10 mai au Luxembourg
10 mai : Hollande dit non aux réparations
A l’occasion de la 8e journee nationale du 10 mai, le président de la République s’est exprimé au jardin du Luxembourg et a refusé le principe de réparations financières pour les crimes de la traite et de l’esclavage.
« L’impossible réparation », c’est avec ces mots que le president de la République a répondu, hier matin, à l’occasion de la célébration de la journee nationale de la commémoration de l’esclavage, de la traite et de leurs abolitions, à la revendication portee par le Mouvement international pour les réparations (MIR), le CRAN ou Sortir du colonialisme. Ces associations réclament depuis des années des réparations financières. Symboliquement, elles ont lancé, hier à midi trente, une action en justice contre la Caisse des dépôts et consignations, accusée d’avoir profité du crime de l’esclavage… Pour argumenter cette « impossibilité », François Hollande a puisé chez Césaire : « Il y aurait une note à payer et ensuite ce serait fini, écrivait-il… Non, ce ne sera jamais réglé. » Aux réparations qui prétendraient solder l’histoire, le president préfère le choix de la mémoire : « C’est la vigilance, et c’est la transmission ».
Avant de mécontenter les adeptes des réparations, le president a rendu un hommage appuyé à Christiane Taubira. La foule a scandé des vivats. Seul le député Hervé Mariton, au premier rang dans la foule, est resté impassible…
« Nous sommes le 10 mai », avait introduit le président pour préciser aussitôt les autres dates de commémoration dans les 4 DOM et la date du 23 mai, « journée dédiée aux victimes de l’esclavage ». Et rendant hommage à Serge Romana, président de l’association Comité marche 98, principal inspirateur de cette autre journée mémorielle, François Hollande a annoncé que son ministre des Outre-mer inaugurerait deux monuments à Sarcelles et Saint-Denis en région parisienne. Le discours présidentiel s’est ensuite focalisé sur les artisans de la mémoire que valorise l’exposition préparée au Luxembourg par Luc Saint-Eloy.
Artisans de la mémoire
François Hollande a évoqué des lieux de memoire comme le mémorial martiniquais du cap 110 au Diamant, le boulevard des Héros aux Abymes et le Memorial ACTe en Guadeloupe (pour lequel il a annoncé une participation financière de l’Etat), le cimetière d’esclaves de Saint-Louis à la Réunion, mais encore dans l’Hexagone, les sites de Champagney (Haute-Saône), Chamblanc (Cote d’Or) et encore le Mémorial de Nantes… François Hollande a pris soin, aux cotés d’« humanistes blancs » (Schoelcher et l’abbé Grégoire), de citer les « esclaves résistants » : « Ensembles, ils ont permis que la République puisse se confondre avec l’abolition. » Mais l’abolition ne signifie pas la fin du racisme, « ce poison contre l’égalité qui doit être combattu sans répit, sans faiblesse et sans silence ».
Enfin, le président a parlé d’une dette, celle souscrite à l’égard de l’Afrique, que ce soit par la traite ou par la colonisation avec le sacrifice des tirailleurs africains à l’occasion des deux dernières guerres mondiales. « C’est au nom de cette solidarité que la France est intervenue au Mali... »
Pour la France, « consciente de son histoire », « fière de sa diversité », François Hollande en a appelé à « la paix des mémoires réconciliées pour relever les défis de son temps ».
FXG, à Paris
Le nouveau CNPMHE
Hier matin, le Premier ministre a signé le décret de nomination des 15 nouveaux membres du Comite national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNPMHE). C’est à ce titre que l’historienne d’ascendance martiniquaise, Myriam Cottias, nouvelle présidente du Comité, se tenait, lors de la cérémonie, derrière le président de la République, à côté des ministres Aurèlie Filipetti, George Pau-Langevin, Victorin Lurel, Christiane Taubira, les présidents des deux assemblées, MM. Bel et Bartolone, et le sénateur de Martinique Serge Larcher. Francoise Vergès, la présidente sortante était présente, mais également de probables reconduits, François Durpaire, Frédéric Régent, Philippe Pichot, ou nommes (Benjamin Stora ?)... La liste des nouveaux membres du Comité sera publiée ce 11 mai au Journal officiel. Claude Ribbe, encore confirmé comme nouveau membre le matin même par l’Elysée, a appris du ministre Lurel qu’au dernier moment, Matignon avait rayé son nom… En 2009, son nom avait déjà été écarté. Non par Francoise Vergès, signale un connaisseur du dossier, mais par Patrick Karam. Cette fois, ce serait le même Karam qui aurait poussé le ministre Lurel à lui donner une place…
La visite présidentielle
Accueilli à la grille du jardin de Luxembourg par le président du Sénat, François Hollande s’est rendu devant la sculpture de Fabrice Hyber, Le cri, l’ecrit, inaugurée par Jacques Chirac lors de la première célébration du 10 mai en 2006. Puis, accompagné de deux enfants, il s’est incliné devant la stèle à la memoire des esclaves inaugurée en 2011 par Nicolas Sarkozy. Luc Saint-Eloy lui a ensuite présenté les quatre premiers panneaux-tonneaux de l’exposition, « Les échos de la mémoire », dédiés à Aimé Césaire. L’exposition en comporte une trentaine et évoque les grands lieux de mémoire de l’esclavage, la traite et leurs abolitions (elle restera visible jusqu’au 20 mai). Le président a ensuite rejoint le kiosque à musique où il a prononcé son discours avant de prendre un bain de foule, parvenant presque à égaler la popularité de Christiane Taubira !
La suppression du mot « race » dans la Constitution
Alors que les communistes s’apprêtent à défendre une proposition de loi au Sénat visant à supprimer le mot « race » du code pénal, l’Elysée a fait savoir que l’on se concentrait sur les réformes institutionnelles en raison de la difficulté pour convaincre une majorité des 3/5. Il ne sera donc pas question immédiatement de laïcité ou du mot « race » dans la Constitution. Mais, précise le château, c’est un engagement auquel tient le president : « On n’y a pas renoncé dans le quinquennat, mais c’est la première année… » L’exécutif devrait donc soutenir sur le principe l’initiative des communistes, mais prendra garde à la rédaction du texte pour ne pas créer de vide juridique dans le code pénal, notamment pour les articles liés a la discrimination en fonction de la race. « La suppression de ce mot ne doit pas aboutir à la suppression de l’incrimination. »
Reactions
Christiane Taubira
« C’était un discours magnifique, plein de force et de clarté. Le passé comme force pour se projeter dans l’avenir, c’était ca la colonne vertébrale du discours du président. »
Serge Larcher
« Le president a reconnu la responsabilité de la France dans cette tragédie, mais nous aimerions qu’il nous dise que la République garantisse l’égalité des chances a tous les citoyens, notamment a ceux d’Outre-mer… Nos candidats qui présentent des concours administratifs sont obligés de les passer a des heures impossibles. Nous ne sommes pas traités avec égalité, il y a donc encore du travail… Ceci dit, ce discours était important, mais il était en droite ligne des autres discours prononcés par les autres présidents de la République, je dois le reconnaître aussi. »
Victorin Lurel
« Un discours, parfait, complet, émouvant et j’allais presque dire exhaustif. Il a dressé un bilan de la loi Taubira, un panorama général de l’acte ignominieux du crime de l’esclavage, de ce qui se fait ici et dans les Outre-mer. Il a même décidé d’accompagner le projet considérable que la Guadeloupe conduit. Et puis, bien entendu, il s’est exprimé sur la question actuelle des réparations. La seule manière de le faire, c’est précisément ce qu’il a exposé ; la transmission, la perpétuation de la memoire, des centres de recueillement, de travail, de recherche, des projets muséographiques qu’il faut faire partout. Ça me paraît etre la bonne réponse. Evoquer ce que Césaire a pu faire ou dire est une bonne réactualisation. »
George Pau-Langevin
« Un discours qui montre bien que Hollande est toujours tres proche de l’Outre-mer et l’idée d’annoncer que le Memorial ACTe en Guadeloupe allait devenir un projet national est vraiment pour moi quelque chose d’extrêmement important. »
Francoise Verges, ex-présidente du CPMHE
« C’est un processus long qui se fait pour que toute la société française prenne conscience de l’importance de l’esclavage colonial dans la vie d’aujourd’hui. Il y a encore des choses à faire dans l’enseignement, encore dans la culture, et encore dans la recherche. Pour les réparations, j’ai toujours pense qu’elles passaient par des politiques publiques comme la loi Taubira qui a créé le Comité ou le plus grand mémorial au monde, celui de Nantes. Il y a encore des choses à faire, des politiques sociales pour les sociétés issues de l’esclavage, mais aussi pour la société française tout entière. »
Theo Lubin, militant du MIR et du Comité d’organisation du 10 mai
« Depuis 2006, nous organisons chaque 10 mai une marche et cette année encore avec Agir ensemble pour les réparations et les collectifs syndicaux de la CGT et Sud. Mais là, j’ai recu une invitation et c’est peut-être la seule occasion de ma vie de voir en direct comment se déroule les evenements de commémoration au jardin du Luxembourg que nous avons, chaque année, critiqués. On sait que c’est beaucoup d’argent dépensé.
Josette Borel-Lincertin, présidente de la Région Guadeloupe
« Honorer la mémoire de nos ancêtres, le 27 mai en Guadeloupe, c’est quelque chose, mais il était important pour moi de faire le voyage et de dire que la Guadeloupe aussi, à travers ma présence, se souvient. Nous sommes arrières petites-filles et arrières petits-fils d’anciens esclaves, mais fiers de ce que nous sommes. La République nous reconnaît ainsi et c’est la meilleure façon de se réconcilier. Il est donc important que le président de la République honore avec nous la mémoire de ces pionniers qui ont fait les Antillais. Nous sommes un mélange des esclaves et des esclavagistes. Je suis contre les réparations… Pour réparer quoi ? Ce que nous faisons chaque 10 ou 27 mai, c’est déjà de la réparation. Peut-être demain, la Guadeloupe évoluera, mais cette réconciliation, nous nous devions de la faire. »
Astrid Siwsanker, productrice de l’exposition Les échos de la memoire
« La mémoire doit etre accessible, partagée et comprise. L’exposition a donc une dimension éducative, ludique. Le jardin du Luxembourg est un lieu de promenades en famille où toutes les populations passent et c’est une bonne occasion de faire mieux connaître l’histoire. Mais notre point de vue va vers la modernité, les QR codes, notre site Internet (www.lesechosdelamemoire.com) qui permettent d’avoir accès aux modules sonores. Ces échos vont, je l’espère, aller longtemps dans les mémoires et les esprits. »
Sylviane Cédia, artiste guyanaise
« La commémoration, c’est la mémoire et l’histoire d’un peuple. C’est du sérieux ! Il y a le travail des chercheurs, les gens qui veulent s’informer et qui doivent savoir que si, aujourd’hui, on en arrive à la reconnaissance, c’est qu’il y a eu des faits tragiques et qu’il est important de respecter toutes les communautés. »