11e Prix Fetkann
Edwy Plenel honoré par le 11e prix Fetkann
Les lauréats du 11e prix Fetkann, "Mémoire des pays du sud, mémoire de l'humanité" ont été révélés, jeudi matin au café de Flore à Paris.
Edwy Plenel, Eric Jennings, Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric mesnard, Marc-Alexandre Oho Bambe et Natacha Scheidhauer et Vincent Caut ont été récompensés.
Le prix "mémoire" a été décerné à Edwy Plenel pour son ouvrage, "Pour les Musulmans" (La découverte). C'est Sophie Elizéon, déléguée interministérielle, qui lui a remis. "La dernière fois que j'ai reçu un prix, a déclaré le patron de Médiapart, c'était en Martinique, au nom de mon père, et c'était le prix Carbet. Edouard Glissant avait voulu distinguer une "oeuvre-vie"." Puis, il a ajouté : " Vous avez choisi ce livre, c'est un signe que nous pouvons faire changer les choses. Il y a des causes communes qui convergent... Césaire, Fanon, Glissant... Un imaginaire pour sortir des guerres de religion, du racisme et de la xénophobie... Nous sommes tous comptables de notre liberté ; il n'y a pas que les bruits des bottes, il y a aussi le silence des pantoufles." "Pour les Musulmans" est un ouvrage écrit pour répondre aux circonstances du temps présent, a analysé Stéphane Pocrain, membre du jury Fetkann et nouveau porte-parole du CRAN. Il a souligné que l'ouvrage mentionnait entre autres la controverse qui avait opposé Serge Létchimy à Claude Guéant sur l'inégalité des civilisations. "C'est un ouvrage de combat, un ouvrage politique qui nous dit comment faire cité ensemble, comment faire France ensemble, comment vivre ensemble", a-t-il conclu.
Le prix mémoire a été décerné à l'historien canadien Eric Jennings pour son ouvrage, "La France libre fut africaine" (Perrin/Ministère de la Défense). ce spécialiste de la France coloniale sous Vichy n'est autre que le co-scénariste du film que tourne actuellement en Martinique, Jean-Claude Barny, "Rose et le soldat". Dans ce livre, Eric Jennings oppose à la légende de "la Résistance à Londres", "la vérité de Jacques Soustelle : "La Freance libre fut africaine." Eric Jennings ne nie pas le rôle de "l'armée des ombres", mais il s'appuie sur les archives pour rendre vie à "l'odysée africaine".
Une mention pour "Etre esclave"
Une mention spéciale a été décernés aux deux historiens, Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric mesnard pour leur essai "Etre esclave, Afrique Amérique, XVe-XIXe sècle" (La Découverte).
Le prix jeunesse, remis par les collégiens du lycée Courbet de Romainville (93) a récompensé la bande dessinée de Natacha Scheidhauer et Vincent Caut, "L'Afrique à petit pas" (Actes Sud junior). "L'Afrique, carrefour du commerce entre les peuples a donné de grandes civilisations et de grands empires, mais elle a aussi été victime de l'esclavage, que les tribus ont d'abord pratiqué entre elles avant d'en être les victimes..." Histoire, géographie, faune, ce livre est un vrai documentaire en BD.
le prix de la poésie a été attribué au Camerounais Marc-Alexandre Oho Bambe, dit Capitaine Alexandre pour son recueil "Le chant des possibles" (La Cheminante). C'est un texte polyphonique qui utilise beaucoup de registres d'expression, du rap, du sax, de la guitare, du slam... Un flash code intégré dans le livre renvoie au multimédia illustrant les propos poétiques de l'auteur. "Je suis R.OM., un résistant d'outre-mer", s'amuse le jeune poète.
FXG, à Paris
Capitaine Alexandre : "Ecrire, c'est prendre la mer ; lire, c'est apprendre à prendre le large...."
ITW Edwy Plenel
"Cette guerre est la négation de la promesse de l'égalité"
Comment appréciez-vous ce prix ?
C'est une main tendue come le livre "Pour les Musulmans" est une main tendue. Comme j'appelle à dire non au racisme, à la haine de l'autre, ce prix est un encouragement. Ca signifie qu'on se déplace, qu'on bouge, que ce sont justement les outre-mer dans toutes leurs diversités et leurs richesses qui peuvent comprendre comment on peut sortir de cette guerre de tous contre tous, comment il faut sortit de cette essentialisation. Je me sens chez moi ici et d'être reconnu, ça n'a pas de prix !
Vous dîtes que l'islamophobie cache la négrophobie qui cache l'antisémitisme...
Ce sont les poupées gigognes. Dans "Peau noire, masque blanc" de Fanon, il dit : "Notre professeur de philosophie nous disait que quand on dit du mal d'un Juif, il faut dresser l'oreille, on parle de vous..." Derrière tout antisémite, il y a un négrophobe. Aujourd'hui, le bouc-émissaire principal est le Musulman soi-disant au nom de a laïcité, et aussi le Rom. Derrière cela, c'est de discrimination, de la stigmatisation, c'est une exigence d'effacement qui est faite à l'autre...
Comme on l'a demandé naguère aux Antillais au nom de l'assimilation ?
Bien sûr ! L'assimilation est un ressort colonial, un poison parce qu'on sait qu'à partir du moment où l'on désigne un bouc-émissaire, aucune minorité ne sera épargnée. Il suffit d'entendre les porte-paroles de cette islamophobie pour voir qu'ils sont sexistes, négrophobes, qu'ils sont pour la discrimination selon l'origine, qu'ils sont même au bout du compte dans une négation de notre propre histoire, au point de dire que Pétain, l'homme contre lequel se dressait Césaire quand il disait "nous sommes de ceux qui disent non à l'ombre", fut le plus grand sauveur de Juifs de notre histoire ! C'est Maurras, Barrès qui reviennent. C'est tout ce laboratoire des pires idéologies de l'inégalité contre lesquels s'est inventée une République démocratique, sociale. Et c'est cette République qu'il faut aujourd'hui réinventer en brandissant le fait que la France, telle qu'elle est, telle qu'elle vit, telle qu'elle travaille, est une France multiculturelle. C'est cela qu'il faut revendiquer.
Redoutez-vous que nous entrions dans de nouvelles années 30 ?
Non, je pense qu'on est plutôt dans l'alarme de la fin du XIXe siècle, l'alarme de l'affaire Dreyfus, l'alarme que sonne Zola en disant "J'accuse", mais en faisant aussi un "Pour les Juifs". N'ayons pas cette idée que l'histoire est écrite car cela voudrait dire nous soumettre, nous résigner. Nous savons que ces mots peuvent tuer et ils ont tué quarante après le début de l'antisémitisme. Aujourd'hui, il est encore temps de se redresser, d'empêcher que cette dérive soit meurtrière, bref de sauver la France. Mon livre pourrait d'intituler "Pour les minorités" ou "Pour la France", parce que je crois qu'il faut arrêter cette guerre qui mène vers le bas, cette guerre des mondes, cette guerre des religions, qui est au contraire la négation de la promesse de l'égalité.
Propos recueillis par FXG, à Paris
ITW Marc-Alexandre Oho-Bambe
"Ma quête de beauté"
Que représente ce prix ?
Je suis honoré de recevoir ce prix qui signifie beaucoup par rapport à mon engagement artistique et citoyen.
Vous écrivez : "je suis un R.OM., un résistant d'outre-mer", que voulez-vous dire par là ?
J'habite le monde, je tente d'habiter le monde. En tant qu'habitant de l'imaginaire du monde, je me considère comme un résistant d'outre-mer. Je viens du Cameroun et j'ai demandé, il y a quelques années, l'asile poétique à Haïti. Je suis allé en pélerinage à la Martinique sur la terre de Césaire parce que je suis entré en poétique grâce à Césaire, à 16 ans, en lisant le Cahier d'un retour au pays natal. Je me considère de toutes ces îles et j'essaie modestement de faire un pont entre tous ces lieux de vie, de réflexion, dans lesquels j'ai grandi...
...Et le café de Flore ?
Symboliquement, être dans ce café est très important car il y a eu Sartre, Beauvoir, mais également Césaire, Senghor et Damas qui ont arpenté ce quartier. Il y a une filiation, il y a les pas dans lesquels j'inscris les miens, dans ma quête de beauté.
Propos recueillis par FXG, à Paris