait-il ? » « Mais je vois où vous voulez aller ! Vous allez à perpét là ! Je ne vous laisserai pas faire ça. » Beck répond : « Je vous rassure, je ne suis pas dans cet état d'esprit... » « Ce n'est pas ce qui était convenu... » Le bâtonnier Frédéric dit : « Je ne veux pas connaître vos conventions... Ne parlez pas de ça devant moi. » Les avocats adverses, dont Valérius étaient là aussi. Finalement, Beck a obtenu 18 ans… « Beck nous a eus, mais on l'a eu après. J'ai fait organiser une émission sur RCI et les gens donnaient leur point de vue sur la manière dont s'était déroulé le procès. » Démocrite a fait intervenir Mme Malo qui a dit juste ce qu'il fallait dire... Le lendemain, Roland Ezelin, Evita Chevry, Claude Christon et Démocrite ont fait un communiqué de presse. Aussitôt la police a placé Christon en garde à vue. « Ca a créé une commotion au barreau et à partir de là, on a mené une campagne contre Beck. Deux mois après, il est parti. »