L'outre-mer au festival de Cannes
L’outre-mer dévoile sa nouvelle vague de cinéastes à Cannes
Entre salon de l’auto et silicone Croisette, on hésite tant le festival de Cannes offre à voir un curieux mélange. Entre le public et sa part d’excentricité (quoique réputé beaucoup moins nombreux cette année), les journalistes accrédités (4 000), les professionnels de la profession bien badgés et les stars inaccessibles, le festival a su être aussi, mardi soir, la vitrine d’un nouveau cinéma d’outre-mer. Bien plus humblement qu’au bunker (le palais des festivals avec ses marches et son tapis rouge), la salle de projection du Miramar (superbe hôtel de la Croisette, en travaux) était l’hôte du 5e prix Hohoa du scénario de court-métrage de l’outre-mer. A défaut de se targuer d’avoir Stephen Frears comme président de jury, Osange Silou (directrice d’Invariance noire) et Marie-Josée Alie (directrice des affaires culturelles de RFO) avait trouver en la personne d’Alex Descas, un de nos meilleurs représentants ultramarins dans le cinéma, le grand cinéma. Celui qui a tourné avec Jim Jarmush (Coffee and cigarettes), Olivier Assayas (Boarding gate), ou encore Raoul Peck (Lumumba), a remis le trophée du meilleur scénario à la Martiniquaise Nadia Charlery pour Ti coq. « La prochaine fois que je viendrais à Cannes, ce sera pour présenter un film ! », a déclaré la lauréate sur la scène. Le directeur général de RFO, François Guilbeau a ajouté : « Nous serons très fiers de le montrer. » Et alors que Nadia Charlery évoquait avec émotion ses parents, en Martinique, Osange Silou est venu lire un extrait de Patrick Chamoiseau, Ecrire en pays dominé… Son hommage à la Martinique en ce 22 mai, à Cannes.
« Ce cinéma existe »
Le second prix a été attribué à un jeune polynésien de 25 ans, Heiremu Pinson pour Mother and son. Deux mentions spéciales sont venus honorer deux autres révélations antillaises : Michaël Gammalame, un Guadeloupéen passé par la FEMIS, pour Heures d’ici et de là-bas, et Gary Pierre-Victor pour Négropolitain. Ce dernier, pas sa verve et son énergie, a fait oublier l’absence du premier, retenu en Guadeloupe. « Il est important que ce cinéma existe, a déclaré Gary Pierre-Victor. On est en train de construire une nouvelle France, une France avec tout le monde. Et on est en train d’y parvenir ! » Osange Silou a indiqué que ce scénario avait posé au jury « beaucoup de problèmes » avant de conclure : « Il est parfait, je suis très fière de lui. »
Présentée par Luc Saint-Eloi, la soirée s’est poursuivie avec la projection de deux courts-métrages issus des scénarios récompensés par les prix Hohoa 2003 et 2005. Le premier (Il était une fois… Sasha et Désiré) a été réalisé par Cécile Vernant. Il raconte élégamment l’histoire d’amour entre sa grand-mère russe et son grand-père martiniquais. Le second film (24 heures de la vie d’un mort) narre le parcours atypique d’un noyé découvert et trimballé par un Kanak et un Caldoche pleins d’espièglerie, et un Wallysien facétieux.
Et puis, Cannes étant Cannes, producteurs, organisateurs, réalisateurs, acteurs, journalistes et invités se sont retrouvés sur la plage du Goéland pour une soirée privée. Le grand cinoche, quoi !
(Photos : Régis Durand de Girard)
Trois questions à Alex Descas, président du jury
" Des images pas folkloriques sur un support moderne"
Il y avait 11 scénarios en compétition, la sélection a été facile ?
Ce qui compte, c’est de créer une dynamique pour créer un cinéma qui n’existe pas assez, et sans visibilité. Et puis ce sont des jeunes ! J’ai envie de voir tous ces petits jeunes montrer leur vision, leur regard. Ils ont de l’efficacité dans la narration et quand ils passeront au long métrage, ils se seront fait la main.
Ne peut-on pas regretter que l’un des deux films réalisés à la suite du concours l’ait été en vidéo et pas sur pellicule ?
On sort à peine d’un silence assourdissant ! Ces jeunes ont des choses à partager et peuvent tout à fait nous éclairer sur un autre versant des choses. L’identité du cinéma du Sud est méconnue et l’apport de la vidéo a permis de faire des films. Là, nous avons des images qui ne sont pas folkloriques sur un support moderne. Je préfère ça !
De votre côté, vous en êtes-ou ?
Au mois d’août, je tourne Oh ! Boy,un téléfilm de David Cozzy avec qui j’ai déjà fait L’homme qui venait d’ailleurs. C’est l’histoire deux orphelins auxquels un juge s’attache. Je dois jouer le juge. En septembre, j’attaque un long métrage de cinéma avec Claire Denis, 36 Rhum, l’histoire d’un père et sa fille.
Nadia Charlery, auteur de Ti coq
Nadia vit et travaille à Fort-de-France. Native de la Guyane, il y a 33 ans, elle est diplômée de l’ESRA et s’emploie habituellement comme régisseur, assistante de réalisation ou directrice de casting. Elle a tourné avec ICV, K Prim ou Chronoprod. Le scénario de Ti coq était prêt depuis un moment. Elle voulait d’ailleurs le présenter pour le concours Hohoa 2006. « J’ai trouvé qu’il n’était pas abouti et je l’ai rangé dans un tiroir. Je l’ai ressorti, relu et j’ai bien fait ! » 20 minutes, deux personnages et un coq… Josué s’est mis en tête de transformer son coq en combattant redoutable. Malgré tous ses efforts et l’aide de sa mamie, il ne parviendra jamais à arriver au pitt… La lauréate travaille actuellement avec Osange Silou pour passer à la phase de la production. Echaudée par une précédente expérience, elle a bien l’intention de prendre en main les destinées de ce film. « J’ai déjà gagné, il y a quelques années, un concours de scénario contre la drogue. Quelqu’un d’autre l’a réalisé… Il n’y a rien de plus frustrant ! »
Gary Pierre-Victor, auteur de Négropolitain
Sa mère est des Grands-fonds, son père, plus près du Moule, et lui, Gary Pierre-Victor est né à Bondy. A 26 ans, Gary a un parcours cinématographique d’autodidacte. Ce qui enchante le président Alex Descas : « Ca maintient le désir ! » Gary a passé son adolescence à regarder des films. Tous les films, et particulièrement le cinéma américain des années 1970. A 13 ans, il passe un deal avec sa mère : elle fait un crédit en dix fois pour une JVC et lui n’ira pas traîner… Il ne traîne pas, il tourne et, à 14 ans, son film, La corde raide, est sélectionné au festival de Bondy. « Je savais que j’allais faire du cinéma mais on m’a mis en BEP maintenance vidéo ! » En 1999, il quitte l’école et rencontre Jordano Gederlini (Camping sauvage) qui le met en contact avec la société de production Quo Vadis avec qui il développe le scénario primé mardi soir à Cannes, Négropolitain, l’histoire de deux flics antillais en banlieue, première et deuxième génération. Une réflexion sur le racisme entre Noirs. « Le projet n’était pas mûr et les gars n’étais pas prêts… » Alors, il tourne son premier documentaire, Le centre, sur une équipe d’animation de quartier. « Je rencontre le directeur photo de la Haine et Samouraï, Pierre Haïm, et je lui montre. Il me présente alors Emmanuel Prioux, de la société Bonne Pioche… » Il a alors 22 ans. Il développe un nouveau projet, Le hall, un doc sur les jeunes dans les halls d’immeuble. Mais Pierre Haïm lui parle alors de 6 comédiens qui débutent avec Jean-Pierre Sinapi. « Je les rencontre, j’oublie Le hall et je tourne Les lascars. » Le film sort sur Canal +, Le hall sort en 2006 sur RFO. Le centre, Le hall et les Lascars sont sa trilogie sociale sur la France d’où il vient, « les années Chirac, pré-sarko ». Mais il ressort le scénario Négropolitain et le propose à Bonne Pioche qui, entretemps, a connu la gloire avec La marche du manchot empereur. Emmanuel Prioux dit : « Banco ». Après la récompense acquise à Cannes, Gary sait qu’il va pouvoir tourner sa première fiction. D’ores-et-déjà, Alex Descas s’est montré intéressé. Le premier coup de caméra est prévu pour juin et il pense déjà à la version longue, mais chez les CRS…
Cécile Vernant, slave et antillaise
Avoir Jean-Pierre Vernant, le résistant et historien, dans sa famille est déjà une chose rare, mais Cécile Vernant (qui était au collège à Fort-de-France avec Nadia Charlery) présente un autre atavisme, tout aussi remarquable : elle est d’origine du Carbet et elle est d’origine russe. Improbable métissage qu’elle a choisi de raconter dans Il était une fois… Sasha et Désiré. C’est le 3e film de Cécile Vernant après Mot compte double (2004) et Le dossier (2006). Le dossier a tellement bien marché qu’entre les prix et les droits d’auteur qu’il lui rapporte, elle en vit ! La jeune femme écrit depuis près de cinq ans, mais elle a une autre vie. Après son bac et sa maîtrise d’anglais, elle a suivi les cours Florent. On a pu la voir au théâtre jouer dans La noce chez les petits bourgeois créole de Philippe Adrien et au cinéma chez Klapish et Jaoui. Sasha et Désiré raconte comment à Noirmoutier, en 1934, une jeune fille russe en villégiature avec ses parents, rencontre Désiré dont le frère est un artiste qui se produit au bal Blomet. L’amour entre cette jeune russe émigrée et l’étudiant du Carbet va naître au son de Stellio et Delouche. Le film a été remarqué puisque Cécile Vernant a été invité à venir en parler sur France 2 à l’émission Des mots deminuit. Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin, elle a deux chantiers en cours, un moyen métrage et un court, et un autre en phase d’écriture, un long métrage.
Les lauréats Hohoa depuis 2003
Stéphane Baillet (Nouvelle Calédonie) pour 24 heures de la vie d’un mort (réalisé)
Olivier Baudot-Montézume (Martinique) pour Le nom du père
Jacques-Olivier Ensfelder (Martinique) pour Message mekanik
Yann Chayia (Martinique) pour M. Etienne (réalisé)
Dominique Duport (Guadeloupe) pour En ba feye (en cours de production)
Fann Glissant (Martinique) pour Histoires mêlées
Camille Tillier (Réunion) pour L’œil du cyclone
Cécile Vernant (Martinique) pour Il était une fois… Sasha et Désiré (réalisé)
Frédéric Kunh (Saint-Pierre et Miquelon) pour Egaré
Caroline Jules pour Tourments d’amour (en cours de production)
Imanou Petit pour Guyane (en cours de production)
Erika Dessart pour Les mots que chuchotent nos ombres
La phrase : « On reçoit des scénars et on en fait des films. » Marie-Josée Alie de RFO