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Publié par fxg

Emmanuel Rivière, directeur général de Kantar public France, évoque la présidentielle à venir et l'Outre-mer

Emmanuel Rivière, directeur général de Kantar public France (ex-TNS Sofres), évoque le vote outre-mer dans la présidentielle, la progression du vote RN, le spectre d’un nouveau duel Macron-Le Pen et l’hypothèse de la candidature Taubira. Interview.

« Christiane Taubira reste bien présente dans le paysage politique »

En 2002 il a manqué 250 000 voix environ à Lionel Jospin pour être présent au second tour. Au premier tour, Christiane Taubira qui s'était présentée sous les couleurs du PRG, avait fait un tabac aux Antilles et en Guyane, raflant une partie des votes qui manquaient à Jospin, c'est dire l'importance du vote outre-mer…

À l'époque, les Antilles et la Guyane votaient après la métropole et on se demandait si, grâce à l'Outre-mer où Jean-Marie Le Pen était présumé faire beaucoup moins de voix et où la gauche était potentiellement forte, ça pouvait resserrer l'écart ou pas... Il y avait eu ce petit suspense qui n'a pas duré très longtemps. L'abstention était trop forte pour que le vote outre-mer puisse modifier les résultats nationaux.

L’abstention est toujours forte…

Je pensais qu'en 2017 l'abstention se serait réduite, mais elle est restée colossale ! Chaque partie du territoire a son importance dans une telle élection et les outre-mer, prises dans leur ensemble, pèsent lourd, quasiment 4 % des inscrits mais en 2017 seulement 2,5 % des votants. En outre-mer la participation est très faible aux élections européennes, un peu moins aux législatives, beaucoup plus forte aux régionales.

Et pourtant les candidats couvent toujours autant de leurs yeux doux l’électorat ultramarin. Vous comprenez cela ?

Il y a 900 000 voix à prendre ! Ce qui est fascinant, c'est la progression du vote en faveur de Marine Le Pen en 2017, quasiment partout. A Mayotte, elle multiplie quasiment par 10 son score de 2012. Mayotte pesant ce qu'elle pèse, ça relativise... Mais à la Réunion, son résultat est plus que multiplié par 2 et cela représente beaucoup de voix. On passe de moins de 40 000 à plus de 80 000 ! Sur l’ensemble des votants d’outre-mer, Marine Le Pen gagne plus de 100 000 voix entre 2012 et 2017. Une qualification au second tour peut se jouer à 100 000 voix.

A quoi attribuez-vous cette dynamique ?

On ne peut pas dire que ce soit lié à un phénomène spécifique. Ici, ça va être le recul de François Fillon par rapport à Nicolas Sarkozy en 2012, notamment à Mayotte. C'est aussi vrai dans les autres départements où Fillon a fait nettement moins que Sarkozy avec des écarts d'une dizaine de points en Martinique et en Guadeloupe. Ce qui est marquant, c'est la domination de François Hollande dans tous ces territoires, à l'exception de Mayotte, en 2012. C'était autant du soutien à Hollande qu’un rejet de l'équipe sortante… Reste que, même si c'est moins vrai en Guadeloupe et en Martinique, Marine Le Pen conserve encore une capacité de progression… Tout cumulé, même si elle n'arrive en tête nulle part en 2017, sur l'ensemble de l'outre-mer, elle était en tête au premier tour. Ce n'est pas sans importance parce qu'on sait autour de quoi s'organise la vision de Marine Le Pen et l'image autrefois du FN… La question du racisme est accolée à sa personnalité et pas simplement ses idées. Ça ne l'a pas empêché de faire plus de 20 % dans trois départements dont le plus important en taille qu’est la Guyane.

Comment l'interprétez vous ?

A-t-elle réussi mieux qu'ailleurs à dé-diaboliser son image ? A-t-elle bénéficié d'un soutien aussi élevé parce qu'elle a mieux incarné que d'autres la capacité à bousculer le système, à exprimer de l'insatisfaction ? Ce qu'on analyse comme étant les leviers du vote Le Pen, dans un regard, il est vrai un peu trop centré sur l'Hexagone, s'applique difficilement. On ne peut pas dire qu'en Guyane, il y a la question de l'Islam qui est obsédante aujourd'hui dans l’hexagone et sur laquelle surfe Marine Le Pen. Evidemment, les thématiques de l’immigration ou de l’insécurité, et le lien qu’elle fait entre les deux, lui sont également favorables. Or en Guyane comme à Mayotte, l'exposition à ces phénomènes est importante. Mon étonnement venait plutôt de la Réunion... Marine Le Pen fait davantage attention à la manière de mener sa barque en évitant de stigmatiser à l’excès telle ou telle population, mais en jouant sur le registre du déclin, de la perte de contrôle, du pays qui va à vau-l'eau. Et cela peut s'appliquer à nombre de territoires d'outre-mer. En gros les trois mamelles du vote pour le Rassemblement national sont l'immigration, l'identité et la sécurité.

Que disent les instituts de sondage à un an de l'élection présidentielle ?

Il y a peu de différence avec 2017. Sur notre baromètre mensuel politique pour Le Figaro magazine, Marine Le Pen était ces dernières années en deçà de ses scores historiques. Ces scores de support ou de soutien qui l'avaient placée entre 2012 et 2015 dans cette phase très dynamique où le FN enchaînait les succès en termes de nombre de voix et pas forcément en termes de conquête d'exécutifs, mais succès quand même. Dans nos baromètres, elle surfait alors avec les 30 % de côte d'avenir. Elle était redescendue en dessous de 20 % l'année dernière et là, elle a regrimpé à nouveau, avec une hausse assez brutale puisqu'elle est aujourd'hui à 34 %, soit 8 points de gagnés dans notre dernière vague, avec un contexte particulier, puisque cette vague a été réalisée juste après l'attentat de Rambouillet et je pense que ça lui a été très favorable. Néanmoins même avec ces 34 %, Marine Le Pen est dans les mêmes eaux qu'en 2015. Le baromètre annuel d’image du Rassemblement national publié la semaine  du 10 mai avec France Info et Le Monde confirme la même tendance. Le RN est en reconquête, à la fois en termes d’image et de potentiel électoral. Marine Le Pen se remet peu à peu de sa contre-performance de 2017, mais les indicateurs restent en deçà des niveaux de 2013-2015 et surtout, l’envie de s’allier au RN reste très limitée.

Pendant ce temps la gauche se cherche encore un leadership…

Absolument ! C'est d'ailleurs un des enjeux des régionales à venir notamment dans les régions où s’affronte le triptyque PS, France-insoumise et Europe-écologie-Les Verts. Là où ils ne sont pas en alliance, celui qui va rafler le leadership va signifier qu'il a un avantage compétitif. Mais si les appareils ont du mal à se mettre d'accord, si les leaders ne sont pas disposés à se laisser la place, les électeurs sont beaucoup moins irréconciliables que les prétendants. On l'a vu aux municipales : quand il y a des désistements ou des accords, les reports à gauche se font très bien. Le jour ou un candidat apparaîtrait comme étant le meilleur représentant pour les chances de la gauche, il peut y avoir un effet de ralliement. On constate dans notre baromètre politique que de moins en moins de gens se déclarent proche de la France insoumise, du PS ou du PC. Ca peut aboutir à de l'abstention, mais ça peut aussi vouloir dire que les électeurs sont finalement beaucoup plus disponibles pour se ranger derrière le candidat le mieux placé. Ceci d'ailleurs donnerait une responsabilité importante aux sondages !

Dans l'hypothèse où arriverait à émerger une candidature plus fédératrice, la gauche pourrait-elle sortir la tête de l'eau ?

Ce n'est pas exclu ! Un institut confrère a sorti un baromètre d’intentions de vote régional à échelle nationale. L'exercice est un peu bizarre parce que ça revient à cumuler des voix sur des situations et des configurations différentes, mais quand on procède comme ça, finalement on voit aussi ce que représentent les étiquettes de partis et les images des camps. La gauche tournerait autour de 30 %. S'il se crée une dynamique à gauche autour d’une personnalité et que ce 30 % arrive à se rapprocher des 35, il suffirait que ce candidat bien placé en attrape les 2/3 pour être qualifiable au second tour.

Dans cette hypothèse, on parle de la candidature de Christiane Taubira. Pourtant les sondages ne la citent jamais ou presque…

C'est difficile de voir s’il y un mouvement en faveur de Christiane Taubira si elle-même ne déclenche pas quelque chose. C'est rare que les instituts de sondage s’autosaisissent d'hypothèses qui ne sont pas fortement poussées par le fait qu'une personnalité sorte du bois. Ce serait intéressant, mais on aurait des scrupules, nous Kantar, ou d’autres, de décider d’un coup de proposer la candidature de Taubira dans nos sondages, pour voir... Pour l'instant, nous n'avons pas lancé de sondage d'intentions de vote, mais seulement des indicateurs pour essayer de voir quand les gens sont disponibles pour penser à la présidentielle. On va plutôt attendre que passent les régionales.

Comment les instituts désignent-ils les personnalités à tester ?

Ça devient assez vite compliqué quand on multiplie le choix des hypothèses… A gauche, il y en a des hypothèses ! Montebourg pointe le bout de son nez, Anne Hidalgo n'est pas déclarée mais semble identifiée… Certains candidats sont plus ostensiblement sur les rangs mais sans déclaration officielle comme Yannick Jadot, et puis il y a un candidat déclaré, avec une opération qui devait légitimer sa candidature, c'est Jean-Luc Mélenchon. De mon point de vue l'opération a moyennement marché dans le sens où elle n'a provoqué aucune dynamique dans les sondages autour de sa candidature, avant ou après sa consultation en ligne. Tout ça est déjà compliqué à gérer d’autant qu’on doit le multiplier par les différentes hypothèses à droite !

Christiane Taubira pourrait-elle être un adversaire sérieux ?

Un baromètre (celui de LCI Harris Interactive sur les personnalités politiques) place Christiane Taubira deuxième à gauche, avec 29 % de côte de confiance. Dans ce sondage Christiane Taubira reste à peu près dans ces mêmes eaux, autour de 30 %, depuis un an. Elle reste donc bien présente dans le paysage politique…

On dit Taubira clivante mais capable de rassembler à gauche. Qu’en pensez-vous ?

C'était un peu le cas d'Anne Hidalgo à Paris. Finalement, être clivant pour des gens qui ne voteront jamais pour vous, ça n'empêche pas de bien figurer au premier tour. Il suffit d'être rassembleur pour les gens qui sont susceptibles de voter pour vous. Après c'est plus compliqué pour l'emporter au second tour, tout dépend de qui on a en face de soi.

Il est bien trop tôt pour pouvoir le dire ?

Bien trop tôt ! Marine Le Pen a pour elle d'avoir un électorat solide, fidèle, qu'elle arrive à confirmer d'une élection à l'autre. Mais personne n'est à l'abri. Un an avant 2017, personne ne savait encore que François Fillon allait être le favori de la présidentielle pour finalement la perdre. Donc prétendre aujourd'hui savoir que Marine Le Pen sera au second tour face à Emmanuel Macron c'est très aventureux. Après, tout dépend de ce que les électeurs de gauche vont chercher. S'ils vont chercher quelqu'un qui peut gagner l'élection présidentielle ou quelqu'un qui peut être la personne qui leur évitera de se retrouver devant un choix qu'ils ne veulent pas.

Ce choix, c’est le remake du duel Macron-Le Pen de 2017 ?

Toutes ces enquêtes qui mettent Emmanuel Macron, non pas perdant, mais un peu chahuté, ne gagnant pas si facilement que ça face à Marine Le Pen, nous en disent plus sur l’hostilité à Emmanuel Macron que sur Marine Le Pen. Je ne crois pas qu'elle soit aux portes du pouvoir. Ça reste à surveiller bien sûr… Cela révèle d'abord que beaucoup d’électeurs non pas envie d'avoir à refaire le choix de 2017. Ça peut être une motivation pour voter pour un candidat que l’électeur de gauche pourrait croire capable d’être au second tour, qui lui éviterait donc de faire ce choix-là. Et si ce candidat, pas forcément Christiane Taubira, accède au second tour, la dynamique peut créer la dynamique. Mais la gauche reste très faible dans le pays, la marche est haute.

Propos recueillis par FXG

 

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