Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal - Audition de François-Michel Le Tourneau, chercheur en sciences sociales du CNRS
Portrait sociologique du garimpeiro
« Le rythme cardiaque de l’orpaillage illégal est déterminé étroitement par la quantité d’or qui est extraite. Lorsqu’on trouve de nouveaux filons, les chantiers se multiplient, l’activité de la chaîne logistique s’accroit, les gens viennent en masse, c’est la ruée vers l’or ! » La commission d’enquête parlementaire a procédé mercredi à l’audition de François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche en sciences humaines et sociales au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Depuis 2016, il mène ses travaux en collaboration avec les forces armées de Guyane. Son objectif est d’avoir une « vision de l’intérieur de la société garimpeira ». Il est entre autres l’auteur de « Chercheurs d’or », paru aux éditions du CNRS.
Apparue dès les premiers temps du Brésil colonial, la société garimpeira est une structure sociale organisée pour résister à la pression des autorités et que l’on retrouve du Brésil au Vénézuéla. Les garimpeiros ont un code de conduite et sont solidaires, tout le monde mange tous les soirs ! François-Michel Le Tourneau les compare à la société des Roms, à savoir une communauté ni centralisée, ni maffieuse « sauf qu’on n’y naît pas et qu’on peut en sortir », une communauté temporaire.
L’extraction d’or suppose un flux logistique important, du carburant pour les moteurs, de l’alimentation, des pièces, des ouvriers mais également de l’alcool, des divertissements, des téléphones portables, des systèmes d’Internet par satellite pour communiquer avec les familles. « Tout se trouve dans le garimpo et tout s’y trouve à prix d’or. » La répression qui a lieu en Guyane est un obstacle fort et fait peser une menace sur l’ensemble de ces chaînes et a un effet paradoxal : plus il est difficile de passer, plus le prix des objets rend le voyage rentable. « Les orpailleurs peuvent payer sur les chantiers jusqu’à 10 euros le litre de carburant qui ne coûte que 50 centimes à Albina ! A ce compte, on peut perdre une cargaison sur deux et continuer à gagner de l’argent. »
Les circuits d’approvisionnement du mercure passent par le Guyane et le Suriname et de moins en moins par le Brésil. Il était encore possible d’en acquérir en Guyane française en 2006 ! Le mercure n’est pas cher puisqu’un kilo de mercure s’achète contre 10 à 15 grammes d’or…
Un profil proche de celui des jours de casino
Les orpailleurs sont Brésiliens à 97 % et viennent principalement de l’Etat du Maranhao, le plus pauvre et le plus rural du Brésil, et secondairement du Para et de l’Amapa voisins. Les orpailleurs sont aux 2/3 sont des hommes et ont en moyenne 40 ans. Ils appartiennent au classes sociales CDE de la société brésilienne, c’est-à-dire les classes moyennes basses et populaires. Sur les chantiers, les cuisinières sont souvent les seules femmes (elles sont très rarement des prostituées). En revanche, dans les villages d’appui, il y a plus de femmes non seulement dans le secteur du divertissement, mais aussi dans le commerce. L’orpaillage est généralement une entreprise de couple, qu’il soit constitué au départ ou formé sur place. « La chance de devenir riche — au sens brésilien —, explique le chercheur, est tout à fait réelle et nombreux sont les orpailleurs qui parviennent à s’acheter un bien au Brésil. » Il estime que l’orpailleur a un profil plus proche du joueur de casino que de l’image du semi-esclave de la forêt comme on les représente souvent. « Même si cela ne dure pas, lui a confié une garimpeira, on peut avoir un tout petit avant-goût de ce que c’est que d’être riche plutôt que de se voir simplement rêver toute sa vie d’être un peu moins pauvre. » L’orpaillage est une entreprise qu’on peut démarrer avec quelques dizaines de milliers d’euros et il n’est pas rare de voir des prostituées, des serveuses se hisser au rang de patron d’un site. Il n’est pas rare non plus de voir des patrons tout perdre… L’organisation du travail n’est pas vue comme une relation féodale mais comme une association entre un patron qui paye tous les coûts du chantier, jusqu’au salaire de la cuisinière, et qui perçoit 70 % de l’or produit, et les ouvriers qui se partagent les 30 % restant, chacun étant libre de partir quand il le veut. Les garimpeiros apprécient la Guyane française où les forces de l’ordre respectent les droits de l’Homme, mais ils se plaignent tout de même de la pression de ces dernières.
FXG