Léon Bertrand, regard sur sa politique culturelle et patrimoniale, chez Idem
Visiblement ému, Léon Bertrand était au ministère des Outre-mer, mardi 15 juin, pour présenter l’ouvrage que lui a consacré Pierre Chambert aux éditions Idem, Léon Bertrand, regard sur sa politique culturelle et patrimoniale.
Dans le public, se trouvaient des personnalités comme l‘ancien préfet de Guyane et ex-coordonnateur du renseignement à l’Elysée, Ange Mancini, l’ancien premier vice-président du Conseil général de Guyane, Lucien Prévot, et encore l’ancien ministre Dominique Perben. Interview.
« La culture c'est ce qu'il vous reste si on vous prend tout »
Quelle est la genèse de cet ouvrage ?
J’ai reçu un coup de téléphone de son auteur, Pierre Chambert, qui me dit : « J’ai envie de raconter votre histoire, je sais que vous avez traversé des péripéties mais ce qui m'intéresse, c’est parler de votre action dans le domaine culturel. » Moi qui étais dans l'ombre depuis déjà plus d'un an et demi que j'étais à la maison, je me suis dit que ça pouvait être utile à d'autres et puis que ça permettrait aussi de commencer à sortir du bois… Ça a été un moment intéressant puisque tous les mardis à midi, il m’appelait au téléphone…
Vous dîtes que ce livre est une œuvre de réconciliation. Qu’entendez-vous par réconciliation et avec qui ?
Ma vie a été marquée par cette envie de réconcilier les uns et les autres au travers de toutes les actions que j'ai pu mener en tant que maire, parlementaire et même ministre du Tourisme à une certaine époque. La réconciliation, c'est d'abord avec le bagne. Quand j'ai été élu maire en 1983, mon prédécesseur, celui que j'ai battu, n'avait qu'une idée : raser le bagne. On disait alors qu'il fallait débarrasser le sol de la Guyane d'une verrue qui montrait la politique coloniale de la France, que pour se sentir bien, il fallait purement et simplement tout raser. Dans mon équipe il y avait des gens comme moi, des enfants de bagnard. Lorsqu’au conseil municipal, il a fallu évoquer la question du bagne, on s'est dit qu'il n'était pas question de raser cette structure, au contraire il fallait avoir le courage d'assumer, parce que c'est l'histoire de France et c'est aussi l'histoire de la Guyane. Et nous sommes allés beaucoup plus loin en disant que de ce qu'ils avaient fait de nous, nous allions tirer le meilleur et faire d'un handicap un atout. Il fallait donc réussir à réconcilier la population à cette structure qui apparaissait comme une image honteuse. C’était un peu fou au départ, mais nous avons gagné ce pari.
Vous évoquez ensuite une réconciliation avec le Suriname, pourquoi ?
La guerre au Suriname en 1986… Lorsque Daisy Bouterse et son second, Ronnie Brunswick, se sont affrontés, nous avons dû accueillir en l'espace de quelques mois des milliers de réfugiés. Ils étaient plus nombreux que la population de Saint-Laurent. Si au début, les Saint-Laurentais étaient heureux d'accueillir ces gens qui étaient dans la misère, quand ils ont été si nombreux, c'est devenu un fardeau et ça s'est presque mal passé. Régulièrement à l'époque, je sortais manifester dans la rue avec la population pour attirer l'attention de la France — Jacques Chirac était Premier ministre, Bernard Pons le ministre de l'Outre-mer — pour qu'elle vienne nous aider à faire repartir les réfugiés au Suriname. En 1992, un plan a été mis en place. On a donné de l'argent pour que les personnes puissent rentrer chez elles. Les gens ont empoché l'argent, sont partis puis ils sont revenus. J’ai compris qu'on ne pouvait pas se battre contre l'impossible. Il fallait essayer d'accompagner le mouvement. J'ai changé mon fusil d'épaule, j'ai admis qu'il fallait accepter cette population, mettre en place des équipements, construire des écoles et faire en sorte que tout le monde se sente Saint-Laurentais. La population n'était pas vraiment chaude pour me suivre, mais lorsque des enfants de réfugiés se faisaient remarquer dans le sport ou dans d'autres domaines, la fierté commençait à poindre. Ce n'était pas seulement la fierté des habitants de Saint-Laurent-du-Maroni ni celle des enfants des réfugiés, mais la fierté de tous ! C'est comme ça que nous sommes parvenus à avoir une population homogène si l'on peut dire.
C’est ce qui vous a amené à la culture ?
Saint-Laurent, c'est des populations autochtones, amérindiennes, bushiningé… Les Saramacas, les Djukas, les Bonis, les Paramacas… Même s'ils sont tous de la même couleur, ils sont autant d'ethnies différentes avec des façons de vivre différentes. C'est aussi la population créole, l'immigration qui nous a apporté la population chinoise, brésilienne, haïtienne… Il fallait trouver une cohésion, un liant pour permettre à ce monde de pouvoir vivre ensemble. La culture est ce liant qui permet aux uns et aux autres de se retrouver. La culture c'est ce qu'il vous reste si on vous prend tout, c’est ce qui fait qu'on vous reconnaît pour ce que vous êtes en réalité. C'est l'homme nu devant l'autre et qui est condamné à communiquer ! C'est ce qui s'est passé avec les populations de Saint-Laurent, chacun avec ses talents, son histoire, sa tradition et avec un leitmotiv : trouver un socle commun, être de Saint-Laurent, appartenir à l'ouest guyanais que l'on soit Amérindien, Bushiningé, Créole, Brésilien où Haïtien, être Français, être républicain. Jacques Chirac a toujours été fasciné par cela. Quand j’étais ministre, il lui arrivait de m’appeler et de me demander de lui raconter mon histoire. J’ai dû la raconter quinze, vingt fois ! Mon grand-père de la Vendée, ma grand-mère noire du Suriname, mon père chaben, ma mère amérindienne et je me suis marié avec une fille qui s’appelle Pavilovski, d’origine polonaise… C’est ça la troisième réconciliation, celle des populations entre elles !
Tout en étant très Guyanais, vous avez toujours dit aussi très Français…
Très républicain. Je préfère dire républicain même si c’est compliqué et difficile de l’être en ce moment malheureusement. Nous avons l’impression d’être traités un peu à part, pas convenablement, pas comme on l’aurait souhaité. Et c’est un peu dangereux parce que ça donne prise à ceux qui ont envie de partir dans un autre chemin. Mais il faut être costaud, il faut résister, c’est ce que je continue à faire avec d’autres…
Aujourd’hui, la Guyane est en campagne électorale. Comment la vivez-vous ?
J'observe cette campagne plus que je la vis. Tous les programmes des candidats tiennent la route. Évidemment quand on fait un programme, c'est parce qu'on veut gagner et donc le programme est bien fait. Maintenant c'est sur la qualité des hommes que les choses vont se jouer. J'ai envie de dire que je fais confiance à la population parce que depuis quelques années elle s'est beaucoup rapprochée de la chose politique. Il n'y a qu'à voir ce qu'il s'est passé en mars 2017. Donc elle fera attention ce coup-ci à ce que son choix soit le meilleur pour la Guyane.
Vous irez voter dimanche prochain ?
Non je ne peux pas voter, par conséquent je n'irai pas.
Propos recueillis par FXG