Un "Secret d'Histoire" consacré à Toussaint Louverture
L'émission Secret d’histoire sur France 3 est consacrée ce 10 mai à Toussaint Louverture. Stéphane Bern répond à nos questions.
« Toussaint et Bonaparte sont deux bateaux qui se croisent dans la nuit »
Quelle est la chose qui vous a étonné le plus (et qui va étonner les téléspectateurs) en réalisant ce Secret d'histoire sur Toussaint Louverture et la Révolution française à Saint-Domingue ?
Ce qui est trop peu connu c'est la dimension historique de Toussaint. Au-delà de son combat pour la liberté, pour l'abolition de l'esclavage, il y a une vision, un vaste projet de société, qu'il a couché dans sa Constitution en 1801. Et puis quel parcours, de la plantation Bréda où il naît esclave, jusqu'au sommet du pouvoir à Saint-Domingue, où son aura et son statut lui permettent de parler d'égal à égal à Bonaparte.
Peut-on considérer que la faute de Napoléon Bonaparte, "le premier des Blancs", a été refusé de traiter Toussaint Louverture, comme "le premier des Noirs", avec pour conséquences l'indépendance d'Haïti et le rétablissement de l'esclavage ?
Napoléon a reconnu dans ses mémoires en 1817, alors qu'il est captif à Sainte-Hélène, que l'expédition de Saint-Domingue avait été une erreur. Il aurait dû en effet gouverner Saint-Domingue à travers Toussaint, qu'il avait d'ailleurs grandement estimé dans un premier temps, et qui l'avait débarrassé sur l'île de l'Angleterre, éternel ennemi du futur empereur. Mais cet accord n'a jamais été trouvé entre les deux hommes. Comme le dit Dany Laferrière, Toussaint et Bonaparte sont deux bateaux qui se croisent dans la nuit.
Comment expliquez-vous que la première République noire de l'histoire soit depuis restée marginalisée ?
Haïti est une exception en 1804. Partout ailleurs l'esclavage perdure ou est rétabli par Bonaparte. Le concert des nations qui profitent de la manne économique de l'esclavage ne peut accepter une île dissidente. Par la suite, c'est l'ordonnance de Charles X en 1825 qui met Haïti à genoux, en reconnaissant son indépendance mais contre le versement de 150 millions de francs or, soit plusieurs milliards d'euros, dette qu'Haïti finira de payer au milieu du XXème siècle. Enfin, le modèle initié par le premier Empereur, Dessalines, a été souvent repris par la suite, ainsi les Haïtiens ont longtemps vécu sous le joug des dictateurs, dont l'action autoritaire isolait l'île du reste du monde.
Propos recueillis par FXG