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Publié par fxg

Les Antilles au Festival du livre de Paris

Les Antillais au Festival du livre de Paris

Après deux ans d’absence, le salon du livre de Paris a rouvert ses portes au Grand Palais éphémère, entre la tour Eiffel et l'école militaire sur la rive gauche, le dernier week-end d’avril sous la forme nouvelle d’un festival du livre de Paris. Conçue comme une grande librairie, et non plus comme un salon des éditeurs, il a accueilli quelque 80 000 visiteurs. Contrairement à ce qui se faisait auparavant, le ministère des Outre-mer n’a pas investi dans ce lieu pour donner une visibilité aux littératures ultramarines. Seul le pavillon d’Afrique, organisé par l’Agence Culturelle Africaine (ACA) et la célèbre librairie et maison d’édition Présence africaine, espace entièrement dédié à la littérature du continent africain et de sa diaspora, a fait une petite place à la littérature caribéenne française. Parmi les 300 titres présentés, le dernier opus poétique de Véronique Kanor, « Eclaboussure », et parmi la vingtaine d’auteurs en dédicaces, outre le prestigieux prix Goncourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr pour « La plus secrète mémoire des hommes », la Martiniquaise Valérie Cadignan pour son roman « L’enfant du morne ».

Editeur des littératures du Sud

l'éditrice Emmanuelle Collas et Jean-Benoît Desnel

Le pavillon d’Afrique a aussi accueilli le seul éditeur martiniquais de ce festival, Jean-Benoît Desnel venu accompagné de la poétesse et romancière Suzanne Dracius et du professeur Aimé Charles-Nicolas. Le livre qu’a dirigé ce dernier, « L'esclavage : quel impact sur la psychologie des populations ? », paru en 2018, continue de se vendre comme des petits pains ! Desnel qui se défends d'être à la fois un éditeur de l'outre-mer français, mais aussi des littératures du Sud, a profité de sa présence au Pavillon d'Afrique, pour présenter deux nouveautés : un roman politique (signé de l’auteur de ces lignes), « La Veste Jaune, la i pann’ i sek », et une monographie collective sur la pensée d'Antonio Gramsci, « Retour d’une pensée du Sud pour le monde », avec des co-auteurs issus de l'espace de la francophonie (dont Danielle Marceline et Philippe Pierre-Charles) mais également de la ville de Naples en Italie.

A deux pas du pavillon d’Afrique se trouvait le grand stand Gallimard où les connaisseurs ont pu croiser une autre martiniquaise, Gaël Octavia, l’auteure de « La bonne histoire de Madeleine Démétrius », paru l’an dernier dans la collection Continents Noirs.

FXG

Eclaboussure, de Véronique Kanor

Depuis l’Atlantique écorché et le bitume parisien, depuis les nuits guyanaises et les aubes martiniquaises, Véronique Kanor propose quatre textes pour dire cette pulsion qui entraîne les peuples de l’obscur à l’éclat, du silence à l’éruption, de la résignation à la résistance. Résistance aux violences coloniales, policières, mémorielles… Quatre textes poétiques pour exprimer les sentiments de tous ceux qui recherchent les jarres d’or qui leur ont été confisquées ! Nourrie de la bouillonnance de l’actualité et de son magma intime, Véronique Kanor fait de la poésie une arme de reconstruction massive.

Interview - La Martiniquaise Valérie Cadignan est première vice-procureur au parquet au palais de justice de Paris. Elle signe chez Présence africaine le roman « L’enfant du morne ».

« Le morne participe à la construction de nos identités antillaises famille »

Qui est cet enfant du morne ? Est-ce un peu vous ?

L'enfant du morne, c'est l'intrigue dont je ne vais pas révéler qui est-il. Mais le mot « morne » est un mot qui m'est cher, qui dans notre ADN à nous Antillais puisque ça dessine nos imaginaires et nos topographies, avec le morne des Esses, le morne Cabri... Le morne participe à la construction de nos identités antillaises. Et puis il y a une polysémie dans ce mot puisqu’en français, c'est finalement quelque chose de triste… Le roman prend place au Morne-Roug où j'ai une part de mon identité, dans cette petite commune de 5000 habitants au pied de la montagne Pelée dont j'ai l'intuition première que c'est là que bat le cœur de la Martinique ! C'est la Martinique profonde, celle où j'ai une partie de mes racines. Mon récit parle de là, il parle aussi beaucoup de ma famille… C'est assez kaléidoscopique avec des identités et des histoires sur plusieurs générations que j’ai retissées ! Plusieurs personnages se mêlent pour en faire un seul, mais ça part d'une histoire vraie, un drame qui s'est passée dans ma famille il y a trois générations ; là se trouvent le nœud, l'intrigue de mon roman.

Vous explorez les cadavres dans les placards ?

Ce sont toujours les mêmes histoires intimes, des histoires d'inceste, des histoires de viol…

Comment passez-vous du monde de l'enfance autour de ce paysage à la dramaturgie romanesque et au drame familial ?

À travers ce roman j'ai voulu raconter des histoires de femmes, des femmes de ma famille sur plusieurs générations, avec tout ce qu'elles ont pu porter comme poids, tout ce qu'elles ont supporté comme secret, tout ce qu'elles ont pu transmettre sans jamais vraiment en parler parce que c'était toujours présent… Mais c'est surtout pour le personnage principal, mon héroïne, la volonté de sortir de tout ça et de couper la chaîne des transmissions.

Vous avez recueilli la parole des femmes de votre famille ?

J’ai profité de tous mes retours en Martinique pour interviewer mes grandes-tantes parce que c'est trop difficile d'aller trop près. On a peur de brusquer les gens qui nous sont très proches. Et là en interrogeant mes grandes-tantes qui sont quatre, j'ai eu de la matière première. Il y a des choses dont je me doutais mais il y a beaucoup de choses qu'elles m'ont apportées. C'est un peu l'histoire de la Martinique dans les années 1960… Il y a des bribes de vérité un peu partout… c'est ma façon à moi de ne pas blesser mes proches.

Vous faites une grande part au créole dans votre écriture…

J'ai eu recours à une professeure de créole qui s'appelle Manuela Antoine qui a relu et corrigé parce que c'était important pour moi qu'il y ait du créole dans le roman. Ce qui a été difficile c'était de mêler langues créole et française pour que l'on comprenne rien qu'en lisant. Je ne voulais pas de traduction en notes de bas de page ! je tenais au créole pour sa musicalité parce que c'est ma langue maternelle et parce que c'était la langue que nous n'avions pas le droit de parler…

Comment avez-vous trouvé le temps pour écrire ce roman (votre troisième livre, qui plus est) avec votre travail chronophage au parquet ?

Je pense que je l'avais en moi depuis longtemps ! Mes précédents ouvrages étaient des essais et j'avais profité de mes congés maternité pour les écrire. Le premier s’appelait « Chansons douces que nous chantaient nos parents » et racontait les dessous de la mère Michel ! Comment on reçoit des chansons qui viennent d'ailleurs, qu'est-ce qu'elles peuvent véhiculer dans notre imaginaire et les malentendus que ça peut générer par rapport à des paroles qui sont parfois assez violentes pour des chansons d'enfance ! Mon deuxième essai sur les identités, paru chez Présence africaine, s'est intitulé « Anne Solitude de France, fin de règne ». Je joue sur l'anagramme entre règne et nègre ! Et là, c’est mon premier roman… Mais ça faisait longtemps que c'était là. J'ai eu la volonté de déposer les choses et de me dire : voilà c'est fait !

Propos recueillis par FXG

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