Max Dubois, président de R&DOM
Max Dubois est président de l’association R&DOM qui poursuit l’objectif de « remettre de l’équité économique dans les territoires d’Outre-mer » en luttant contre les monopoles et oligopoles et la haute fonction publique qu’il juge « objectivement alliée » à ces derniers. Entretien.
« 40 % des petits planteurs ont disparu depuis la création de l’UGPBan »
Vous parlez dans une série de vidéos que vous publiez sur Youtube de la « banane De Lucy ». Pourquoi cette désignation ?
Le système de la banane aux Antilles est emblématique de la question des monopoles qui s’accaparent les fonds publics et des problèmes que posent la distribution des fonds du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) à savoir 320 millions d’euros pour les DROM français, dont 129 pour la seule banane. Je n’attaque pas M. de Lucy en tant qu’individu, mais en tant que maître d’œuvre d’un système extrêmement bien construit de captation des fonds publics, d’une situation monopolistique qui enrichit les gros, tout en étranglant les petits.
Mais le travail de structuration de la filière banane réussi au début des années 2000 par l’Union des Groupements des producteurs de bananes de Guadeloupe et de Martinique (UGPBan) n’a de cesse d’être érigé en exemple !
Avant l'UGPBan, il y avait deux groupements professionnels en Martinique et quatre en Guadeloupe. Éric de Lucy les a regroupés en 2007 en prétextant qu’à six on n’a aucun poids sur la place de Paris face aux acheteurs tandis qu’avec une seule structure, les planteurs antillais pourraient imposer leurs prix aux acheteurs. Ce faisant, il est devenu lui-même l’acteur unique à travers le réseau des mûrisseries qu’il monte dans l’Hexagone. Dès lors que la plupart des mûrisseries françaises sont sous son contrôle, Eric de Lucy devient l’acheteur principal. D’autant plus que depuis 2013 il a investi pour le compte du Groupe Bernard Hayot (GBH) dans une banane concurrente en Côte d’Ivoire. La société Banaci qui produit 85 000 tonnes par an, est administrée par Jean-Michel Hayot. AGRIBAM, une holding de trois sociétés ivoiriennes, qui produisent 60 000 tonnes par an, est codirigée par Stéphane et Rodolphe Hayot. La banane GBH ivoirienne qui représente environ 145 000 tonnes est massivement importée en Europe. Les mûrisseries Fruidor dont les petits producteurs antillais sont copropriétaires traitent une part importante de cette banane ivoirienne importée en France.
En profitant du système qui privilégie l’importation des bananes des pays dits ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) ?
C’est surtout qu’ils font le cours de la banane ! Avec les bananes antillaises et ivoiriennes, ils détiennent une part significative des 750 000 tonnes que représente le marché français de la banane. Ils ont utilisé toutes les solutions financières à leur disposition sans jamais irriguer le sol martiniquais ou de Guadeloupe puisque régulièrement l'argent qu'ils gagnent est réinvesti en dehors des Antilles. Ils prennent 97 millions d’euros en Martinique mais les réinvestissements ne se font pas en Martinique. Ils font du réinvestissement de bananes en Afrique.
Mais l’UGPBan a toujours mis en avant son investissement en matière d’emplois et de formation. Qu’en dîtes-vous ?
Il y a peu, sur le plateau de la journaliste d’Outre-mer La 1ère, Karine Zabulon, Benoît Lombrière d’Eurodom justifiait que l’on mette de l’argent public dans la filière banane parce que, affirmait-il, elle est porteuse de 20 000 emplois. Or, cette filière ne représente que 6 à 7 000 emplois dans les deux territoires de Guadeloupe et Martinique, tous emplois confondus, directs comme indirects ! En face de lui, Jacques Andrieu, le directeur général de l’ODEADOM, l’administration chargée de la gestion du POSEI, n’a pas bronché devant cette affirmation qu’il sait être fausse, puisque ce sont ses services qui affirment le contraire !
Vous êtes en train de nous dire que l’UGPBan ne serait pas au service des martiniquais et des Guadeloupéens ?
L’UGPBan rassemble deux organisations professionnelles, Banamart en Martinique et LPG en Guadeloupe. Les membres de ces deux organisations de producteurs sont obligés contractuellement de ne vendre qu’à l’UGPBan et comme par hasard, l’UGPBan affiche des pertes. Les pauvres ! Ils se débrouillent pour avoir toujours de quoi pleurer ! L’UGPBan revend leurs bananes soit dans des mûrisseries, soit directement à des distributeurs avec des marges assez colossales en passant. Le cours de la banane est de l’ordre de 1,15 euros le kilo. L’UGPBan l’achète environ 65 centimes au producteur, la différence, 50 centimes, part bien dans la nébuleuse des mûrisseries.
Mais Fruidor n’appartient-il pas à l’UGPBan ?
Oui ! L’UGPBan a racheté les mûrisseries. Le problème, c’est que les petits producteurs sont gros-Jean comme devant car ils crèvent les uns après les autres et dans les mûrisseries mûrissent des bananes qui sont produites par leurs concurrents ACP. La banane africaine est bel et bien en concurrence avec la banane des Antilles et GBH en est le grand bénéficiaire parce que quand il met en place ces exploitations de bananes, il monte aussi des magasins pour la grande distribution, il vend des voitures… Il crée tout un écosystème.
N’est-ce pas normal pour un grand groupe commercial ?
Ce qui est inacceptable c’est que ce business se fasse au détriment de la filière banane antillaise et qu’à la fin ce sont les petits producteurs — comme toujours — qui en payent le prix. 40 % d’entre eux sont morts depuis la création de l’UGPBan. Je vous cite le rapport de l’ODEADOM 2020 : « La tendance générale observée aux Antilles est donc une disparition progressive des petits planteurs. » Ça montre bien que le système n’est pas très vertueux !
D’autant plus s’il n’y a réellement que 6 à 7 000 salariés directs et indirects…
Dans les plantations martiniquaises, il y’a une majorité de Saint-Luciens et des Haïtiens. Ça veut dire qu’on n’embauche pas de Martiniquais et si on ne les embauche pas, c’est parce qu’on les paye très mal ! Les salaires dans la banane sont SMICardisés alors que la cherté de la vie est 40 % au-dessus de l’Hexagone ! Pourtant, l’argent public couvre plus de 100 % des salaires et charges sociales chez les gros planteurs. Ils n’en profitent même pas pour faire des salaires décents à leurs employés ! L’argument qui consiste à dire qu’on continue à subventionner massivement la banane parce qu’elle est porteuse d’emplois, est rigoureusement faux !
Que représente la subvention européenne de la banane par rapport à son chiffre d’affaires ?
Elle pèse un peu plus de 50 % de son chiffre. En gros, dans une exploitation antillaise, quand le patron fait 10 millions d’euros de chiffre, il a reçu un peu plus que 5 millions d’euros du POSEI. Il faut aussi comprendre que si les petits producteurs crèvent, c’est parce qu’ils ne se sont pas modernisés ni très organisés. C’est l’argent de l’Europe ou même de la France qui permet aux gros producteurs de moderniser leur outillage ! Ils ont pour ça la défiscalisation ou les fonds FEADER qui les financent à plus de 50 %. Ils payent leurs salariés avec seulement 35 % de cotisations patronales, donc un abattement. C’est encore une fois le contribuable qui paye la note pour la différence entre le prix normal de n’importe quel salaire et le prix qu’on paye les salariés de la banane aux Antilles ! Depuis 2007, 1,7 milliards d’€ de subvention POSEI ont été alloués à la filière banane Antilles dont la grande majorité est arrivée dans la poche de quelques gros planteurs.
Les céréaliers, les viticulteurs aussi sont subventionnés !
On ne peut pas poser aujourd’hui la question de la rentabilité des fonds investis, c’est à-dire de l’argent public, de nos impôts, sans poser la question de la responsabilité de l’Etat. L’Etat est incroyablement indolent. Et comme la subvention de la banane représente 40 % du premier pilier de la Politique Agricole Commune dans l’ensemble des DROM, cela se fait au détriment des autres filières qui, elles, ont vocation à renforcer l’autosuffisance alimentaire !
Le ministre des Outre-mer soutient lui aussi l’objectif de développer l’autonomie alimentaire à l’horizon 2030. Vous n’êtes plus seul !
Quand la France décide qu’il faut faire de la canne et de la banane de partout et que c’est à travers ce type de monoculture qu’on va arriver à résoudre le problème de l’économie dans les territoires d’Outre-mer, ils sont à côté de la plaque ! Si on ne redistribue pas l’argent du POSEI, où va-t-on prendre de l’argent pour faire de la souveraineté alimentaire ?
Que proposez-vous pour sortir de ce système ?
R&DOM propose de créer une organisation professionnelle qui ne regroupe que les petits producteurs qui produisent de 0 à 500 tonnes par an. Il faut aussi leur ouvrir une enveloppe de soutien à la modernisation (renouvellement des pick-ups, modernisation des systèmes de traitement de la banane, aide à l’achat de quads pour désherber et pulvériser, investissement dans des exosquelettes…). Il faut encore soutenir leur trésorerie pour qu’ils ne soient plus obligés de pleurer des acomptes chez Banamart. Enfin, il faut plafonner les aides POSEI pour les gros planteurs et rediriger une part importante des 129 millions d’€ de la banane pour soutenir les petits producteurs de la diversité agroalimentaire.
Propos recueillis par FXG
Eric de Lucy, président de l’UGPBan, sollicité, n’a pas souhaité réagir ou commenter ces propos.