La Guyane et la mer
La Guyane a-t-elle une place dans la stratégie maritime de la France ?
Le Sénat conduit depuis quelques semaines une série d’auditions sur la place des Outre-mer dans la stratégie maritime de la France. La sénatrice Marie-Laure Phineira-Horth en est l’une des deux rapporteurs.
La table ronde « Guyane » qui s’est tenue jeudi s’est avant tout portée sur la pêche pour mieux démontrer l’immense fragilité de ce secteur pourtant classé « d’avenir ».
Après le préfet Queffelec qui a rappelé l’action de l’Etat en mer contre la pêche illégale, Aland Soudine, président du comité régional de pêche maritime de Guyane, a indiqué que « les ressources halieutiques à l’échelle du plateau des Guyanes étaient en état de surpêche », puis rappelé le déficit d’infrastructures dont dispose la Guyane. Deux structures seulement sont dans la catégorie portuaire : le Larivot et Sinnamary. Quant aux dix points de débarquement, ce ne sont bien souvent qu’une simple cale inclinée vers l’eau. Quant à la Crique qui se trouve à moins de 1 kilomètre de la préfecture, « c’est une zone de non droit où ni les services vétérinaires, ni les douanes, ni la police aux frontières ne viennent ! » Quant à la pêche hauturière qui permettrait de produire par et pour la Guyane, il existe un projet de pêcherie expérimentale qui, hélas, a reçu un avis défavorable du Comité national des pêches alors que des bateaux de Chine, de Taïwan, du Panama, du Venezuela, du Brésil et du Suriname y pêchent à gogo ! « Comment valoriser les ressources sans infrastructure », a demandé M. Soudine ? Robert Cibrellus, son conseiller, est venu enfoncer le clou en expliquant qu’on déchargeait encore les cargaisons de pêche à la brouette : « Quand ils voient ça, les grands acheteurs nous tournent le dos ! » Il paraît dès lors bien compliqué de développer l’exportation et d’intégrer la Guyane dans une économie bleue sans remettre à niveau les moyens nécessaires à la filière pêche. La question est d’autant plus cuisante que le grand port maritime de Guyane a fait savoir tout récemment en réponse à la CPME qu’il entendait réduire l’accès fluvio-maritime à la zone placée sous sa responsabilité ! Ajoutés à cela un secteur bancaire quasi-interdit aux marins-pêcheurs et des usiniers en manque de trésorerie eu égard à la saisonnalité de la pêche…Inutile de dire ce qu’il en est de l’accessibilité aux fonds européens. Quant aux moyens pour exporter du poisson frais, ils sont quasi nuls ! « Nous ne sommes pas un territoire insulaire, a rappelé M. Cibrellus, mais nous sommes insularisés ! »
80 marins mobilisés
Il y a vingt ou trente ans, la filière pêche guyanaise se targuait de plus de 60 navires crevettier ; il n’y en a plus que cinq à ce jour. Les marins-pêcheurs pouvaient compter sur des salaires de 3000 euros. Aujourd’hui, ils ne dépassent pas les 5 à 600 euros, rarement 1000. Comment attirer des jeunes dans ces conditions ? Pour occuper les zones de pêche, plutôt que de les abandonner à la pêche illégale, 45 licences de pêche ont été attribuées à des navires vénézuéliens. Au moins cette flotte est écologiquement responsable !
Avec 95 000 enfants scolarisés et les cantines scolaires qui vont avec, la Guyane est un marché captif pour les circuits courts, mais il est encore à faible valeur commerciale. Il existe pourtant une ressource abondante de poissons à chair blanche, d’acoupas, de crevettes. « On a fait des outils de transformation, s’est étranglé Éric Sagne, président du cluster maritime de Guyane, sans avoir développé nos outils de production ! Et cinq emplois dans la production génèrent 0,5 à un emploi dans la transformation… » Sans compter que seule la production permettrait d’occuper la place des pêcheurs illégaux. Or, les pêcheurs légaux ont peur de se rendre dans ses zones, peur de se faire braquer… Le préfet Queffelec a défendu pourtant un bon bilan pour 2021 : 152 tonnes de poisson et 200 kilomètres de filets saisis, des peines de prison fermes et lourdes, de nombreux navires détruits (coût de destruction : 12 000 euros l’unité). A quoi Joël Pied, président d’Agromer Guyane, a rétorqué que cette année avait été « la pire depuis quinze à vingt ans avec une chute drastique de la production débarquée »…
Si les forces armées sont nombreuses et mobilisées en Guyane contre l’orpaillage illégal, il n’y a que 80 militaires de la marine mobilisés pour la protection des eaux territoriales françaises dans ce coin du monde. Alors oui, quelle est la place de la Guyane dans la stratégie maritime de la France ?
FXG