Les perspectives économiques fragiles de la zone Antilles-Guyane
Un bilan et des perspectives de conjoncture économique contrariées
Au sortir de la crise Covid et alors que la guerre est bien engagée entre la Russie et l’Ukraine, l’Institut d’émission d’Outre-mer (IEDOM) a présenté jeudi à Paris la conjoncture 2021 et les perspectives 2022 pour les territoires d’Outre-mer. Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l’IEDOM) parle d'une « reprise contrariée ».
Si en 2020 l'impact de la pandémie était moins fort en outre-mer que dans l'Hexagone (la perte de PIB est restée comprise entre moins 3 et moins 4 % en moyenne contre moins 8% dans l'Hexagone), en 2021, on s'est trouvé dans une situation inverse, avec un impact plus fort de la pandémie en outre-mer. L'indicateur de climat des affaires montre toutefois une bonne reprise au premier semestre 2021 après la chute très importante de 2020. La reprise s'est poursuivie au second semestre, mais à rythme moindre. « C'est pour ça que nous parlons de reprise contrariée, explique Mme Poussin-Delmas, à la fois par la recrudescence de la pandémie mais aussi en conséquence de la reprise mondiale sur les approvisionnements et sur les prix de l'énergie et des matières premières. » Par ailleurs, la Guadeloupe a enregistré un repli de son activité au 4e trimestre 2021 à cause du mouvement social de fin d'année.
Ce rebond global sur l'année 2021 s’est également vu dans les chiffres de l'emploi. Aux Antilles Guyane, L'emploi salarié privé a retrouvé son niveau d'avant crise dès le premier trimestre 2021, avec un recul marqué du chômage, notamment en Martinique où il a atteint un point bas historique à 10,8%. Par ailleurs, le plan « un jeune une solution » a permis entre 2019 et 2021 de multiplier par trois le flux de nouveaux contrats d'apprentissage en Guadeloupe, entre deux et trois en Martinique et deux en Guyane (soit le même niveau que pour la France entière).
Ce rebond a permis de compenser entre 50 et 75 % de la perte d'activité de 2020, mais pas dans tous les secteurs : ni la Martinique ni la Guadeloupe n’ont retrouvé leur niveau de passagers aériens de la fin 2019. Seule la moitié ou les deux tiers du trafic ont été retrouvés.
La progression des encours de crédit a retrouvé sa tendance d’avant la crise et avant l'entrée en vigueur des prêts garantis par l’Etat. Ces PGE ont bénéficié à 21 000 entreprises pour un montant de 3,7 milliards, soit 2,6% des encours globaux de PGE (pour des outre-mer qui représentent 2,4% du PIB national).
L'épargne des ménages qui s'est constituée de façon très significative durant les confinements de l'année 2020 a continué de progresser. Elle s’est concentrée sur les dépôts à vue, ce qui fait de cette épargne liquide un réservoir de consommation pour 2022 ou les années suivantes.
La consommation des ménages, appréhendée au travers des paiements par carte bancaire, a repris à partir de mai 2020, en sortie du premier confinement, puis au moment du relèvement du plafond du paiement sans contact à 50€. A partir de mars 2021, l'outre-mer a rattrapé progressivement son retard en matière d'usage de la carte bancaire avec un taux de progression assez similaire à ce que l'on constate dans l'Hexagone.
Les perspectives pour l'année 2022
Tous les indicateurs de climat des affaires poursuivent leur redressement, notamment en Guadeloupe après l'impact du mouvement social en fin d'année dernière. Les chefs d'entreprise des Antilles et de la Guyane tablent sur une augmentation de leur chiffre d'affaires de l'ordre de 3%. Il n'empêche que quelque 14% de ces chefs d'entreprise redoutent une défaillance au cours des douze prochains mois, tous secteurs d'activité confondus. Ils sont 26 % à le craindre dans les activités touristiques et 16 % dans le secteur de la construction.
Le tourisme est le secteur qui a été le plus impacté en 2020 par la crise Covid d'autant qu'il n'a pas connu de rebond en 2021. Le début de l'année 2022 a pourtant été encourageant avec un frémissement aux Antilles dû à la levée des restrictions sanitaires. Les opérateurs du secteur ont même signalé un excellent week-end pascal. Le plan « destination France » devrait connaître ses premières déclinaisons dès cette année, mais on sait déjà que la croisière ne redémarrera pas avant fin 2022 et la conséquence de l'augmentation des prix des carburants se fait d'ores et déjà ressentir sur le prix des billets d'avion. L’IEDOM a mesuré une augmentation moyenne globale de 13% entre mars 21 et mars 22.
Le redémarrage de l’inflation
L'inflation a nettement rebondi à partir du 2e trimestre 2021 et à la fin de l'année, dans l'ensemble de la zone Antilles Guyane, elle était de 3 % contre 2,8 % pour l'Hexagone. Cette inflation est liée à l'énergie du fait des distances, des dépenses de transport qui pèsent plus lourd dans les dépenses de consommation des ménages outre-mer que dans l'Hexagone. « Pour relativiser, rappelle Marie Anne Poussin-Delmas, en 2020 l'inflation en outre-mer avait été contenue grâce à la baisse des prix de l'énergie. » En ce qui concerne le prix des matières premières, la progression est de 5 à 8 %. Le coût du transport a été multiplié par trois avec une stabilisation au début de l'année 2022.
Les prix de l'alimentaire ont marqué depuis le début de l'année une accélération comparable à celle qui se produit dans l'Hexagone, de l'ordre de 3 % à la fin du mois de mars.
72 % des chefs d'entreprise ont constaté des hausses de leurs coûts et l'immense majorité d'entre eux envisagent désormais de répercuter ces hausses sur leurs prix de vente.
Après le covid, les outre-mer sont sur un nouveau choc conjoncturel, une nouvelle mise à l'épreuve de leur résilience aux chocs externes. Quatre défis les attendent, estime la patronne de l’IEDOM : la poursuite de la réalisation des grands projets d'infrastructures qui sont inscrits dans les plans de relance nationaux ou territoriaux, parce qu'ils sont essentiels au développement des territoires, à leur attractivité, à leur verdissement ; l'adaptation des mesures de soutien public qui étaient exceptionnelles et qui risquent de devoir s'inscrire dans la durée ; la préservation de la cohésion sociale dans un contexte d’inquiétude croissante des ménages sur leur pouvoir d'achat ; et enfin la nécessité de développer le tissu entrepreneurial eu égard aux 1,2 millions de jeunes ultramarins qu'il faut former et auxquels il faut offrir des débouchés professionnels.
FXG
Les conséquences du conflit russo-ukrainien
Les impacts directs sont relativement limités puisque la Russie et l'Ukraine ne représentent que 0,1% des exportations ou des importations de l'outre-mer, sauf en ce qui concerne l'activité spatiale pour la Guyane depuis le retrait de l'agence russe. Les impacts indirects sont de plus en plus significatifs : il s'agit des risques qui portent sur l'énergie et les matières premières avec des conséquences sur le transport aérien, sur le fret maritime, et sur le secteur de la construction qui avait commencé à reprendre des couleurs en 2021. Il s'agit également de risques sur le plan alimentaire, compte tenu de la prépondérance de la Russie et de l'Ukraine dans les exportations mondiales, en particulier sur les céréales et les huiles. On attend donc des conséquences sur les consommateurs ultramarins, mais également sur le prix des intrants pour l'agriculture, l'élevage et les industries agroalimentaires ultra-marines. Ces préoccupations ont été exprimées par les chefs d'entreprise : 30% d’entre eux, dans la zone Antilles Guyane, ressentent un impact fort du conflit en cours, spécifiquement dans l'agriculture, l'industrie et la construction.
Les enseignements de la pandémie
L'examen des bilans des entreprises pendant l'année 2020 révèle que 7 % des entreprises sont devenues vulnérables, un ratio comparable à celui de l'Hexagone. Elles appartiennent au secteur agricole et au secteur touristique. « Cela veut dire, explique Stéphane Foucault le directeur de l’IEDOM, que les entreprises ultramarines dans la zone euro ont été globalement résilientes à l'issue d'une année de pandémie. »
L’année 2020 a été marquée par une croissance quasi générale du nombre de créations d'entreprises, notamment en Guyane. Ces créations se sont concentrées dans les services, traduisant une évolution des modes de consommation similaire à celle de l'Hexagone. Les services à la personne ont été boostés par le Covid, notamment les livraisons et les services à domicile.
Les importations de produits agricoles ont gardé la même courbe tendancielle (4 % depuis 2009) traduisant l'absence de changement comportemental. L'autonomie alimentaire a été mesurée par le taux de couverture des besoins locaux par la production agricole locale :
Ces taux sont de 55 % en Guadeloupe pour les légumes, 44 % pour les fruits, 89 % pour les œufs, 25 % pour le bétail, 8 % pour la volaille et 0 % pour le lait.
Ces taux sont de 39 % en Martinique pour les légumes, 31 % pour les fruits, 81 % pour les œufs, 15 % pour le bétail, 10 % pour les volailles et 0 % pour le lait.
Ces taux sont de 90 % en Guyane pour les légumes, 94 % pour les fruits, 98 % pour les œufs, 12 % pour le bétail, 1 % pour les volailles et 0 % pour le lait.