Alain Foix publie une biographie de Jesse Owens
« Aux JO, la question raciale est directement posée »
Figure emblématique des Jeux olympiques (JO) de Berlin, en 1936, et symbole de la lutte anti-raciste dans le sport, l'athlète américain Jesse Owens fait l'objet d'une nouvelle biographie, sortie le 16 mai dernier dans la collection Folio biographies.
Peut-on dire que Jesse Owens a « combattu le nazisme » comme l'affirme Barack Obama que vous citez dans votre livre ?
« Oui, évidemment. Il l'a combattu à sa manière, en acceptant pas de boycotter les Jeux mais en y allant. En réalité, lorsqu'il est arrivé sur le stade, et à Berlin, ce n'est pas au nazisme qu'il a eu affaire. Tout avait été « nettoyé » pour effacer les traces des persécutions envers les Juifs, les communistes, les Tziganes, pour donner une image atténuée de l'Allemagne. Lorsqu'il est arrivé sur le stade le jour de l'inauguration, il a été étonné parce qu'il s'attendait à quelque chose d'agressif à son égard et c'est une ovation des 100 000 spectateurs qui l'a accueilli. Entre l'idéologie nazie d'Adolf Hitler et l'accueil que Jesse Owens, il y avait un gap énorme. »
Dans votre livre, vous décrivez une histoire du sport avec des épisodes très durs envers les Noirs : peut-on affirmer que les Jeux Olympiques sont racistes ?
« Les Jeux Olympiques ne sont pas racistes du point de vue de l'esprit de leur fondateur moderne, Coubertin. Il faut simplement se rappeler qu'au départ de la création de ces JO, qui étaient pensés comme des JO d'amateurs éclairés, seuls ceux qui n'avaient pas besoin de travailler pourvaient participer : les nobles et les grand bourgeois uniquement pouvaient s'adonner au sport. Au départ, le sport était une pratique de privilégiées, des Jeux d'une élite qui n'étaient pas du tout en direction du peuple comme on le connaît aujourd'hui. Cela n'avait rien à voir. Il s'agissait de reprendre l'esprit grec, qui développait cet art. Il faut se rappeler qu'au départ les JO intégraient une dimension sportive et également une dimension artistique et culturelle. »
Vous décriviez aux JO de Saint-Louis, aux USA en 1904 une manifestation extrêmement raciste et ségréguée. Davantage que l'Allemagne nazie ?
« Il n'y a pas la question de plus ou moins raciste : il y a un racisme qui était en œuvre depuis très longtemps aux USA, lié à la question de l'esclavage. Il fallait prouver que les frères mis en esclavage étaient inférieurs. Le mot race n'était attribué autrefois qu'aux animaux. Ou bien pour parler des nobles et des ignobles, les non-nobles. Ce n'était pas une notion génétique mais sociale qui est devenue ethnique et raciale lorsque les théoriciens racistes ont développé la notion de race humaine pour prouver qu'il y avait une hiérarchie des races commençant par les blancs caucasiens et tout en bas de l'échelle, le chainon manquant entre l'homme et le singe, l'homme noir. »
Les JO de Paris 2024 vont commencer dans quelques semaines. Faites-vous un lien entre la lutte de Jesse Owens et l'actualité ?
« Il y a un lien évident : il suffit de regarder les affiches par exemple de la grande exposition sur l'olympisme qui se déroule à la Porte Dorée et sur cette affiche il y a Jesse Owens. Ce qui veut dire que Jesse Owens reste encore aujourd'hui le grand emblème des Jeux O, aucun n'a pu le surpasser à ce niveau-là. Parce qu'en réalité, la figure de Jesse Owens n'est pas seulement la figure d'un athlète extraordinaire, c'est la figure d'un sportif qui met en relief la problématique centrale des JO et le tournant politique des JO à partir de 1936, où la question raciale est directement posée. J'aimerais rajouter que je replace Jesse Owens dans l'histoire du monde en train de se faire, avec sa complexité et ce personnage a aussi sa complexité, dans ce monde-là. »
Dans votre livre pourquoi écrivez-vous Noir avec un petit n bien que vous utilisiez le mot « nègre » ?
« Le mot noir je l'écris avec un petit n parce que l'écrire avec un grand N subtantialise et essentialise les personnes, la question de la couleur de peau, qui n'est en fait qu'un élément secondaire de la personne. On ne met pas de majuscule à roux, blond ou brun. On met des majuscules lorsqu'il s'agit de nationalités, mais noir ou blanc ce n'est pas une nationalité. Je me refuse, dans tous mes écrits, depuis un certain temps, de mettre noir ou blanc avec une majuscule. Par contre, le mot nègre, je l'utilise dans son contexte historique. Contrairement aux « wokistes », je continue à l'utiliser parce que je considère que cette histoire a existé et qu'elle doit être connue. Les dix petits nègres doivent continuer à exister. On ne peut pas réécrire l'histoire à partir des considérations du présent. »
Propos recueillis par FA Paris
Jesse Owens par Alain Foix, Folio biographies, 9,90 euros