Yohann Pisiou, comédien et Guadeloupéen
Interview
« Le théâtre en Guadeloupe est en train de mourir ! »
Qu’est-ce que vous ressentez de jouer dans la programmation officielle du festival d’Avignon ?
La première fois que j’ai joué au Festival d’Avignon remonte à 2009, douze ans déjà, et c’était à la Chapelle du verne incarné : belle expérience, riche d’enseignement pour quelqu’un qui démarre, et motivante pour aller encore plus loin… Cependant, je déplore le fait, qu’aujourd’hui, nos petites productions n’aient pour seule et unique finalité que d’aller jouer à la Chapelle du verbe incarnée… Ca me fait un peu mal !
Pourquoi un tel cri de douleur ?
J’aimerais tant que nous puissions enfin revoir notre ambition pour le théâtre à la hausse, (avec tout le respect et la reconnaissance que je peux avoir pour ceux qui avant moi ont donné de leur temps et de leur personne pour tenter de faire avancer les choses), que nos pièces tournent dans les scènes nationales françaises et arrivent, même si ce n’est pas dans le in d’Avignon, au moins dans les grands lieux du off !
Je serais curieux de savoir s’il y a déjà eu des pièces antillaises dans le « in » d’Avignon, où l’on retrouve par contre régulièrement des pièces d’Afrique et d’ailleurs… Tiago Rodrigues par exemple est portugais. Toute l’Europe joue dans le in. Nous qui sommes des Français d’outre-mer, nous n’y sommes pas ! On ne joue depuis toutes ces années que dans un seul et même lieu, disposant d’une scène de 4 mètres de large, ce qui limite évidemment la scénographie et qui ne permet pas forcément de mettre en avant l’étendue de notre créativité et de nos talents! C’est en effet un théâtre qui demande une logistique particulière et quelque peu contraignante (six pièces s’y jouent par jour, il faut tout remettre en place juste après avoir joué, pour laisser la place)…
Nous, Antillais, sommes donc toujours systématiquement assignés à ce théâtre, que je respecte malgré tout car il peut être un tremplin pour évoluer vers plus grand. Sauf que chez nous, en Guadeloupe, cela semble être l’objectif ultime ! Nos comédiens eux-mêmes sont contents de dire qu’ils sont à Avignon, mais quand on leur demande où ils jouent, c’est toujours la même réponse.
Les politiques en charge du développement de la culture sont encore plus satisfaits de cette présence antillaise dans ce petit lieu du festival, mais force est de constater que ça n’ouvre pas de portes à nos productions locales ! Il faut voir plus loin ! Je me bats pour l’enseignement artistique en Guadeloupe et j’aimerais qu’on puisse enfin rêver du « in » ! Que nous ayons enfin cette ambition, et que nous la travaillions jusqu’au bout !
Quel regard portez-vous sur la politique culturelle en Guadeloupe ?
La politique culturelle est désastreuse. Depuis presque dix ans, il n’y a plus de production théâtrale. Il doit y avoir une ou deux compagnies qui subsistent. Le centre des arts (CDA) est fermé depuis plus de dix ans. La récente action du collectif des artistes de l’ANG a réveillé certains, endormis depuis toutes ces années, et qui aujourd’hui affirment leur soutien à cette action citoyenne, et clament avoir toujours été soucieux de faire revivre le CDA… Mais comment objectivement justifier qu’il ait fallu à nos collectivités tout ce temps ? : Douze ans c’est l ‘équivalent de deux guerres mondiales, de trois coupes du monde… Toute une génération qui n’a jamais connu le CDA, ni aucun lieu de culture équivalent chez nous… Toute une génération qui évolue sans ambition culturelle…
L’Artchipel est en travaux et vivote difficilement avec un très petit budget et dans une ambiance ouvertement déplorable. Le théâtre en Guadeloupe est en train de mourir ! Les personnes en charge de la culture en Guadeloupe ne sont pas du tout concernées par la culture, et ne savent pas ce que c’est qu’un budget, elles sont à côté de la plaque !
L’encadrement de la culture chez nous souffre d’un déficit de compétences, et de respect de la chose culturelle. Les rares personnes compétentes dans ce pays se font virer sans explications, comme récemment au MACTe.
Il n’y a pas de projet culturel en Guadeloupe. On a affaire à des gens qui ne savent pas vraiment de quoi il s’agit ! Cette situation n’a que trop durer, et aujourd’hui on peine à mobiliser les forces vives de Guadeloupe pour le théâtre… Nos propres acteurs culturels n’y croient plus.
Le théâtre en Guadeloupe est en train de mourir, dîtes-vous, n’est pas excessif ?
Combien de compagnies produisent du théâtre aujourd’hui et en vivent chez nous ? Aucune… Pourtant, nos politiques prônent régulièrement la carte de l’excellence, mais derrière, ça ne suit pas et ce n’est pas parce que nous n’avons pas de talents ! C’est parce que nous manquons cruellement d’une politique culturelle claire, forte, assumée et tenant compte de l’ensemble des particularités et enjeux de notre territoire !
Comment ça se passe pour vous ?
Je vis de mon métier depuis douze ans maintenant. J’ai eu la chance, grâce à mon parcours, de pouvoir intégrer des projets d’envergure qui m’ont mené aujourd’hui au « in », avec des équipes de comédiens et techniciens formés, et correctement accompagnés… Bref un eco-système qui permet réellement de créer, de planifier, de jouer, de tourner…Parallèlement, en Guadeloupe, depuis trois ans, je travaille avec José Jernidier. Il a ouvert la première classe d’enseignement théâtral au lycée Carnot. C’est LA classe pilote pour la France toute entière ! Et malgré cela, nous avons disposé d’à peine 1000 euros pour constituer une bibliothèque pour les élèves…
Nous répétons dans une salle de permanence, pleine de tables et de chaises, entre la salle de musique et la vraie salle de permanence. Comment imaginer faire du Jean Racine dans de telles conditions, et susciter un réel intérêt chez nos jeunes ? Et de temps en temps, on nous laisse un accès à Sonis…
Que faut-il faire ? Inviter le président Chalus à venir vous voir à Avignon dans le in pour qu’il se rende compte que des Guadeloupéens peuvent honorer leur pays ?
Bien sûr ! Il faudrait qu’il vienne surtout pour voir aussi toute l’économie que génère le festival ! C’est quand même 40 millions d’euros que ça rapporte à la ville.
Pour voir aussi les compétences qui sont mobilisées, l’étendue des métiers qui en découlent, et toutes les opportunités de formation pour nos jeunes à tous les niveaux : création et management !
Mais nous avons une scène nationale en Guadeloupe !
C’est vrai qu’en Guadeloupe, on a une scène nationale qui coûte énormément et qui ne rapporte rien ! Elle est à deux heures de voitures de tout !
Je suis venu jouer Basquiat deux fois en Guadeloupe, une pièce que j’ai joué 70 fois en France, et je n’ai jamais été aussi mal reçu que chez moi, dans mon pays ! J’avoue avoir ressenti une forme de honte ! On a fini de jouer à 21 heures. A 21 h 10, j’étais enfermé dans le théâtre car les équipes en charge du lieu était pressées de partir.
J’ai joué L’Impossible Procès, pièce hommage à nos héros, jouée en la présence d’une bonne partie d’entre eux. A peine avions-nous terminé de les féliciter, que les techniciens ont déclenché l’alarme incendie afin de virer les spectateurs, une pratique courante apparemment… C’est scandaleux et cela donne une bien piètre image de notre région aux productions et médias venus sur place !
Si les institutions pouvaient se réveiller pour faire quelque chose de fort pour la jeunesse, ça serait déjà un début.
Ce qui me semble important, c’est qu’un Guadeloupéen de 15 - 16 ans puisse se projeter en tant que comédien, ou tout simplement en tant qu’artiste peu importe sa discipline ! L’art n’est pas juste un objet de divertissement ! C’est une économie ! C’est un tremplin vers l’excellence ! C’est une visibilité qualitative sur notre territoire qui peut constituer un vrai levier pour notre politique touristique ! C’est une force et c’est tout ce qu’il nous reste !
Que souhaiteriez-vous ?
Ce que je souhaiterais c’est que dans une dizaine d’années, nous soyons en mesure de nous former sur place, créer et diffuser pour qu’à terme une ou plusieurs pièces guadeloupéennes jouent enfin dans le in ! Les Guyanais et les Martiniquais y arrivent ! Césaire a dit : « Il n’y a pas de projet politique sans projet culturel. » C’est la Martinique qui a produit et créé L’Impossible Procès, pas la Guadeloupe ! Cette pièce a été jouée pendant dix jours en Martinique, contre un seul petit vendredi soir en Guadeloupe, le théâtre étant pris pour une élection de miss…
Nos élus devraient revoir leur rapport au temps, qu’ils répandent d’ailleurs sur notre population. Et pendant que nous cherchons des solutions à des problèmes pourtant simples, tels que comment faire revivre un lieu de culture, le monde avance, et nous creusons nous-mêmes notre propre retard.
Propos recueillis par FXG