Place du paradis, de Xavier-Marie Bonnot, éditions Récamier
« Place du paradis », la sincérité mise à nu
J’ai filmé l’auteur du roman « Place du paradis » (Récamier 2024), Xavier-Marie Bonnot, jetant du caoutchouc dans une usine de ciment à l’Estaque. C’était au siècle dernier. Il venait de finir ses études et s’était retrouvé stagiaire à M6, rédaction de Marseille. Il était dans l’objectif de ma caméra, à exécuter mes consignes avec de vieux pneus usagés, parce que mes deux collègues mâles n’acceptaient que des filles comme stagiaires. D’ailleurs, sauf exception, ils faisaient d’elles un me too... Bonnot sortait d’une fac d’histoire, tout comme moi. C’est pour ça qu’on s’est bien entendu dès le début. Il me parlait des images de l’Algérie française dont il avait fait le sujet de sa thèse et des casques en liège de l’usine de la Capelette, derrière chez lui, moi des médecins de l’Empire, mes aïeux. Ça nous espantait à l’époque, ce temps colonial si incongru. Dans les locaux de M6, la nuit, nous montions son film tourné chez les retraités de la légion étrangères à Puyloubier. Un Juif polonais disait devant son binôme allemand combien « ça parlait casque à boulon » dans ce corps d’armée après la Deuxième guerre mondiale… Le lendemain, on allait à la plage sans avoir dormi. On est monté ensemble à Paris, dans son AX. Il l’avait déjà emmenée jusqu’au Danemark sa petite Citroën, pour une fille, la fille d’un professeur de l’université d’Aix avec lequel il ne finira pas sa thèse (le père, pas la fille)… Il montait à la capitale pour faire des documentaires. Moi j’en avais rêvé mais le journalisme de petite télévision locale m’en avait éloigné et j'y montais pour les beaux yeux d’une fille, me disant que Paris serait plus accessible avec une carte de presse dans la poche. Que je croyais ! Bonnot s’est montré fidèle malgré ses propres difficultés. Il en voulait ; il dormait rue de l’Ourq, dans l’arrière-salle aveugle d’une boite de production tout entière sans fenêtre, une mezzanine sous des monceaux de cassettes-vidéo dominant un banc de montage U-Matic ! Un jour de novembre, il m’a convoqué pour être son cadreur à l’île d’Yeu : les nostalgiques de Vichy, Hubert Massol en tête, se réunissaient sur la tombe de Pétain. « Et le képi du maréchal ? Il est en sécurité », clamait le docteur Deperrier qui gardait précieusement la relique à Nantes. Nous, on espérait choper l’image du préfet de Loire-Atlantique déposant sa gerbe au nom du président Mitterrand. Je ne sais pas ce qui a merdé, mais on était dans le bateau retour quand on a vu l’hélicoptère de la République approcher l’île d’Yeu avec les fleurs du président… Un coup d’épée dans l’eau ! Pour cette affaire, on avait tout de même suivi les fils et filles de déportés juifs de France sur la tombe des anciens combattant juifs de 14-18, jusqu’à Douaumont, tout près de l’ossuaire où Hubert Massol avait voulu ramener le corps de Pétain en 1973, après l’avoir déterré à Yeu…
Nefertari dream
XMB a ensuite écrit des livres, d’abord des « commandant de Palma », des polars marseillais avec la clique de l’Écailler du Sud. J’avais kiffé « La voix du loup » (2006). Plus tard, il écrira un roman annonciateur de « Place du paradis », un livre en Égypte, « Nefertari dream », hélas passé un peu inaperçu lors de sa sortie en 2020 pour cause de covid. J’en parle d’autant plus aisément que j’étais avec lui en 1995 à Gurnah, là où se déroule l’action de cet ouvrage avec, entre autres, le petit enfant prénommé Aouis, qui fumait à sept ans déjà des Cléopatra… Il réalisait alors son film documentaire « Le miroir de Thèbes », j’en signais l’image. Nous sommes rentrés chacun à Paris avec un chèche, le même que celui d’Arafat, rouge et blanc, avant que nos routes se séparent. Je lui ai présenté sa future épouse et j’ai pris un cargo pour les Caraïbes, avec mon chèche ! Il a enchaîné avec succès les « commandant de Palma » avec de nouveaux éditeurs (Belfond, Acte Sud) pendant que je buvais des ti punch et usait ma plume dans le journal des îles à la chronique des faits divers. C’est dur d’en sortir, des iguanes écrasés comme de la littérature noire. Nous y sommes parvenus. Moi en rentrant des Antilles pour intégrer la poignée de journalistes politiques de l’Outre-mer à Paris, lui en pénétrant enfin la blanche, le roman vrai, le noble. On est retourné ensemble aux Antilles cosigner un film sur le massacre de mai 1967 en Guadeloupe. Dans la foulée, on a cosigné un livre sur le même sujet, « Le sang des nègres ». Succès d’estime suivie d’une faillite d’éditeur. Cinq ans de silence jusqu’à ce qu’on se croise au bord d’un lac, dans le Midi, juste à la fin de l’été, après le confinement. Il avait gagné du galon, connu de nouveaux prestigieux éditeurs dont le dernier avait, à mon goût, massacré plutôt que corrigé son dernier roman. Non seulement il avait laissé passer des fautes, mais lui avait permis de bâcler sa fin, lui faisant manquer d’un iota le prix FNAC et le prix des Musiciens !
Son meilleur livre
Je suis retourné cet hiver aux Antilles avec un « Place du paradis » dédicacé de sa main. Je l’ai ouvert sur la plage de Saint-Félix, là où l’on vend les meilleurs boudins pimentés de Guadeloupe. On était quinze jours après le massacre orchestré par Daesh à Moscou et je me suis dit qu’il était bon d’être où j’étais pour lire l’histoire de Pierre le photographe de guerre et de Marie, la pauvre fille de Lunel convertie à l’islamisme. J’avais beau savoir que mon ami n’avait jamais foutu les pieds à Raqqa, j’ai tout gobé. Après la violence des tranchées dans « Le tombeau d’Apollinaire » (2019), récompensé du prix des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, XMB me transportait dans l’enfer de l’Etat islamique. L’auteur, qui doit beaucoup à Marseille, aime tellement le terme « bousiller » qu’il a eu tendance à en abuser. Cette fois, il le sublime dans cette prison de Nîmes lorsqu’il écrit : « Marie distingue quelques détenues, brunes, blondes, fausses ou vraies, édentées, grosses, moches, tatouées avec de la bousille partout. » Apollinaire aurait aimé ! Non seulement les mots ne lui pètent plus sous les doigts comme le redoute Pierre, son héros photographe, mais XMB semble avoir trouvé en lui la sincérité qui fait les bons écrivains. Nul doute, c’est son meilleur livre. Avis partagé par un ami saint-cyrien, grand lecteur devant l’Éternel puisqu’il a lu toute l’œuvre de Bonnot !
FXG
Place du paradis, Récamier 2024, 20,90 euros (prix Hexagone)