Serge Romana et le mémorial national des victimes de l'esclavage colonial
Professeur Serge Romana, président de la fondation Esclavage et réconciliation
« 200 000 noms d'esclaves affranchis symbolisent la présence de cette histoire française au centre de Paris »
Que savez-vous aujourd’hui des intentions du président de la République concernant le mémorial national des victimes de l’esclavage ? Quels sont les progrès par rapport au blocage qui existait ?
Ce blocage était en fait entre le comité d'orientation, qui avait unanimement voté pour le projet dont l'aspect central était les noms, et la structure pilotée par le ministère de la culture pour lequel l'aspect principal était d’être une œuvre d'art, une allégorie…
Contrairement à ce qu’a affirmé le chef de l’Etat le 17 mars dernier, le problème ne venait pas des associations, mais du ministère de la Culture ?
Absolument ! Ce n’est pas entre les concepteurs qu’il y a eu un problème. Cette revendication a été soutenue par la société civile à l’occasion de l’anniversaire des vingt ans de la marche du 23 mai 1998, dans un appel signé par 120 organisations dont les grandes centrales syndicales, les quatre principales associations antiracistes et des personnalités allant de Christiane Taubira à Bernard Hayot…
D’où est venu le problème avec le ministère de la Culture ?
Le jardin des Tuileries ne correspondait pas à leur ligne éditoriale. Ils nous ont grugé puisque, au départ, il nous avait été proposé un petit carré plus toutes les allées. Et on nous a supprimé les allées. On ne sait pas qui a décidé, ni comment, mais nous n'avions plus qu'un petit carré ! Mais avec ce qui avait été proposé au départ par le conservateur du Louvre, nous avions largement la place pour faire quelque chose de très bien avec les deux-cent mille noms !
Qu'est ce qui a changé depuis ?
Le ministère a un peu changé son fusil d'épaule à l'issue du séminaire du 3 février dernier. Ils se sont rendu compte que l'ensemble des entrepreneurs de mémoire qui avaient travaillé sur la question en Guyane, en Martinique, à la Réunion, à la Guadeloupe et à Paris avec le CM 98, étaient tous d'accord autour d'un mémorial des noms. Le reste ne les intéressait pas ! C'est ce qu’a enfin entendu la ministre de la Culture. Il n'y avait pas d'autre choix que de mettre en avant, puisque ça correspondait à une politique mémorielle particulière, les deux-cent mille noms attribués aux nouveaux libres après l'abolition de 1848. L’objectif étant de faire en sorte qu'une mémoire officielle puisse permettre de construire une mémoire familiale de l'esclavage qui n'existe pas encore aujourd'hui. La mémoire collective qui existe n'est pas assise sur cette mémoire familiale, elle est basée sur des éléments tout à fait épars de propagande autour de l'histoire de l'esclavage. Comme ces éléments ont été donnés dans les années 1970 par le mouvement nationaliste, la mémoire de l'esclavage n'est qu'un outil de revendication et non pas un outil qui permet de réunir un groupe humain sur la base de ses premiers temps. C'est ça la catastrophe ! Tout le monde était d'accord avec ça lors de ce séminaire. Le président Macron en a pris acte et il l'a fait savoir au comité d'orientation et aux associations : le mémorial sera basé autour des noms retrouvés.
Et aujourd’hui, où en est-on ?
Nous n'avons plus de problème de concept ! Mais depuis nous sommes entrés en période électorale…
Mais que va-t-il se passer ? Y’aura-t-il un nouveau concours ?
Il y a eu un vote anti-Macron aux Antilles et en Guyane pour de multiples raisons et je pense qu'il est important qu'un président de la République commence à l’entendre. La revendication d'un mémorial national est ancienne, populaire, basée non pas sur du ressentiment mais au contraire ! Elle permet de combattre la mémoire triste, la mémoire d'un ressentiment qui ne va nulle part. Il est temps d'entendre le cœur, l'âme des originaires d'outre-mer sur cette question en particulier. Et cette âme, on ne l'entend pas le 10 mai avec un discours au jardin du Luxembourg. Il est temps que la République reconnaisse sa propre loi puisqu'il existe une date nationale pour honorer la mémoire des victimes de l'esclavage. Ce n'est pas une date administrative, elle est le fruit d'un long combat ! Tout le monde, et je pense à des artistes comme Jacob Desvarieux, s’y est beaucoup investi sauf le gouvernement français ! Il y a un problème ! On ne peut pas continuer comme ça. Ce qui s'est passé en outre-mer à aux dernières élections doit faire réfléchir.
Ce n’est pas en un mois que pourra surgir ce mémorial national !
Bien sûr, mais le minimum qu'on devrait entendre, ce sont des engagements très clairs en termes de temps, en termes de chiffres, en termes de projet. J’attends que ces engagements soient pris le jour où la mémoire des victimes de l'esclavage est célébrée par le peuple, par la communauté antillo-guyanaise et réunionnaise.
Pour autant, même si le président est d'accord, il n'est pas évident d'installer un tel projet avec 200 000 noms !
Ces deux-cent mille noms d'esclaves affranchis symbolisent la présence de cette histoire française au centre de Paris… C'est une déflagration ! Ce n'est pas un musée fermé, mais c'est l'exposition par leur nom dans l'espace public de personnes qui étaient des esclaves de la France. Il faudra ce qu'il faudra mais je ne connais pas de meilleure façon d’honorer la mémoire de personnes dont le destin était d'être oubliées que de mettre leur nom. Je ne vois pas comment on peut honorer des personnes autrement ! C'est aussi la présence de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion à Paris puisque ces pays sont présents par leur histoire ! Ce ne doit pas être simplement une liste alphabétique de noms, il faut que ces noms soient rangés par pays et par commune ! il faut qu'un visiteur, lorsqu'il vient à Paris, puisse voir la commune du François, celle de Saint Denis, de Cayenne ou de la ville du Moule avec les noms de leurs gens. Ce mémoriel doit être l'incarnation de ces pays, de leur histoire au cœur de la République française.
Où serez-vous les 10 et 23 mai ?
Le 10, je serai à mon travail. Le 23, je ne sais pas encore où j’irai commémorer. Mais je ne participerai pas au 10 mai tant que les choses ne sont pas claires.
Propos recueillis par FXG