Le chlordécone au tribunal administratif de Paris
Chlordécone : l’action collective devant le tribunal administratif
Le tribunal administratif de Paris a examiné mardi matin l’action collective initiée par l'association Vivre (Guadeloupe), Lyannaj pou Dépolyé Matinik et le CRAN contre l’Etat dans le dossier du chlordécone. Le rapporteur public a rendu un avis reconnaissant des fautes commises par l’Etat, mais refusant le principe de l’indemnisation. La décision a été mise en délibéré à la fin du mois, début juin.
Les associations à l’origine de l’action collective ont rassemblé quelque 1200 victimes du chlordécone qui demandent chacune 15 000 € pour indemniser le préjudice moral d'anxiété. (le préjudice corporel étant réservé à d'autres procédures car il nécessite des expertises médicales, ce qui est difficile à organiser pour des milliers de victimes). Près de trois ans après le début de la procédure, l’audience d’hier a été précédée d’un échange de mémoire entre les parties civiles et le ministère de l’Agriculture. Ce dernier a mis près de deux ans à répondre puisque son mémoire n’a été enregistré que le 15 avril dernier, après un rappel au principe du « délai raisonnable » découlant de la notion de procès équitable prévu par la Convention européenne des droits de l'homme ». D’abord, le ministère de l’Agriculture conteste la recevabilité de la requête estimant qu’elle n’entre pas dans le champ des actions collectives, ensuite il assure que l’Etat a, « à partir des connaissances scientifiques alors disponibles, pris les mesures nécessaires à la protection des populations » ainsi qu’en attesterait les quatre plans Chlordécone. Finalement, s’appuyant sur l’avis de l’ANSES de 2021, le ministère ne veut bien reconnaître comme victime que les travailleurs agricoles (pour le risque reconnu d’un cancer de la prostate dû à l’exposition au pesticide) et aux enfants exposés in utéro. Il conclut en affirmant que « aucune condamnation de l'Etat ne pourra être prononcée » dans la mesure où « les requérants se bornent à faire état de leur présence en Martinique ou en Guadeloupe sans plus de précision, y compris donc dans des zones non contaminées par le chlordécone, durant au moins une année, sans faire état d'aucun élément personnel et circonstancié pertinent ».
« La fabrique de l’ignorance »
Dans leur mémoire en réplique, les requérants ont repris l'important travail de Malcom Ferdinand et Nathalie Jas sur « La fabrique de l'ignorance » selon laquelle le drame du chlordécone aux Antilles illustre la façon dont les inégalités nord-sud et les héritages esclavagistes et coloniaux ont durablement structuré l’action publique dans le domaine de la santé, conduisant à autoriser et maintenir un produit que l’on savait extrêmement toxique. A cela, les requérant ont ajouté le travail précis et documenté réalisé par les experts de la question du Chlordecone aux Antilles.
Hier, à l’issue de l’audience, Me Leguevaques, avocat des parties civiles, s’est déclaré presque heureusement surpris à l’issue de l’intervention du rapporteur public : « Dans un premier temps, il reconnaît que l’Etat a commis des fautes, ce qui est déjà un bon point, mais en revanche, il refuse d’indemniser les personnes parce qu’il considère qu’elles n’apportent pas suffisamment de preuves de leur anxiété. » Lors de sa plaidoirie, Me Leguevaques n’a pas eu besoin d’aller dans le détail du dossier : « Lorsqu’on analyse les informations qui émanent de l’INSEE, l’espérance de vie des Antillais est inférieure de 5 à 7 ans par rapport aux Hexagonaux, c’est bien la preuve qu’il y a un problème du côté du chlordécone. »
Selon le défenseur qui analyse ce « rapport mi-figue, mi-raisin », cela veut dire que l’on peut d’attendre à une décision qui reconnaisse la faute de l’Etat, mais refuse le principe de l’indemnisation. « Si on s’orientait vers cette décision, nous irions en appel. Attendons de voir ! » Réponse en fin de mois, début juin…
FXG