Jennifer Richard sort "Le Diable parle toutes les langues", après le tome 1 de "Il est à toi ce beau pays" chez Albin Michel
Jennifer Richard, une plume guadeloupéenne
Jennifer Richard a sorti en janvier dernier, aux éditions Albin Michel, Le diable parle toutes les langues, les mémoires fictifs de Basil Zaharoff, un marchand d’armes célèbre qui fit fortune lors de la Première Guerre mondiale. Elle vient d’achever le second volet du roman Il est à toi ce beau pays, une fresque historique sur les problématiques croisées de la colonisation en Afrique, de la ségrégation aux États-Unis et de l’enrichissement d’une poignée d’hommes en Europe. Le premier volume a été sur la première liste de sélection du Prix Renaudot, sur la liste des finalistes du Prix des cinq continents de la francophonie, sur la liste du prix Les Afriques organisé par la Cène littéraire, sur la liste du Grand Prix du Roman métis de la ville de Saint-Denis, ainsi que sur celle du Prix Monte-Cristo.
Rencontre avec une romancière qui tire une partie de qui elle est des pentes de la Soufrière, au quartier de la Circonvallation à Basse-Terre.
La mère de Jennifer Richard, issue d’une fratrie de huit enfants, fut un temps speakerine sur l’antenne de RFO Guadeloupe. Et c’est au sein de cette station qu’elle rencontre le père de Jennifer, chef opérateur. Le couple s’installe bientôt à Tahiti, mais son père a un rêve… « Les Etats-Unis ont toujours été la Terre promise pour mon père, c’est un mythe depuis qu’il est tout petit. Il était fou de cinéma. Il voulait vivre aux Etats-Unis et intégrer cette industrie. » Quand sa femme est tombée enceinte, ce voyage est devenu une évidence. « Mon père a voulu que je naisse aux Etats-Unis, que sa famille soit fondée là-bas. » A Los Angeles, où nait Jennifer, il se rend compte qu’il ne pourra réaliser des films dans un pays qui n’est pas le sien, malgré ses quelques relations… Il décide alors de monter un restaurant pour s’implanter et mener un projet stimulant, en attendant que les pistes lancées auprès des contacts dans les studios se concrétisent. La Galette Bretonne ouvre à San Francisco, mais les affaires sont difficiles. La faillite survient au bout de deux ans et la famille regagne Tahiti. « C’était la fin de notre aventure américaine. » Grâce à ce rêve avorté, Jennifer a obtenu la nationalité américaine, et un lien longtemps fantasmé avec les Etats-Unis, où elle se rendra régulièrement par la suite. Après trois ans à Papeete, la famille s’envole pour Wallis et Futuna. Son père est chargé de développer la station de télévision de ce lointain territoire océanien. « On y est restés un an et puis les aléas de la vie professionnelle de mon père nous ont poussés à rentrer en métropole. » Quelque temps après le retour dans l’Hexagone, ses parents se séparent. « Mon père s’est marié avec une femme de RFO et ma mère avec un homme de RFO. » Jennifer est restée vivre à Paris avec son père, tandis que sa mère et son mari, originaire de la Guyane, ont continué leurs voyages dans les DOM-TOM, de mutation en mutation. C’est ainsi que Jennifer a découvert quasiment tous les territoires d’Outre-mer. Sa mère et son mari sont revenus vivre en Guadeloupe pendant trois ans et la petite Jennifer y a passé ses grandes vacances avec eux, trois fois trois mois. « Je voyais mes tantes et mes grands-parents, créais des liens avec une famille que je ne connaissais pas. J’ai découvert le jus de canne, la langue créole, les animaux de la Guadeloupe et, un peu plus tard quand même, le rhum ! » Elle admet toutefois une infidélité à son terroir d’origine quand elle avoue avoir un faible pour le Père Labat de Marie-Galante. Elle est d’ailleurs en train d’écrire une trilogie de romans jeunesse dont le deuxième tome se passe sur la grande galette. Jennifer revient régulièrement en Guadeloupe, depuis. La dernière fois, c’était en 2018 pour présenter son roman « Il est à toi ce beau pays ».
Documentaliste à M6
Après son bac, Jennifer choisit le droit. Elle obtient un master II de droit comparé à l’université Paris II Panthéon-Assas. « J’ai toujours voulu écrire, mais en grandissant, j’ai compris qu’écrivain, ce n’est pas forcément un métier qui rémunère beaucoup et qui permet de vivre, donc en attendant… pourquoi pas le droit ? » Et puis, il a fallu trouver un métier… Elle voulait travailler dans l’édition ou la production audiovisuelle, quitte à travailler dans le domaine juridique, pour se rapprocher tout de même de la création. Suite à l’envoi de nombreux CV, c’est quelqu’un de la chaîne de télévision M6 qui lui répond. « Il recherchait un documentaliste, la personne qui recherche et négocie des archives pour une émission, un documentaire… » Elle se forme sur le tas, ne reste pas très longtemps à M6 mais continue de faire ce métier en tant qu’intermittente jusqu’aujourd’hui. La littérature, elle y arrive enfin…
Une vie rêvée d’écrivain
« Toute petite je voulais écrire, d’abord pour la vie d’écrivain. Je ne me rendais pas compte que je n’avais pas grand-chose à dire, du haut de mes 7 ans. Une vie d’écrivain pour moi, c’était rester chez soi, gérer son emploi du temps, ne pas avoir quelqu’un sur le dos, ne pas subir le stress… » Avant d’être éditée, Jennifer écrivait déjà des chroniques, un journal un peu humoristique sur ce qui se passait dans son boulot, comme elle le faisait depuis le collège… Mais en télévision, côté stress, c’était plutôt raté. « Après plus de douze contrats d’intermittence successifs, mon employeur a mis fin à ma mission. Un ami et collègue m’apprend que les éditions Robert-Laffont organisent un concours sur l’écriture fantastique. Me retrouvant au chômage, j’avais tout le temps de m’y mettre. » Il s’agissait d’écrire les trente premières pages d’un roman fantastique. Sur 2 000 candidats, elle est sélectionnée avec une autre jeune femme, Gaëlle Nohant. Après deux semaines en résidence à l’abbaye de Fontevrault où elle croise des éditeurs, des écrivains, des producteurs, elle publie son premier roman, Bleu poussière en 2007, suivi de Requiem pour une étoile en 2010, deux ouvrages de science-fiction. Après cette phase d’emballement, Jennifer se sent un peu lâchée par son éditeur. Sa camarade de concours change de maison, Jennifer reste et signe en 2014 un troisième titre, L'Illustre Inconnu. Une fresque historique avec une pointe de fantastique qui démarre à la fin du XIXe siècle et s’achève en 2012. Déçue de son éditeur, elle propose son quatrième roman à Albin Michel. Ainsi sort en 2018, Il est à toi ce beau pays. 750 pages pour le premier volet. Il est question de la colonisation en Afrique centrale, de l’instauration de la ségrégation aux Etats-Unis et l’accélération de l’industrialisation en Europe. Ce triangle est orchestré par un Pygmée nommé Ota Benga, qui permet de faire les liens entre les différents pans de l’histoire. « Tout est vrai, dans ce roman, raconte Jennifer. J’ai découvert mes personnages au fil de mes recherches et moi qui voulais faire un roman, c’est finalement un livre qui n’est pas régi par l’imagination, mais par l’Histoire. Les faits sont authentiques, les personnes ont existé et leurs relations telles que je les décris sont largement avérées ». En attendant la sortie du tome 2, Jennifer a publié les mémoires fictifs du trafiquant d’armes Basil Zaharoff, un personnage sulfureux, qui a notamment inspiré Hergé, pour un personnage de L’Oreille cassée. « J’ai tenu à écrire ce livre pour, au-delà de la seule colonisation, dénoncer un discours politique dont les conséquences sont néfastes pour les peuples sur tous les continents et pas seulement en Afrique. Ce discours, c’est celui qui est dicté par l’appât du gain. Je tiens à m’adresser à tout le monde. On doit se serrer les coudes face aux mécanismes de division du pouvoir. » Maintenant que Le Diable parle toutes les langues est sorti, le tome 2 de Il est à toi ce beau pays va encore plus préciser le propos.
FXG
Un roman total
Il est à toi ce beau pays est la fresque tragique et monumentale de la colonisation de l’Afrique livrée aux appétits d’une Europe sans scrupules, et théâtre d’un crime qui marque au fer rouge le XXe siècle. Sur trois continents, chefs d’Etat, entrepreneurs avides, explorateurs intrépides et missionnaires idéalistes agissent sous prétexte de civilisation. Au fil d’un récit où se croisent héros inconnus et figures historiques, dont Léopold II, le « saigneur » du Congo, le pasteur George Washington Williams, l’aventurier David Livingstone, Joseph Conrad, Henry Morton Stanley ou encore Pierre Savorgnan de Brazza, Jennifer Richard délivre à ses lecteurs le grand livre noir de l’Occident colonialiste. De la ruée vers les terres d’Afrique à l’instauration de la ségrégation aux États-Unis, elle restitue le terrible destin d’une humanité oubliée.